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vendredi, 11 décembre 2009

454. Célestine Chardon -15-

           LA VIE BIEN ORDINAIRE DE CÉLESTINE CHARDON


podcast

Chapitre 15 : Marrakech

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A Marrakech, Ivan était en pleine fièvre créative. Mohamed lui avait présenté le responsable du jardin  Majorelle, aussi avait-il  accès libre et gratuit dans ce jardin au cœur de la ville, à l'heure où les touristes ne sont pas admis. Il s'y rendait chaque matin et croquait dessin sur dessin sur son carnet. Il se sentait fébrile, pris par le désir de rendre au mieux ce qu'il ressentait dans cet endroit magique. Le jardin était une vraie palette de couleurs avec des nuances de bleu et de jaune extraordinaires. Il savait par expérience que cette fièvre ne durerait pas et qu'il fallait qu'il  dessine intensément, d'autant plus qu'il devait exposer à Berlin en automne. Et c'est dans cet endroit qu'il puisait son inspiration, qu'il changeait tout à fait de style...Sa peinture jusqu'alors abstraite et sombre, où l'on ressentait ses dérives, devenait tout à coup flamboyante, figurative, pleine de force, d'exaltation. C'est cela, il était devenu exalté ! Comme si, d'un seul coup, il avait été touché par une baguette magique qui l'avait sublimé.

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Il revenait ensuite chez lui. Al-Chayma, la jeune et belle épouse de Mohamed lui préparait alors du thé à la menthe qu'elle allait ensuite lui monter sur la terrasse. Là, il peignait...il y avait plusieurs toiles commencées. Dans le coin ombragé, il avait disposé les premiers tableaux finis et de temps à autre, il leur jetait un coup d'œil, satisfait du résultat. 

celestine15a.jpgPlusieurs fois, Al-Chayma lui avait servi de modèle. A cette occasion elle revêtait un costume traditionnel et se maquillait. Elle était très belle, avec sa longue chevelure de jais qui lui tombait au bas des reins. Souriante mais discrète, elle formait avec Mohamed un couple qu'il enviait. Dans la maison, c'est elle qui était chargée de toutes les tâches ménagères. Elle savait faire à merveille les cornes de gazelle, le pêché mignon d'Ivan depuis sa petite enfance. Il la regardait quand elle cuisinait et il revoyait Fatma,  celle qui l'avait pratiquement élevé, celle qui lui avait appris à connaître et à aimer ce pays. Il aimait aussi reparler arabe et Al-Chayma riait aux éclats quand il se trompait !

Bref, il aurait voulu que le temps cessât de tourner. Oui, mais voilà, il était pris par le travail et surtout par les soucis. Il devait à tout prix se séparer de sa femme Simone, dont les frasques faisaient depuis quelques mois la une de tous les journaux à scandales. En ce moment, elle était à Ibiza, partie rejoindre des amis et il n'avait aucune peine à imaginer ce qu'elle y faisait. Il en avait soupé de cette vie superficielle, il aspirait à autre chose, mais il ne savait pas exactement quoi, quelque chose de plus simple en tous les cas.

Simone, qui se faisait appeler Cindy, avait obtenu ce qu'elle souhaitait. Elle était connue dans le monde du show bizz et Ivan allait devoir lui verser une pension alimentaire qui lui permettrait de vivre aisément jusqu'à la fin de ses jours.

— La garce ! songea t-il, elle a  bien manœuvré. Mais après tout, c'est de bonne guerre.

Que pouvait-il imaginer d'autre ? Il l'avait épousée sur un coup de tête à une époque de sa vie où il dérivait complètement, pris entre l'alcool et la drogue. Ils s'étaient rencontrés dans une soirée chez des amis communs. Elle était alors mannequin et il fut attiré par son physique. Elle savait qu'il était déjà célèbre dans le domaine artistique et elle sut le rendre dépendant de ses charmes. Hélas Ivan s'aperçut très vite qu'il n'avait aucun point commun avec elle. Ils décidèrent donc de vivre chacun de leur côté. Il leur arriva plusieurs fois de se croiser lors de vernissages ou de soirées privées. Elle changeait d'amants très souvent. Leurs deux enfants, des garçons, avaient été mis en sécurité à la campagne. Ils étaient élevés par les parents de Simone, deux braves vieux scandalisés par la vie dissolue de leur fille et qui adoraient leurs petits-enfants. Ivan allait leur rendre visite régulièrement et chaque année il emmenait ses fils en voyage avec lui à travers le monde.

