samedi, 28 novembre 2009
429. Célestine Chardon -8-
Chapitre 8 : Ivan Sergueï Souborovski.
Il était un peu plus de minuit quand l'avion atterrit à Marrakech. Comme à chaque fois Mohamed attendait Ivan sur le parking face à l'aéroport. Il le conduisait ensuite jusqu'à la Médina. C'est à cet endroit, tout proche de la place Djemaa-el-Fna que l'artiste aimait à venir pour se ressourcer. Il y retrouvait ses racines, des odeurs qui ne l'avaient jamais quitté, qui hantaient ses rêves, les couleurs criardes et violentes de cette ville, la population grouillante des ruelles.
C'est ici qu'il était né, voilà plus de cinquante ans. Il aurait tout aussi bien pu naître à Varsovie ou encore à Paris, mais le destin en avait décidé. Le destin !
Le père d'Ivan, Léon, était d'origine russe. Il avait vécu à Tours où son père exerçait la profession de tailleur depuis 1920, dans une petite boutique située dans une rue du vieux Tours. A sa majorité, Léon avait repris le commerce familial. Puis la guerre était survenue et Léon et sa famille, d'origine juive, avaient dû se cacher. Ils avaient été recueillis un certain temps dans une ferme du Lochois, jusqu'au jour où leur présence fut repérée et les parents de Léon furent arrêtés par la police française. Ce fut le départ pour Drancy puis Buchenwald. Ils ne revinrent jamais. Léon, quant à lui, avait réussi à échapper à l'arrestation. Traqué un temps, il put rejoindre un réseau clandestin dans le maquis et bientôt devint un meneur actif dans la résistance. Il avait tout juste vingt-quatre ans.
En janvier mille neuf cent quarante quatre le réseau fut démantelé car parmi ses membres un mouchard s'était infiltré et les arrestations s'amplifièrent soudain de façon anormale. Cette fois-ci Léon fut arrêté. Il séjourna quelques temps à Tours, dans les locaux de la Gestapo rue George Sand, puis fut expédié vers Auschwitz.
Léon survécut à l'enfer. Lorsque le camp fut libéré, il fit la connaissance d'une jeune polonaise, Irena Gradalska, d'une beauté saisissante malgré son extrême maigreur et son regard vide. Elle semblait ne plus exister, ne savait plus où aller...Léon tomba amoureux d'elle et la prit sous sa protection. Ensemble ils rejoignirent la France, puis Tours.
Lorsque Léon et sa protégée se retrouvèrent devant sa maison d'enfance, celle-ci était occupée par d'autres gens, le commerce avait disparu. Tous les biens de la famille de Léon avait été réquisitionnés. Il ne possédait plus rien !
Il décida alors de quitter ce pays où plus rien ne le retenait désormais. Léon épousa Irena et ils prirent un grand bateau qui les emmena vers le soleil, la lumière, la vie... C'est ainsi qu'ils se retrouvèrent à Marrakech. Là, Léon reprit son ancien métier et en mille neuf cent quarante sept Irena mit au monde un petit garçon auquel ils donnèrent les prénoms de ses deux grands pères : Ivan, le père de Léon, et Sergueï, le père d'Irena qui avait été un très grand architecte avant, avant que ... Le ghetto de Varsovie ! Il ne fallait jamais prononcer le nom de cette ville devant Irena. Elle avait vu trop d'horreurs et subi tant d'outrages pour rester en vie ! Tous les siens étaient morts de faim au début de la construction de l’enclave juive dans cette ville. Elle n’avait dû sa survie qu’à sa beauté. Léon ne sut jamais ce qui s’était réellement passé à cette période, mais il s’en doutait un peu.
Irena ne se remit jamais de la disparition de tous les siens. Elle sombra peu à peu dans un état léthargique. Le petit Ivan était confié à une arabe, Fatma, qui vivait avec le couple et s’occupait des tâches ménagères. Fatma apprit l'arabe au jeune garçon et lui fit découvrir tous les coins et recoins de cette ville labyrinthique.
Et puis, un jour de mille neuf cent cinquante cinq, Fatma retrouva Irena endormie sur son lit. Son visage si pâle paraissait serein, un léger sourire venait l'illuminer. Elle était morte sans bruit comme pour ne pas troubler l'ordre de cette maison.
Dés lors, tout s'accéléra : Léon, fou de douleur, décida de quitter le Maroc et de revenir en France. Les évènements politiques semblaient le conforter dans cette idée. Un autre bateau emmena Léon et le petit Ivan de l'autre côté de la Méditerranée. Les adieux à Fatma furent déchirants. Elle promit de s'occuper de la tombe d'Irena.
Le deux mars mille neuf cent cinquante six le Maroc proclamait son indépendance. Ce jour là, Léon venait de trouver un appartement à louer dans le vieux Tours. A cette époque le quartier faisait un peu penser aux ruelles de la Médina, la population y était tout aussi bigarrée...Seul, le soleil avait perdu de son éclat.
C'est ainsi que le père et le fils se retrouvèrent dans la rue des Trois Pucelles, à cet endroit précis où ce matin même Ivan avait emménagé. Un retour aux sources, pensa t-il tout en regardant les lumières de la ville au loin, tandis que Mohamed conduisait silencieusement.
(Changement de décor, changement de musique).
Il était donc heureux de revenir à Marrakech, il avait à chaque fois l'impression de rajeunir et même si la ville avait beaucoup changé depuis l'arrivée des charters de touristes, il y avait encore tant de recoins qui restaient vierges de toute invasion occidentale.
Mohamed laissa Ivan au coin d'une ruelle et partit garer la voiture un peu plus loin. Ivan s'engouffra dans un dédale de petites rues sombres.
Au bout de quelques minutes il s'arrêta devant une grande porte en bois de cèdre. Comme par enchantement la lourde porte s'ouvrit alors en laissant entrevoir une cour intérieure où seul le clapotis d'une fontaine faisait entendre sa douce musique.
— Enfin chez moi, murmura-t-il dans un profond soupir. Dans le lointain on percevait le bruit d'une étrange mélopée.
À suivre
13:45 Publié dans Petites nouvelles de rien du tout | Lien permanent | Commentaires (0)
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