jeudi, 26 novembre 2009
425. Célestine Chardon -6-
Chapitre 6
C'est avec une certaine appréhension que Célestine attendait l'arrivée de ces nouveaux voisins. Elle savait, pour l'avoir vécu précédemment, que parfois des conflits peuvent apparaître, engendrés bien souvent par une incompréhension mutuelle. Ainsi, quand elle était arrivée tout au début dans l'immeuble, le rez-de-chaussée était occupé à cette époque par un homme seul qui, n'ayant rien à faire, prenait un plaisir sadique à enquiquiner tous les locataires. Il guettait le matin de bonne heure le départ du locataire du premier qui partait de chez lui vers cinq heures pour se rendre à son travail situé à plus de cent kilomètres de là... Au moment où ce dernier passait devant la porte de l'acariâtre, il sortait brusquement de chez lui en gueulant comme un putois qu'il était insupportable d'être réveillé à une heure pareille tous les matins. Il avait même tenté de lancer une pétition visant à renvoyer ce pauvre homme, mais Célestine avait toujours refusé de la signer. Ce qui lui avait valu de devenir la nouvelle tête de turc de ce forcené. Forcené ? Le mot n'est pas trop fort car, l'alcool aidant, le rustre devenait de plus en plus violent et un matin il avait même tiré un coup de pistolet dans la cage d'escalier. C'en était trop ! La police fut aussitôt prévenue et notre homme se retrouva en psychiatrie durant quelques temps. A sa sortie, il était métamorphosé, ce n'était plus qu'un zombie. Il faut dire qu'il avait reçu un traitement médical de choc. A partir de ce moment, l'immeuble retrouva une certaine quiétude.
Sitôt rentrée, Célestine se précipita à la fenêtre pour l'ouvrir en grand de façon à entendre toute voiture ou camion se garant en-dessous. Puis elle prépara tranquillement son repas, repensant à son abonnement et à la sortie qui était prévue pour le lendemain et où elle devait, en principe, se rendre. Cela la stressait un peu d'avoir à rencontrer plein de nouvelles têtes, elle qui était toujours très discrète et qui n'aimait pas être le point de mire dans un groupe. Elle hésitait encore sur la décision à prendre. Irait-elle ou pas ? Et comment s'habillerait-elle ?
C'est à cet instant précis qu'une camionnette vint se garer tout contre le mur de son immeuble ; deux jeunes hommes, la trentaine environ, en sortirent et ouvrirent aussitôt les portes à l'arrière. Une autre voiture vint se garer juste derrière. C'était une belle voiture de sport, vert anglais avec une capote beige. Attirée par le bruit, Célestine alla jeter un coup d'œil sur son balcon. Une femme était au volant, elle manœuvrait de façon à se mettre le plus près possible du mur. A côté d'elle un homme, manifestement agacé par la manœuvre, essayait de tourner le volant dans l'autre sens.
A ce moment, elle entendit les cloches tinter ; il faut dire que Célestine avait supprimé la sonnerie de sa porte d'entrée et l'avait remplacée par des clochettes qu'elle avait rapportées d'un séjour en Forêt Noire.
— Ils viennent chercher la clé, se dit-elle en se dirigeant vers la porte et en saisissant au passage la clé qui était posée sur la table.
—- Bonjour, fit le plus grand des garçons, nous sommes les nouveaux locataires du premier et nous venons chercher la clé. Il parait qu'elle est chez vous.
— Oui, c'est exact, l'ancienne locataire me l'a confiée tout à l'heure en me précisant que vous passeriez la prendre. Tenez, la voici ! fit-elle en leur tendant l'objet.
— Bien, nous vous remercions. Nous allons encombrer un peu la cage d'escalier, j'espère que le bruit ne vous dérangera pas trop ! ajouta le deuxième garçon tout souriant. Mais nous ne devrions pas en avoir pour bien longtemps. Mon père a peu de meubles en fait !
Son père ? Il s'agissait de l'emménagement de son père ? Et alors, c'est qui ce père ? Peut-être celui qui était dans la voiture verte...
