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mardi, 15 décembre 2009

462. Célestine Chardon -17-

           LA VIE BIEN ORDINAIRE DE CÉLESTINE CHARDON
Chapitre 17 : la mort de Léon
podcast
Avant de sortir pour acheter le pain, Célestine se mit en tête d'écrire une lettre à son futur voisin. Elle voulait lui présenter ses excuses après l'incident survenu à propos de Théo :

Bonjour,

Je suis la propriétaire du chat qui s’est retrouvé enfermé dans votre appartement. Je vous prie de bien vouloir accepter toutes mes excuses pour le désagrément causé. La serrure de votre porte a dû être changée. Tous les travaux ont été effectués en présence de Monsieur Marc Legendre, votre agent immobilier. D’autre part j’ai réglé tous les frais occasionnés. Vous trouverez les nouvelles clés dans cette enveloppe.

Mes sincères salutations

Célestine Chardon

Un peu plus tard, elle glissa l'enveloppe dans la boite à lettres située à l'entrée de l'immeuble. C'était la seule boîte sans nom d'inscrit. Elle songea alors à son vieil ami Léon Souborovski et pensa avec nostalgie que bientôt le même nom figurerait de nouveau au même endroit. Les choses sont souvent un éternel recommencement, se dit-elle en refermant la lourde porte cochère et en se dirigeant rapidement vers la boulangerie.

Il y avait foule, comme d'habitude le dimanche matin et elle dut faire la queue sur le trottoir. Mais qu'importe, elle était partie dans ses souvenirs et avançait peu à peu, machinalement. Elle revoyait Léon dans son appartement. Quand elle était arrivée à cet endroit, il vivait déjà là tout seul et Célestine n'avait jamais eu l'occasion de rencontrer son fils. Tout ce qu'elle savait de lui, elle l'avait appris par Léon et c'était fort peu de choses en fait. Léon avait fait un trait sur son fils, il l'avait rayé de sa vie et comme c'était une vieille tête de mule, il n'avait jamais voulu revenir sur sa décision. Ce que Célestine ignorait c'est qu'Ivan avait fait plusieurs tentatives pour revoir son père. Mais le vieil ours raccrochait le téléphone dès qu'il reconnaissait la voix de son fils. A deux ou trois reprises Ivan était venu jusqu'à la porte du logement qui était restée close...Et puis le tourbillon de la vie l'avait entraîné vers d'autres horizons, il avait fini par oublier peu à peu son père, sa voix, son visage seul restait gravé dans sa mémoire et il en rêvait parfois la nuit.

C'est le notaire qui l'avait prévenu du décès. Il était à ce moment-là pris par une exposition à New York et il lui était impossible de se décommander; Il avait donc chargé le notaire, qui était un ancien copain de lycée,  de toutes les formalités. Il passerait le voir à son retour.

C'était par un glacial après-midi de janvier 2000. Le convoi funèbre avançait lentement dans l'allée principale du cimetière Lasalle...Quatre personnes suivaient la voiture. Tout d'abord le notaire, emmitouflé dans son grand pardessus noir, qui discutait politique avec le voisin du premier. Juste derrière Célestine donnait le bras à la femme de ce dernier. Elle avait les yeux rougis par le froid mais aussi par le chagrin. La voisine répétait comme un leitmotiv:

— Quand même ! Vous parlez d'un fils, vous ! Il ne se déplace même pas pour l'enterrement de son père.

Léon aurait tout aussi bien pu être le père de Célestine, elle avait appris à le connaître et elle l'aimait beaucoup. Des fois elle l'invitait à venir partager son dîner le soir et elle l'écoutait raconter ses histoires de guerre, sa vie dans les camps. Elle se souvient encore du matricule qui était tatoué sur son avant-bras gauche. Quelquefois Léon apportait des photos. C'est ainsi qu'elle avait vu le petit Ivan sur la plage à Mogador et puis le visage troublant d' Irena, la femme de Léon. Un soir Léon arriva avec un paquet à la main, enrobé dans du papier journal. Il le tendit à Célestine en disant:

— Tiens, Célie, reçois ce petit cadeau en souvenir de moi. J'y tiens beaucoup car cela vient de mon épouse. Regarde, fit-il en défaisant la ficelle qui attachait le paquet, voici le portrait de la grand-mère de mon épouse; elle s'appelle Tatiana Polanska, c'était une vieille paysanne polonaise. Je trouve que par certains côtés tu lui ressembles, pas physiquement bien sûr ! fit-il alors en riant et en lui montrant le tableau.celestine17.jpg

Célestine était toute émue. Elle voulut refuser mais Léon insista tellement car elle finit par accepter et trouva tout de suite l'endroit où accrocher le tableau : dans son salon, près de la fenêtre. Léon profita de l'instant présent pour lui installer aussitôt. Ainsi quand on entrait dans la petite pièce, le regard se posait tout de suite vers ce visage austère de femme slave au regard inquisiteur.