Plus de vingt années s'écoulèrent ainsi. Simone avait perdu de son éclat. Elle avait grossi sous l'effet de l'alcool et des barbituriques. Sa carrière de mannequin avait été aussi brève que fulgurante et elle voyait en Ivan sa seule bouée de sauvetage. Mais elle savait également qu'elle n'aurait jamais son pardon. Elle fit donc en sorte de lui gâcher la vie jusqu'à ce qu'il accepte ses conditions... Ce qu'il fit, car il était fatigué Ivan, fatigué de ce monde factice. Il était en quête d'authenticité mais sans savoir où précisément la trouver. En ce moment à Marrakech, il flirtait avec l'authentique mais cela ne pouvait pas durer.

C'est donc avec une grande joie qu'il reçut l'annonce de Marc. Celui-ci lui décrivit brièvement les lieux, l'état des bâtiments, le fait qu'il y avait non seulement un étang, mais encore un accès direct dans la plus belle forêt de Touraine puis il termina par le prix:

—Trois millions d’euros, mais c'est à débattre ! s'empressa d'ajouter Marc. Le gros œuvre est en bon état.

— OK, je serai à Tours lundi. Passez-me voir dans la journée avec le dossier. Appelez-moi avant.

Et il raccrocha. Il devait déjà quitter sa chère maison. Il poussa un soupir, mais en même temps il était heureux à l'idée de découvrir un nouvel endroit pour y vivre enfin autrement qu'à Paris.

Pendant ce temps, à Tours, Alain était rentré des Landes. Il pestait après cette semaine où il n'avait pas cessé de pleuvoir. En y réfléchissant, la pluie était apparue quand Célestine était partie.

— Elle porte la poisse cette bonne femme ! maugréa t-il tout en sortant ses affaires de la caravane. La bâche qui servait d'auvent était encore trempée et sentait déjà le moisi. Cela finit de le rendre d'une humeur de chien. Il était aux environs de dix neuf heures quand il appela Célestine.

— Ça y est, je suis de nouveau chez moi : tu veux passer ?

— Oui, je veux bien. Tu n'es pas trop fatigué ? Sinon on remet ça à demain.

 — Non, je suis en pleine forme. Par contre, apporte de quoi dîner car je n'ai rien dans mon frigo!

Une heure plus tard Célestine arrivait devant son immeuble. Elle trouva Alain plutôt pâlot mais se garda bien de faire la moindre réflexion. Durant le dîner il lui raconta ses occupations, à vrai dire assez restreintes. Par chance il avait emporté son ordinateur portable ce qui lui avait permis de travailler. Célestine se retint de lui dire que c'est bien les vacances pour travailler, c'est fait pour ça d'ailleurs sinon on s'ennuie ! Il lui proposa de rester dormir. Elle espérait un geste de douceur, un petit baiser dans le cou. Hélas elle dut vite déchanter. Une fois installés dans le lit, il se mit à parler d'un dossier particulièrement important qu'il avait à traiter et se lança dans des explications longues, fastidieuses et parfaitement incompréhensibles pour Célestine. Puis, silence.... Elle se retourna et s'aperçut qu'il s'était endormi ! Un comble. Il l'avait abrutie avec ses histoires durant toute la soirée et là, maintenant, monsieur dormait !

Elle était stupéfaite, puis la colère l'envahit peu à peu. Elle attendit une petite heure. Enfin, sans bruit, elle se leva, s'habilla à la hâte dans le noir, prit ses chaussures à la main, se dirigea à tâtons dans le couloir  et elle sortit en claquant la porte de toutes ses forces ! Elle dégringola les escaliers à toute allure et se retrouva dans la rue avant même qu'il ait eu le temps de se réveiller et de se rendre compte qu'elle était partie.

À suivre

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