vendredi, 20 novembre 2009
411. Célestine Chardon -2-
LA VIE BIEN ORDINAIRE DE CÉLESTINE CHARDON
Tout en marchant en direction de son domicile, elle repensait à cet abonnement à un club de rencontres et elle était quelque peu sceptique. Elle ne s'attendait pas à ce genre de cadeau et d'ailleurs elle ne connaissait même pas l'existence de tels clubs. Cependant, au moment de la remise des renseignements par Melle Froju, elle avait pris soin de ne rien laisser paraître de son ignorance et elle avait même poussé l'audace jusqu'à s'exclamer :
— Oh quelle idée merveilleuse ! Justement j'avais pensé m'y inscrire ! Les grands esprits se rencontrent, n'est-ce pas ?
— C'est comme ça que j'ai connu mon mari, rajouta une vendeuse sur un ton à la fois sérieux et solennel qui amusa fort Célestine. Vous verrez, vous allez connaître plein de gens et vous allez vous faire des amis et peut-être irons-nous bientôt au mariage !
Rires plus ou moins moqueurs dans l'assistance.
Parfois Célestine repensait à ces quelques hommes qu’elle avait connus autrefois et elle aurait bien aimé savoir ce qu'ils étaient devenus. Étaient-ils mariés? Se souvenaient-ils encore d'elle ? Joseph était-il devenu médecin ? Était-il reparti vivre dans son Cameroun natal ? Ali avait-il ouvert une pharmacie à Casablanca? Yann pêchait-il toujours au large du Croisic ? Dieter devait probablement toujours travailler comme journaliste à Berlin... et Takis, oui Takis qui lui avait fait découvrir les petites tavernes de La Plaka à Athènes ou encore les bouges mal famés du Pyrée, était-il enfin devenu inspecteur de police comme il souhaitait ?
Elle était arrivée devant la porte de son immeuble. Elle grimpa tranquillement les trois étages pour atteindre enfin sa "caverne" comme elle aimait appeler son petit appartement sous les toits, composé de trois grandes pièces dont les fenêtres donnaient toutes sur une petite ruelle calme du vieux Tours. La porte grinça quand elle l'ouvrit. Les derniers rayons du soleil inondaient la pièce d'une chaleur printanière. Par la fenêtre laissée entrouverte, on entendait le chant du merle qui annonçait l'arrivée prochaine de la nuit...
— Théo, mon Théo ? Où es-tu brigand ? dit-elle en posant son sac sur le coffre dans l'entrée. Elle quitta ses chaussures et, pieds-nus, se dirigea dans la cuisine, le bouquet à la main.
Elle disposa les fleurs dans un grand vase et le déposa sur la table de la salle à manger. Elle resta quelques instants à contempler le résultat qui la remplit d'aise. Retournant dans la cuisine, elle se servit un grand verre d'eau du robinet, puis, prenant un cachet d’aspirine dans la boîte sur le buffet, elle avala le tout d'un trait.
— Ah, ça va mieux ! soupira-t-elle en reposant le verre dans l'évier.
Un miaulement plaintif lui fit baisser les yeux. C'est son chat, son Théo, son confident, son seul ami, celui qui l'écoute toujours avec attention, celui à qui elle peut tout confier de ses chagrins. Le chat, imperturbable, s'étira, bailla, vint se frotter contre sa jambe et se dirigea nonchalamment vers sa gamelle à moitié vide. C'est un joli chat gris et blanc, assez haut sur pattes. Célestine saisit alors le gros paquet de croquettes et remplit la gamelle.
— Tiens, mon petit bonhomme, viens reprendre des forces. Pensant à son propre dîner, elle ouvrit la porte de son réfrigérateur... Un air frais s'en échappa qui vint lui caresser le visage. Il n’y avait pas grand-chose à l’intérieur : trois malheureux yaourts aux fruits, un litre de lait, une plaquette de beurre à moitié entamée et une boîte de camembert.
Moue dépitée de Célestine qui, réflexion faite, n'avait soudain plus très faim et décida d'aller se coucher avant que le mal au crâne n'empirât. Elle se rendit dans la salle de bain et machinalement saisit la brosse à dents, couvrit la surface poilue d'une fine couche de dentifrice. C'est à ce moment-là que son regard croisa celui de l'autre, dans la glace accrochée au-dessus du lavabo.
L'autre "elle", une tête aux cheveux courts hirsutes où le gris prenait de plus en plus de terrain, des joues qui virent au cramoisi. Mais ce sont surtout les cernes sous les yeux qui la frappèrent le plus. Un énorme soupir vint alors emplir la petite pièce.
— Mais oui, ma vieille, c'est bien toi que tu vois dans la glace! lança-t-elle comme un défi à sa propre image.
Elle se sentit tout à coup envahie par un profond désespoir, un chagrin qu'elle puisa au plus profond d'elle même. Elle avait l'impression de se réveiller, de sortir d'un long sommeil qui aurait duré plus de quarante années, l'impression d'être une vieille Belle au Bois Dormant. Les larmes perlèrent au coin des yeux et glissèrent doucement le long de ses joues. Elle se sentit soudain très lasse.
— Allons ma fille, secoue-toi un peu ! Une page vient de se tourner, demain sera un autre jour !
D'un revers de main elle essuya ses yeux et après avoir éteint la lumière, vérifié que la porte d'entrée était bien fermée à clef, elle se rendit dans sa chambre. Par la fenêtre grande ouverte, elle aperçut la lune, toute ronde, qui semblait lui faire un clin d'œil.
— Oui, murmura-t-elle en se lovant sous la couette à carreaux, demain sera un autre jour, demain je commence une nouvelle vie, demain va naître une nouvelle Célestine, demain je rattrape le temps perdu... Rattraper le temps perdu, quelle idiotie...!
Et elle se mit alors à chantonner la chanson de Barbara :
" Le temps perdu ne se rattrape plus....dis au moins le sais-tu...que le temps qui passe ne se rattrape guère....que le temps perdu ne se rattrape plus...."
Au dehors un nuage est venu cacher la rondeur de la lune un bref instant. Chut ! Célestine s'est endormie....
À suivre
09:04 Publié dans Petites nouvelles de rien du tout | Lien permanent | Commentaires (2)
Commentaires
Un vrai talent d'écriture .
Hélas je ne passe qu'en coup de vent chez moi et ne suis pas très souvent sur le net .
Bisous à ma première lectrice , 3 ans et demi déjà ...
Gil
Écrit par : gil Brieuc | vendredi, 20 novembre 2009
@ Gil : déjà ? Le temps passe si vite... Profite bien, tu as toute mon amitié.
Écrit par : tinou | vendredi, 20 novembre 2009
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