Dès qu'ils furent redescendus, Célestine se précipita de nouveau sur son balcon pour voir ce qu'il en était. La femme était assise sur le capot de la voiture, elle avait allumé une cigarette et observait l'homme qui commençait à décharger des caisses du camion. Il était d'une carrure assez impressionnante, il devait bien mesurer un mètre quatre-vingt quinze au bas mot, assez corpulent, pas loin du quintal se dit Célestine.
C'était un barbu, mais une barbe très courte ainsi que ses cheveux, coupés presque à ras. L'ensemble était cependant harmonieux et d'emblée il fit une bonne impression à Célestine, qui lui donna environ une cinquantaine d'années. Elle l'imagina très bien déguisé en Père Noël et cela la fit sourire.
La femme, quant à elle, semblait beaucoup plus jeune ; c'était ce genre de femmes que Célestine classe dans la catégorie des poupées Barbie, c'est à dire ces femmes insipides qui se ressemblent toutes et qui n'ont pour rôle essentiel que de mettre en valeur l'homme qu'elles accompagnent et cette Barbie-là semblait visiblement de fort mauvaise humeur. Elle était vêtue de vêtements moulants et aux couleurs criardes que Célestine jugea très vulgaires. Et cette tenue n'allait pas avec la couleur de la petite voiture de sport.
Ah, si c'était elle, Célestine, qui était l'heureuse propriétaire d'un si bel engin, elle assortirait assurément ses vêtements avec le ton de vert de l'auto ! Et la voilà qui se met à imaginer un instant qu'elle est au volant, la capote est baissée, elle file à vive allure sur une autoroute, direction le sud, le soleil... À son passage, les routiers font des appels de phares et klaxonnent, elle leur répond par un geste de la main.... Un moment où l'on se sent libre comme l'air !
La jeune femme leva les yeux à ce moment et un bref instant son regard caché derrière des lunettes de soleil se posa sur Célestine qui se sentit fautive. Fautive de quoi au juste ? D'être aussi curieuse ? Après tout, il n'y avait rien de méchant à observer de nouveaux arrivants, mais toutefois, pour se donner une contenance, elle fit mine d'enlever les fleurs fanées de ses pots de géraniums.
— Coucou Célestine !... C'était la petite d'en face, installée à une table à la terrasse du café de ses parents, qui venait de l'interpeller. Elle avait étalé devant elle ses crayons de couleur, des feuilles blanches et s'apprêtait à se livrer à sa passion favorite : le dessin.
— Ne bouge pas Célestine, je vais faire ton portrait, dit l'enfant.
A ces mots, les gens du bas levèrent les yeux en direction du balcon. L'homme qui jusqu'alors se contentait de sortir des cartons du camion s'était arrêté dans son élan et Célestine sentait peser sur elle un regard. Elle baissa les yeux et leurs deux regards se croisèrent. Le cœur de Célestine se mit à battre à tout rompre, elle sentit le rouge lui monter au visage. Le temps semblait s'être arrêté d'un seul coup. En bas, l'homme continuait à la dévisager avec insistance et un certain étonnement. Célestine soutint son regard, elle eut l'impression que cet instant durait une éternité.
— Bon, tu te magnes un peu, on ne va pas passer la journée ici !...C'était l'autre, la poupée Barbie qui perdait patience. Elle venait de rompre le charme. Il reprit un carton et le passa à un des jeunes qui faisaient la navette entre le camion et le premier étage.
Célestine avait quitté son poste d'observation. Elle était très troublée par ce sentiment étrange qui l'habitait à présent. Elle n'arrivait pas à s'expliquer pourquoi ce simple échange de regards l'avait à ce point perturbée. Les cloches de la Forêt Noire retentirent à nouveau. Elle alla ouvrir la porte : c'était mademoiselle Froju.
À suivre
07:40 Publié dans Petites nouvelles de rien du tout | Lien permanent | Commentaires (4)
Commentaires
Ah oui les appels de phare et coups de klaxon ! Un grand classique qui m'énerve toujours autant (soupir...)
Écrit par : Cigale | jeudi, 26 novembre 2009
Qu'est-ce à dire ce soupir ? ...
Écrit par : tinou | jeudi, 26 novembre 2009
J'exprime un soupir de lassitude (j'aurais pu écrire pffff...) devant ces faits.
Écrit par : Cigale | vendredi, 27 novembre 2009
Pfff.....
Écrit par : tinou | vendredi, 27 novembre 2009
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