Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

mercredi, 19 novembre 2008

Jean-Élie (fin)

Quelquefois le soir, quand le ciel  était bien dégagé et que l’on voyait les étoiles briller dans le firmament, Yvonne et les deux enfants allaient s’allonger dans l’herbe du pré, face à la maison et là ils guettaient l’apparition d’une étoile filante pour faire un vœu. Dans le silence qui les entourait seul un chien au loin faisait entendre ses aboiements plaintifs. C’est là que Danielle découvrit ce qu’était la contemplation.

D’autres soirs, les gamins allaient regarder la télévision chez la voisine. Au début des années soixante peu de gens possédaient ce nouveau moyen de communication et cela apparaissait comme une véritable révolution. La maison des voisins était habitée par une vieille dame, veuve d’un architecte parisien. Elle y vivait avec une de ses filles, Pierrette, âgée à l’époque d’une trentaine d’années. Pierrette  avait du avoir des problèmes de santé étant petite. Toujours est-il qu’elle ne savait pas bien lire et écrire et son rôle se bornait à servir de garde-malade à sa vieille mère qui se montrait tyrannique avec elle. La deuxième fille était tout le contraire de Pierrette. C’était une tête brûlée, elle avait servi dans l’armée comme infirmière et avait participé à la guerre en Indochine. Elle ne portait que des pantalons et fumait comme un pompier. Elle faisait peur aux enfants qui se demandaient si c’était un homme ou une femme.

 Certains soirs les enfants se rendaient donc dans cette maison pour suivre  les aventures de Sherlock Holmes, une série anglaise en noir et blanc qui les glaçait d’horreur. Aussi le retour dans la nuit, sur la petite route qui rejoignait la ferme, située à quelques centaines de mètres, était toujours très éprouvant. Quand les hirondelles prirent le chemin de l’Afrique, Danielle s’en retourna chez elle. Et puis l’école reprit. Le Noël suivant la petite demanda à ses parents si elle pouvait aller passer une semaine à la campagne, ce qui lui fut accordé. Elle retrouva avec plaisir Jean-Élie , tante Yvonne, la ferme, les odeurs de la campagne.

L’année suivante elle passa encore une partie des vacances dans ce lieu qui lui était devenu familier. Entre temps elle était entrée au lycée et avait commencé à apprendre le latin et l’allemand. Jean-Élie était en admiration devant elle et la gamine lui apprenait des mots. Ils avaient inventé un jeu, qu’ils appelaient l’espionnage allemand : en douce ils s’approchaient de l’étable quand Yvonne trayait les vaches, souvent aidée par la vieille grand-mère et ils écoutaient leur conversation. Un jour Roger les surprit et il les renvoya aussitôt en jurant comme un beau diable.

On était au tout début des années soixante, la société était en pleine mutation. Dans les villes les logements sortaient de terre comme des champignons, les voitures étaient de plus en plus nombreuses sur les routes et la télé prenait possession des esprits peu à peu.  La campagne ne fut pas épargnée même si ce prétendu progrès arriva un peu plus tard. En 1963 les parents de Danielle prirent pour la première fois de leur vie une semaine de vacances. Ils avaient une voiture depuis peu et ils allèrent au bord de la mer. C’était la première fois que la gamine découvrait la mer et elle fut très impressionnée par cette immensité bouillonnante et écumante.

Ce fut la fin des vacances à la campagne. Les deux enfants ne se revirent plus jamais. Chacun avait pris un chemin différent . Jean Elie réussit à décrocher le certificat d’étude et il partit en apprentissage dans un élevage de chevaux de course. Sa petite taille lui permettait d’envisager de devenir plus tard jockey. C’était son rêve, il avait toujours adoré s’occuper des chevaux à la ferme. Il commença comme lad, mais il aimait ça. Il avait trouvé sa voie, il était vraiment heureux pour la première fois de sa vie. Et puis…

C’était un soir vers dix-huit heures. Danielle était dans sa chambre en train de faire son travail scolaire quand sa maman entra dans la chambre. Elle avait un air triste et s’essuyait les yeux du revers de la main.« Tante Yvonne vient de téléphoner. J’ai une très mauvaise nouvelle à t’annoncer.» Danielle posa son crayon et regarda sa mère, inquiète. Sa mère poursuivit entre deux sanglots : « Jean Elie est mort. Il s’est noyé dans un étang au cours d’un entraînement. Son cheval s’est brusquement cabré et il est tombé à l’eau ; personne n’a pu le sortir.»

jeanelie.jpg

Bien des années se sont écoulées depuis ce tragique évènement . Cependant l’émotion demeure toujours aussi intense et quand j’évoque cette période de mon enfance, je ne peux empêcher les larmes de jaillir et je revois l’image de mon petit copain d’enfance qui était né sous une bien mauvaise étoile.

Fin

 

 

 

 

Commentaires

Ah, je sentais poindre cette triste fin...Que dire, si ce n'est que l'enfance et la prime jeunesse sont le terreau dans lequel se cultivent les seules vraies amitiés, celles qui sont sans lendemain. Après, les intérêts, les plans de carrière, le milieu social se chargent de ternir ces belles amitiés enfantines. L'adulte est condamné à une solitude infinie, même si à certaines époques de sa vie il s'imagine environnés d'amis empressés. On sait ce que valent ces amitiés lorsque la fortune change de camp...
Je vais dire une chose de terrible, mais en mourrant prématurément, Jean Elie est devenu tien pour l'éternité. Il s'est figé dans ta mémoire comme ce petit ami que l'on voit chevaleresquement agenouillé à tes pieds et qui, par sa seule compagnie, a su apporter un peu d'imprévu à une enfance que je devine aussi sage que la jeune fille qui fixe avec un sourire timide l'objectif de l'appareil photo.

Écrit par : manutara | mercredi, 19 novembre 2008

à Manutara : je partage tout à fait ton opinion sur l'amitié. Mais, peut-on parler d'"amis" pour ceux qui se détournent quand la situation financière change ? Moi je dirai plutôt des profiteurs, des pique-assiettes... Relisons Montaigne pour savoir ce qu'est réellement un ami, un vrai.
Le fait de ne pas avoir (ou si peu) d'amis ne m'a jamais profondément gênée, étant d'un tempérament solitaire.
Oui, cette amitié enfantine s'est gravée jamais dans ma mémoire et la mort prématurée de Jean-Élie lui a donné une profondeur exceptionnelle, qu'elle n'aurait sans doute pas eue s'il avait vécu.

Écrit par : tinou | mercredi, 19 novembre 2008

histoire forte ... émotion palpable .

Écrit par : gil brieuc | mercredi, 19 novembre 2008

Les commentaires sont fermés.