dimanche, 10 février 2008
Les p'tits pains au chocolat
« Tous les matins il achetait son p'tit pain au chocolat
La boulangère lui souriait , il ne la regardait pas
Et pourtant elle était belle , les clients ne voyaient qu'elle
Il faut dire qu'elle était vraiment croustillante autant que ses croissants...»
Mercredi dernier, en la voyant vendre ses croissants et ses petits pains au chocolat dans la boutique située juste en face de la FNAC, j'ai repensé à la chanson de Dassin. Elle était mignonnette, la vendeuse, dans sa tenue jaune et blanche avec sa petite coiffe dans les cheveux... On aurait dit un bouton d'or !
Et soudain, je l'ai reconnue ! C'était Marie, une de mes anciennes élèves. J'ai aussitôt fait demi-tour pour lui parler juste un instant, pas trop longtemps car le patron était derrière, dans la boutique, et il aurait probablement râlé en la voyant ainsi jacasser alors qu'il y avait des clients qui attendaient leur tour.
J'ai pu constaté, avec un IMMENSE plaisir, qu'elle se débrouillait fort bien dans son travail, qu'elle était souriante, rapide, efficace. Quel plaisir quand on sait le parcours chaotique qu'elle a suivi. Elle est actuellement en apprentissage pour deux ans dans ce magasin et à voir sa mine réjouie, on ne doute pas un instant que cela se passe bien.
Je ne me souviens plus la date précise de son arrivée dans mon école. Par contre je l'avais remarquée tout de suite car c'était la fille d'un de mes anciens élèves. Les parents venaient juste de quitter la ZUP et la petit s'était donc retrouvée inscrite au CP dans cette école du centre-ville considérée par un ancien inspecteur -qui ne manquait pas d'humour !- comme "l'antichambre des grandes écoles".
Changement de quartier, changement d'école. Bref, elle dut refaire un CP. Rien de bien dramatique en soi. Hélas la situation empira l'année suivante : elle se retrouva dans la classe d'une maîtresse très exigeante, d'une grande richesse pédagogique, mais d'une intolérance incroyable ! Les rapports entre elles furent dès le départ conflictuels. La maîtresse avait pris la gamine en grippe et cela tournait à l'obsession. La psychologue scolaire intervint à plusieurs reprises pour essayer d'arrondir les angles. Mais chacune de ses interventions ne faisaient qu'aggraver la situation.
Brimade, vexation... Un exemple, me direz-vous ? Oui, bien sûr.
La psychologue me confia que Marie avait été placée au fond de la classe. Jusque là, rien de bien extraordinaire, il faut bien occuper toutes les places. Mais où cela devient grave, c'est que sa table avait été délibérément tournée dans le sens invers, de sorte que l'enfant regardait le mur du fond.
Les enfants reproduisent les comportements que l'on attend d'eux. Sa maîtresse la jugeait débile ? Soit, elle prit de plus en plus un coimportement d'idiote.
Les parents de Marie sont des gens simples qui attachent beaucoup d'importance à ce que dit le maître ou la maîtresse. Si la maîtresse a dit que Marie était débile, c'est que cela devait être vrai ! D'ailleurs, le papa de Marie n'avait-il pas été élève dans une classe de perfectionnement ? Ainsi, la boucle est bouclée comme dirait l'autre.
Oui, mais voilà, c'est embêtant tout ça, surtout quand vous faites passer des tests d'intelligence et que vous obtenez un Q.I. de 120 aux items non verbaux. Enfant performante nous dit le test, enfant débile nous dit la maîtresse.
Elle redoubla le CE1. Deux années de retard, je pressentais que j'allais bienôt la récupérer dans ma classe... Ce fut à la rentrée 2001.
Elle savait lire et compter. Mon objectif sur une année fut surtout de la restructurer, de lui faire perdre ce comportement de demeurée qu'elle affichait depuis déjà trois ans et de lui redonner confiance en elle. Le scolaire venait dans un deuxième temps. D'ailleurs, il avait été convenu qu'elle irait suivre les mathématiques au CE2. J'en avais discuté avec elle et elle était d'accord. Au moindre problème nous aurions cessé cet échange. J'avais mis les choses au clair avec la maîtresse qui s'était portée volontaire pour l'accueillir dans sa classe tout au long de l'année.
L'année s'écoula parfaitement, Marie parvint même à jouer dans une petite pièce de théâtre en fin d'année scolaire. Puis elle quitta l'école primaire pour entrer en SEGPA et aujourd'hui elle vend des patits pains au chocolat avec un sourire à faire craquer le plus revêche d'entre vous !
