lundi, 23 novembre 2009
417. Célestine Chardon -4-
LA VIE BIEN ORDINAIRE DE CÉLESTINE CHARDON
Chapitre 4
La maison se dresse toujours fièrement à l’angle des deux rues. Les platanes du boulevard ont disparu peu à peu, rongés par la maladie. Ce grand boulevard sert de limite entre la commune de La Riche et Tours. Il part de la Loire, au nord, et aboutit plus au sud jusqu'au Cher.
Au milieu du dix-neuvième siècle un jardin botanique y a été créé, dans la partie marécageuse où coulait l'ancien ruau de Sainte Anne. Et face au jardin se dresse l'hôpital Bretonneau, construit à l'emplacement de l'ancien " Sanitas" qui accueillait les lépreux au Moyen-Age. Cet hôpital s'est agrandi au fil des ans. En mille huit-cent cinq on lui adjoignit un hôpital militaire où de nombreux grognards des armées napoléoniennes vinrent se faire soigner. En mille huit-cent quatorze une école préparatoire de médecine et de pharmacie vint compléter l'ensemble hospitalier. Le service de l'infirmerie était confié à des sœurs de La Présentation, reconnaissables à leur grande cornette.
Elle s'en souvient la petite Célestine des bonnes sœurs avec leur cornette ! C'était en mille neuf-cent cinquante trois, elle les voyait presque tous les jours quand elle accompagnait sa maman qui allait voir sa mère mourante. Cela dura une année entière. Sa grand-mère était atteinte d'un cancer généralisé, une saloperie qui lui rongeait les chairs petit à petit. Et Célestine jouait avec sa poupée dans les couloirs de l'hôpital. Un jour un monsieur est arrivé. Il a dit quelques mots à l'oreille de sa maman et celle-ci s'est mise alors à pleurer. Elle a saisi Célestine par la main et elles sont parties en courant. Célestine revoit une pièce sombre où un homme était allongé sur un lit, immobile. C'est son grand-père, il vient de mourir d'une rupture d'anévrisme.
Célestine comprendra plus tard, beaucoup plus tard, beaucoup trop tard aussi pour pouvoir en parler, pourquoi sa maman à partir de ce jour-là ne fut plus jamais la même.
La maison de Célestine était située à l'extrémité sud du boulevard, dans la partie la plus lugubre car elle donnait sur les abattoirs de la ville de Tours. Après c'était la voie ferrée où passaient les grosses locomotives rugissantes et crachant des flammes. Une fois le passage à niveau franchi, on trouvait sur la droite l'usine d'épuration des eaux, puis sur la gauche l'entreprise des pompes à merde. Il fallait se boucher le nez quand on passait devant. Après une petite montée, on arrivait dans un vaste espace de verdure, rempli d'arbres et d'herbes hautes qui s'étendait jusqu'aux rives du Cher. C'était le " Menneton", un lieu de prédilection pour les gens du quartier qui allaient y pêcher, pique-niquer ou se baigner aux beaux jours. Les enfants s'y amusaient en toute tranquillité. Les parents de Célestine en leur temps y avaient joué, s'y étaient aimés, avaient fait des rêves d'avenir...
Aujourd'hui il ne reste rien de tout ça, si ce n'est la petite maison du garde-barrière, branlante mais toujours debout. Les champs ont fait place à une zone industrielle. Sur le boulevard, l'abattoir a été remplacé par des barres de logements locatifs. Dans la rue d'à côté, les usines ont été démolies pour laisser la place à des petites résidences et à une zone commerciale. La maison de sa copine a disparu aussi, c'était une ancienne bergerie datant du quinzième siècle où le confort était pour le moins précaire. Mais qu'importe, elles s'amusaient bien les petites sur ce boulevard!
