vendredi, 31 août 2018
Ville close
Il avait beaucoup neigé durant la nuit et à l'aube de ce petit matin de janvier 1970 je pris quand même la route au volant de ma Coccinelle car c'était la rentrée des classes. L'idée de rouler sous la neige m'excitait beaucoup.
— Fais bien attention et téléphone-nous à ton arrivée ! Telles furent les recommandations familiales.
Il y avait peu de trafic sur la Nationale 10 et j'eus l'impression que les rares voitures croisées faisaient du sur place tellement la route était glissante. La première difficulté apparut dans la côte de Sainte-Maure ; quelques camions avaient été piégés par le verglas et s'étaient carrément arrêtés au beau milieu de la chaussée. Je me souviens avoir fait du slalom pour les éviter.À la sortie de Sainte-Maure je tournai à droite au feu. Là les choses allaient se compliquer car j'entrai maintenant dans la campagne sur une petite route toute immaculée de blanc. On ne distinguait pas le bas-côté et je roulai donc au beau milieu pour éviter de me retrouver dans le fossé. J'avançai au ralenti sans m'inquiéter du temps qui passait. Après tout j'aurais fort bien pu téléphoner pour dire qu'en raison de la météo je ne pouvais pas venir.
C'était beau, c'était calme, c'était pur. Personne en vue, j'étais comme seule au monde au milieu de cette immensité blanche. Ce fut un vrai moment d'extase dont je me souviens encore avec volupté quarante huit ans plus tard.
Le chauffage dans ma voiture était très vite trop chaud et je devais donc rouler avec la fenêtre ouverte par laquelle s'échappaient les mélodies de ma radio. Encore trois ou quatre villages à traverser . J'eus l'étrange impression qu'ils avaient été désertés par leurs habitants. Soudain, au bout de la route, j'aperçus la porte d'entrée et je m'engouffrai dans la ville close.
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1999 : La ville close de Franck Maubert.
« Même en hiver, la blancheur du calcaire éblouit jusqu'à aveugler. À travers les vitres du taxi, les rayons d'un soleil bas soulignent les arrondis des champs de craie. Nous délaissons la bretelle d'autoroute. Visions des champs de neige. Le chauffeur, qui m'a embarqué à la gare, ne peut retenir d'une voix enrouée : " Votre ville, c'est le bout du monde ". Nous avançons sur la langue d'un plateau où coule une nationale qui n'en finit pas, traversée par d'autres routes, toutes perpendiculaires. [ ...]
Un sentiment d'éternité s'installe, comme si nous naviguions dans du brouillard. Nous glissons sur le ruban de bitume, avec le sentiment de ne pas avancer, sans horizon ni point de vue. Le lointain laisse juste deviner des bouquets d'arbres et un clocher. [ ... ]
Nous roulons encore une longue demi-heure, dans le ronflement du moteur diesel. Des panonceaux annoncent une zone urbanisée, comme à l'approche de toute ville désormais. De chaque côté de la route principale, des constructions récentes à l'architecture métalliques, des bâtiments industriels si frêles ; une simple pichenette suffirait à les faire s'envoler. L'enseigne jaune et bleu d'un magasin discount clignote en plein jour. Devant une station-service désaffectée, des épaves attendent la casse. Le petit bonhomme Esso, avec sa tête en goutte d'huile, nous salue. Une fois franchi ce secteur sans âme, une cité médiévale surgit, ceinte de murailles. [ ... ]
De part et d'autre d'un pont de pierre, de larges fossés où des chèvres pâturent. Un pont-levis, comme on passe un poste-frontière avec la sensation de ne pouvoir reculer et devoir se confronter à son passé. »
04:32 Publié dans Croque mots, Livres | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : maubert, ville, richelieu