lundi, 03 novembre 2008
Jean-Élie (1)
Il n’a jamais demandé à venir au monde Jean-Elie. Mais voilà, il a fallu qu’un homme et une femme se rencontrent, un jour, qu’ils aient envie l’un de l’autre et, neuf mois plus tard, notre petit bonhomme est arrivé. Seulement personne n’était là pour l’accueillir à bras ouverts. Ceux qui l’avaient conçu dans un moment d’égarement ne voulaient pas de lui. A peine arrivé dans ce monde et déjà abandonné !
Alors il se retrouva placé dans des foyers, de ci, de là, au gré des places et des humeurs des assistantes sociales. Le temps passa doucement, semant son lit de tristesse dans le cœur de cet enfant chétif et malingre. Un jour, il fut décidé qu’il irait vivre à la campagne. Il n’était pas associable et cela libérerait une place pour un autre enfant en attente.
C’est ainsi qu’à la veille de la rentrée des classes de mille neuf-cent cinquante-huit, Jean-Elie prit le car, accompagné d’une assistante sociale qui le conduisit dans sa nouvelle demeure. C’était une ferme construite sur le plateau, une longère tourangelle exposée plein sud sur le côteau de la Loire. Tout autour il n’y avait que des champs, peu d’arbres pour se protéger du soleil ou du vent. Elle aurait pu s’appeler Les hauts de Hurlevent , mais elle portait un nom beaucoup plus poétique : Champroux.
Les propriétaires de ce lieu étaient deux paysans, Yvonne et son mari Roger. Ils avaient une cinquantaine d’années et vivotaient des ressources assez maigres de leur exploitation. La mère de Roger, une vieille toute ridée et toujours habillée de noir depuis le décès de son mari, habitait une petite maison décrépie située un peu plus loin. Elle y vivait seule, dans l’unique pièce sombre meublée d’un lit, d’une armoire, d’une table et d’une chaise. Elle continuait à s’occuper des lapins de la ferme pour lesquels, chaque jour, elle allait couper de l’herbe dans les prés voisins avec sa faucille et sa brouette. Elle prenait tous ses repas avec le couple. Elle était peu causante et il n’existait aucun lien affectif entre elle et sa belle-fille.
Yvonne était une belle femme, mince, grande, un visage toujours souriant et un caractère à toute épreuve. Dans sa jeunesse, elle avait été une excellente élève à l’école primaire où elle avait obtenu sans aucune difficulté son certificat d’études. Son institutrice aurait souhaité qu’elle puisse continuer ses études, mais à la campagne, c’est la terre qui compte avant tout et les deux bras d’Yvonne furent jugés indispensables pour les travaux des champs. Alors Yvonne s’était fait une raison et, résignée, elle avait épousé un gars du coin, un paysan comme elle. Bientôt vint le petit Jacques, puis deux ans plus tard, ce fut le tour de Yolande. Tout aurait pu continuer ainsi, dans une relative douceur de vie, au rythme des saisons et des labeurs. Mais un beau jour Roger dut partir à la guerre…Il ne revint que cinq ans plus tard.
A suivre ...
04:05 Publié dans Petites nouvelles de rien du tout | Lien permanent | Commentaires (0)
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