Elles jouaient à la marelle, installaient des couvertures sur la terre battue pour jouer à la marchande, faisaient des concours de corde à sauter, jouaient à la balle le long des murs, se construisaient des arcs avec les branches du sureau qui dépassaient du jardin des voisins ou encore s'amusaient pieds nus dans le caniveau quand le balayeur venait ouvrir en grand la vanne d'eau. De cette époque il ne lui reste qu'une photo, vieille photo un peu jaunie qui suscite tant de nostalgie. C’est pourquoi Célestine évite toujours de passer dans ce quartier.
Mais pour l'instant elle ne pense qu'à une chose: aller au marché ! Elle se dépêche car ce marché qui s'installe autour des Halles ne dure que jusqu'à dix heures. On y trouve des maraîchers qui viennent vendre directement leur production. Il y a déjà du monde quand elle débouche sur la place. Le soleil commence à chauffer doucement et pas un seul nuage ne vient tacher le ciel d'un bleu pur. Elle flâne devant les étals, se laisse tenter par des fraises, des petites gariguettes bien rouges. Un peu plus loin elle trouve des radis ronds, ceux qui piquent légèrement lorsqu'on les croque. Elle achète également une botte d'oignons nouveaux, de l'ail vert qu'elle mangera avec un fromage de Sainte-Maure frais. Justement elle vient d'apercevoir son marchand attitré. Elle le connaît depuis très longtemps, elle l'a toujours vu, à croire qu'il est éternel, avec sa petite table sur laquelle il dispose œufs et fromages. Il ne vend que ça, mais il a ses clients fidèles. Célestine sait, pour avoir discuté avec lui, qu'il fait ainsi plusieurs marchés de la région pour vendre ses produits et que cela lui suffit pour vivre. Il ne gagne sûrement pas beaucoup d'argent mais cela n'a pas l'air de le soucier ! Il est toujours de bonne humeur, heureux de vivre...
Un peu plus loin elle retrouve un couple de personnes âgées qui viennent vendre les fleurs de leur jardin. Ah c'est vrai qu'ils n'ont jamais beaucoup de fleurs à chaque fois, ils ne mettent pas du beau papier autour des bouquets, mais qu'elles sont belles leurs fleurs, elles embaument l'amour qu'ils ont mis à les cultiver. Célestine se laisse tenter par des pivoines roses, presque blanches. Elle songe qu'elle a déjà le bouquet qu'on lui a offert hier, mais qu'importe, elle mettra celui-ci dans sa chambre...
Et sur cette pensée elle pénètre maintenant sous les Halles. Il est bientôt dix heures et ça grouille de monde, une vraie ruche, mais une agitation normale pour un samedi. Sans hésitation elle se rend chez son crémier; elle aime bien dire SON crémier, comme s'il lui appartenait! C'est ainsi qu'elle s'approprie les gens qu'elle aime. Dans le même registre, on trouve son boucher, son boulanger, son garagiste...
Il lui faut de la bonne crème fraîche, celle qui se vend au détail, celle que le crémier verse dans un pot avec une louche. Puis elle en profite pour acheter un morceau de beurre, le beurre à la motte que l'on coupe avec le fil.
— Bon, il ne me manque plus que le pain, se dit-elle en quittant le grand bâtiment et en se dirigeant vers la place du Grand Marché. Au passage, elle s'arrête pour prendre un pain de campagne tout chaud encore. Elle ne peut résister au plaisir de casser le croûton pour le manger aussitôt. Quand elle arrive devant chez elle, elle constate qu'un camion de location est garé le long du trottoir, tout près de la porte d'entrée. Plusieurs personnes s'affairent autour tandis que dans l'escalier des hommes sont en train de descendre des cartons.
— Tiens, qui peut bien déménager ?
À suivre
08:02 Publié dans Petites nouvelles de rien du tout | Lien permanent | Commentaires (1)
Commentaires
coucou Tinou
finalement nous sommes allés voir le petit Nicolas , c'est marrant ! je le conseille
bises
Écrit par : juju | lundi, 23 novembre 2009
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