Tout ça pour dire quoi en fait ? Que les rapports enseignants-enfants sont parfois bien douloureux de part et d'autre. Cette maîtresse ne pouvait supporter l'échec dans sa classe et Marie lui renvoyait une image négative, la preuve vivante de son échec pédagogique.
Je pense que si les parents de Marie n'avaient pas déménagé, elle aurait suivi une scolarité normale à l'école primaire. Les dégâts ont été fort heuresuement limités.
Par la suite les classes de perfectionnement ont été supprimées. Trop de ségrégation, parait-il ! Alors les enfants comme Marie (et ils sont nombreux) se retrouvent maintenant dans les classes dites "normales".
Un exemple comique (si on peut juger cet exemple comique, à vous de voir) :
Les têtes pensantes avaient décidé que les enfants devaient être au maximum en contact avec les autres enfants de l'école ayant le même âge. Aussi, j'expédiais mes ouailles dans les différents niveaux, du CE1 au CM2.
C'est ainsi qu'Anthony , en raison de ses 11 ans passés, se trouva parachuté au CM2. Il y passait toutes ses matinées.
Le premier poème qu'il eut à apprendre par cœur fut "Le buffet", d'Arthur Rimbaud, poème que le maître ressortait de son cartable depuis déjà plus de trente ans. Une sorte de rituel... Passons.
« C'est un large buffet sculpté ; le chêne sombre,
Très vieux, a pris cet air si bon des vieilles gens ;
Le buffet est ouvert, et verse dans son ombre
Comme un flot de vin vieux, des parfums engageants... »
Pauvre Anthony, il ne parvint jamais à atteindre la fin de la deuxième ligne. Entêtement du maître, agacement de ma part... Stoppons là les dégâts !
Ah certes, il eût été question de mobylette, la mémoire serait entrée en action. Mais le buffet ! D'ailleurs, il ne savait même pas ce qu'était un buffet, il vivait en foyer et mangeait à la cantine. Et le maître éprouvait un plaisir sadique à l'interroger à chaque fois.
A l'heure actuelle tous ces gamins qui se situent à la limite d'une débilité légère d'après les tests ( et là encore, il y aurait beaucoup à redire sur les tests), sont scolarisés dans les classes normales et malgré eux, les pauvres, sont ou deviennent la hantise des enseignants qui culpabilisent de ne pas "réussir" avec eux.
Dans le coup, tout le monde en souffre, les enfants pour qui l'école est parfois synonyme d'enfer, et les enseignants qui se remettent constamment en cause. Il existe bien sûr le réseau d'aide, composé d'enseignants spécialisés qui prennent les enfants en petits groupes et tentent de colmater les fissures. C'est ce que j'ai pratiqué en fin de carrière. C'est frustrant, très frustrant même. On ne passe pas suffisament de temps avec les enfants et surtout on se trouve à jouer le rôle de tampon entre enseignants et élèves. Les maîtres attendant de nous des résultats, comme si nous avions des recettes miracles dans un chapeau de magicien. Ils pensent bien souvent à tort que le simple fait de nous envoyer les enfants va résoudre tous les problèmes. Hélas, mille fois hélas, c'est beaucoup plus complexe. Mais beaucoup d'entre eux se refusent à le comprendre. Combien de fois j'ai dû entendre des réflexions désagréables du genre :
« Oui, alors tu n'as que 3 élèves et tu es mieux payée que nous !
-Eh bien oui, j'ai moins d'élèves et je gagne plus. Mais rien ne t'empêche de faire comme moi !
- Ah, sûrement pas !»
Quand nous accepterons la différence, un grand pas sera fait... Ce n'est pas pour demain. Excusez -moi pour la longueur de la note !
12:30 Publié dans Croque mots | Lien permanent | Commentaires (4)
Commentaires
Ca me touche beaucoup toutes ces histoires d'enfants.. A ce sujet, j'ai bien aimé "Chagrin d'école" de Pennac, il parle aussi de la difficulté de certains instits à supporter l'échec dans leur classe, des comportements qui en découlent etc...
Bon dimanche à toi.
Écrit par : juste mes mots | dimanche, 10 février 2008
Je n'ai pas lu son livre, je vais le faire ... Bon dimanche à toi aussi, avec du soleil !
Écrit par : tinou | dimanche, 10 février 2008
Et quand je pense que si j'étais plus jeune, Tinou serait peut être devenu ma maîtresse...
Écrit par : danrjd | lundi, 11 février 2008
Tu n'imagines pas à quel point cela m'aurait intéressée de t'avoir comme ... élève !
Écrit par : tinou | lundi, 11 février 2008
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