mardi, 24 novembre 2009
419. Célestine Chardon -5-
Chapitre 5
Mentalement elle fit un rapide tour d'horizon des locataires de son immeuble. La Froju, comme elle l'appelait, habitait au rez-de-chaussée, donc ce ne pouvait pas être elle. D'autre part, elle l'avait vue la veille et cette dernière n'avait pas parlé de déménagement. Au premier étage vivait un couple de retraités. Ils étaient partis un mois auparavant voir leur fils qui travaillait à La Martinique. Célestine avait d'ailleurs reçu la semaine précédente une fort jolie carte qu'elle avait aussitôt mise sur son réfrigérateur.
Ne restait plus que la voisine du dessous. Effectivement elle vit la porte du deuxième étage grande ouverte quand elle arriva sur le palier. Une jeune femme était en train de passer l'aspirateur dans l'appartement vidé de tous ses meubles à présent. Célestine frappa trois petits coups à la porte:
— Je peux entrer ? Alors, vous nous quittez ?
— Ah, c'est vous mademoiselle Chardon ! Oui, je me dépêche car l'appartement est repris de suite et le nouveau locataire arrive cet après-midi. Il faut que je laisse les lieux dans un état à peu près correct quand même!
— Et ce n'est pas indiscret de vous demander où vous allez ? renchérit Célestine.
— Ah, je ne vous ai pas dit ? Eh bien j'ai été mutée dans la région parisienne. Ce n'est pas que cela m'enchante mais le travail va y être intéressant et je ne dois pas laisser passer une telle occasion. Et puis vous savez, plus rien ne me retient maintenant ici depuis que....
— Oui, oui, je sais, s'empressa d'ajouter Célestine.
Oui Célestine savait, elle se souvenait de l'arrivée de ce jeune couple trois ans auparavant. Ils avaient un petit garçon d'à peine un an. Lui, son mari, travaillait comme représentant dans une firme automobile et elle était employée dans un bureau. Ils étaient, jeunes, beaux, et tout semblait s'annoncer sous les meilleurs auspices, sauf qu'un jour il est sorti et a omis de rentrer. La jeune femme s'est retrouvée seule avec son petit garçon. Au fur et à mesure qu'il grandissait le bambin devenait de plus en plus coléreux et capricieux. Célestine n'avait plus besoin de mettre son réveil à sonner le matin car elle était régulièrement réveillée vers sept heures par les cris du petit monstre refusant de se lever, de s'habiller, de manger, d'aller à l'école. Et tous les matins c'était la même comédie, les cris, les injonctions de la pauvre mère qui voyait l'heure passer et qui devait encore le conduire chez la nourrice avant de partir à son travail.
Célestine avait bien tenté de lui expliquer qu'elle devait se montrer plus ferme avec lui, mais la jeune femme ne réagissait pas:
— Il est encore si petit, il ne comprend pas!. Le gamin, caché derrière sa mère, en profitait pour faire des grimaces à Célestine.
Décidément, Célestine n'aimait pas ce petit, encore un enfant-roi, un futur bourreau de parents. Puis après tout, cela ne la regardait pas, chacun balaie devant chez soi, se disait-elle en soupirant.
— J'ai un service à vous demander, reprit la jeune femme en s'arrêtant deux secondes dans son nettoyage.
— Oui, si je peux, sans problème.
— Eh bien voilà, comme j'ai fini le ménage, je voudrais partir tout de suite avec mes amis afin que nous ayons le temps de poser les meubles dans mon nouvel appartement ; je ne peux donc pas attendre le nouveau locataire pour lui remettre les clés comme nous en avions convenu. Pouvez-vous le faire à ma place ?
— Euh...à vrai dire, je ... Elle est bien embarrassée, Célestine. Elle n'aime pas qu'on lui force ainsi la main, surtout qu'elle ne connait pas ce nouveau venu.
— À quelle heure doit-il venir ?
— Il m'a dit qu'il passerait à quatorze heures et comme il n'est que midi, ça m'ennuie d'être obligée d'attendre deux heures !
— Vous ne pouvez pas lui téléphoner ? insista Célestine.
— Non, il a oublié de me donner son numéro de portable. Je n'ai que son adresse et son fixe. Et il ne doit pas être chez lui car ce n'est pas la porte à côté !
— Ah bon ? Parce qu'il n'habite pas dans la région ? fit Célestine, soudain curieuse.
— Je ne sais pas où il habite exactement, il m'a donné son adresse de travail à Paris.
— Il est marié ? Célestine regrettait déjà sa question, mais trop tard, les mots avaient jailli d'un coup, comme l'eau jaillit d'une source.
La jeune femme la regarda d'un air amusé :
— Je crois que oui, mais quand il est venu visiter, il était seul.
Retiens-toi Célestine, garde pour toi la question qui te brûle les lèvres: il est comment ? À ce moment précis trois brefs coups de klaxon stoppent net la conversation.
— Ah ! Ce sont mes amis, ils trouvent le temps long. Bon, je vous laisse les clés. Merci beaucoup mademoiselle Chardon pour votre gentillesse. Pour mon courrier, je me suis arrangée avec mademoiselle Froju. Si des fois il y avait le moindre problème, elle pourra vous donner ma nouvelle adresse. Je peux vous embrasser ?
Et avant que Célestine ait eu le temps de réagir, elle se sentit serrée comme dans un étau et reçut sur les joues deux belles marques rouges.
— Chéri, fais un bisou à la voisine !
— Non, j'veux pas! répondit aussitôt le gamin tout en tirant sur la veste de sa mère pour la forcer à partir.
— Allons Minou, sois mignon, fais plaisir à maman ! S'il te plait, m’amour!
Je t’en ficherai, moi, des mamours, ne put s’empêcher de penser Célestine.
De mauvaise grâce, le gamin s'approcha alors de Célestine qui se pencha vers lui et, en lui faisant les gros yeux et lui disant d'une voix qu'elle voulait grave et impressionnante:
— Tâche d'être gentil avec ta maman, sinon tu auras affaire à moi !
Dans la rue on entendit le vrombissement d'un moteur, les copains s'impatientaient.
— Ah, une dernière chose ! Vous pouvez rendre l'aspirateur à mademoiselle Froju ? Elle m'a prêté le sien ce matin et m'a dit que je pouvais vous le confier quand j'aurai fini si elle n'était pas chez elle.
— Oui, oui, pas de problème. Allez, sauvez-vous vite, on vous attend ! Bonne chance à vous !
Mais déjà la jeune femme, tirant le gamin par le bras, avait franchi le porche d'entrée.
Son panier à la main, Célestine pénétra dans l'appartement. Cela semblait d'un coup plus grand, pourtant il avait la même superficie que le sien. Elle s'empara de l'aspirateur de l'autre main, sortit et ferma la porte à clé. Puis lentement elle monta l'étage qui la séparait de son antre à elle. Ainsi elle allait avoir un nouveau voisin !
À suivre
06:43 Publié dans Petites nouvelles de rien du tout | Lien permanent | Commentaires (0)
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