Les années s'écoulaient doucement dans cet immeuble de la rue des Trois-Pucelles. Léon s'affaiblissait peu à peu. Quand elle en avait l'occasion, Célestine allait se promener avec lui à travers la ville et sur les bords de la Loire. Ils marchaient de plus en plus lentement. Puis les promenades se firent de plus en plus rares et les trajets devinrent de plus en plus courts jusqu'au jour où Léon n'eut plus la force de se lever. Les retraités du premier ainsi que Célestine se relayaient pour lui faire ses courses. Célestine possédait un double des clés ce qui lui permettait d'intervenir en cas de maladie...Elle ne se servit de cette clé qu'une seule fois. C'était un dimanche matin, fin décembre, Noël était passé depuis peu. Elle avait préparé un bœuf bourguignon et en apportait une part à son ami. Quand elle frappa à la porte, personne ne répondit. Elle pensa alors qu'il dormait peut-être encore. Elle ouvrit donc la porte avec sa clé, frappa assez fort et entra en criant:

— Monsieur Léon, c'est moi ! Où êtes-vous ? Mais Léon ne répondit pas, elle le trouva dans son lit, il haletait, les yeux dans le vague. Il avait vomi du sang et un mince filet coulait entre ses lèvres. Prise de panique, Célestine se précipita hors de l'appartement et alla sonner chez les voisins. Ils prévinrent aussitôt les pompiers et Léon fut transporté aux Urgences de l'hôpital Trousseau. Célestine avait accompagné les pompiers dans l'ambulance. Elle resta plusieurs heures dans la salle d'attente pour obtenir des nouvelles. Puis enfin un interne s'approcha d'elle:

— Vous êtes la personne qui accompagnait Mr Souborovski ?

— Oui fit-elle, très anxieuse. Comment va t-il ?

— Nous avons fait tout ce que nous pouvions, mais je crains que ce ne soit pas suffisant. Actuellement il est dans le coma et nous sommes plutôt pessimistes quant à l'avenir.

— Ah bon, fit-elle en n'arrivant pas à ravaler ses larmes qui dégoulinaient tout le long de son visage.

— Je suis véritablement navré ...fit l'interne. Je dois vous ennuyer encore avec la paperasserie. Vous devez passer au secrétariat pour remplir le formulaire d'admission. Vraiment je suis désolé mademoiselle....

Mais Célestine avait déjà fait demi-tour, prise par une crise de sanglots qu'elle ne pouvait maîtriser. Elle sortit dehors prendre un peu l'air. Elle revivait la même scène qu'elle avait vécue quelques années auparavant à la mort de son père. Tout se mélangeait dans sa tête à cet instant. Elle crut être retournée dans le temps...

Un peu plus tard, elle se présenta au guichet. Elle donna son numéro de téléphone pour qu'on la prévienne en cas de décès, indiqua qu'elle ne lui connaissait qu'un fils mais elle ignorait son adresse.

Il était fort tard quand elle rejoignit son appartement. Mais elle se rendit quand même chez Léon, nettoya le sol sur lequel gisaient  les restes froids du bourguignon, ôta les draps salis et refit le lit afin de laisser tout bien propre et en ordre. Elle savait Léon très méticuleux et voulait en cela que tout soit comme il aurait souhaité. Puis elle consulta le répertoire posé près du téléphone. Peut-être trouverait-elle un numéro, une adresse ?  Le petit carnet était pratiquement vierge ! Seuls y figuraient deux numéros de téléphone. Le premier était inscrit à la page des I: Ivan, n° 01........ et le deuxième était à la lettre N: notaire M......02.47.....

Elle connaissait le notaire, c'était le sien. Elle se dit qu'elle appellerait le lendemain matin à la pause de dix heures. Quant au premier numéro, il s'agissait certainement du fils de Léon, Ivan. Elle devait appeler pour en être certaine. Elle prit le calepin dans sa poche, éteignit la lumière et referma doucement la porte.

Elle était très anxieuse à l'idée d'avoir à prévenir quelqu'un pour lui annoncer que son père, qu'il n'avait pas vu depuis belle lurette, était sur le point de mourir. Mais si elle ne le faisait pas, personne aurait pu le faire à sa place. C'est l'importance de cet acte qui la rendait nerveuse. Elle regarda l'heure : vingt-deux heures ! C'était un peu tard pour appeler ! Oui, mais la situation était grave ...

— Allo, oui ? Oui vous êtes bien chez Ivan Souborovski, c'est à quel sujet ? En arrière-fond Célestine percevait des bruits confus de musique, de rires. C'était une femme qui parlait, elle parlait fort, elle avait une voix rauque, la voix de celles qui fument ou ont fumé beaucoup.

— Je m'appelle Célestine Chardon, je suis la voisine de Mr Léon Souborovski à Tours. Je voulais prévenir son fils que son père a eu un...

— Ah , mais mon mari n'est pas là, il est en ce moment à New York et quand bien même le voudrais-je, je suis dans l'incapacité de vous dire où il est exactement ! Désolée de ne pouvoir vous aider!  Et elle raccrocha.

Célestine était stupéfaite ! Elle ne s'attendait pas du tout à ça...Il ne lui restait donc que le notaire à prévenir.

Léon Souborovski ne sortit pas du coma dans lequel il était plongé. Il mourut trois jours plus tard, au petit matin. Entre temps, Célestine avait informé le notaire qui lui confirma qu'il prenait les choses en mains et préviendrait son fils qu'il connaissait très bien.

— Alors mademoiselle Chardon ? Encore en train de rêvasser ? Je vous mets quoi ce matin ?

Brusque retour à la réalité. La boulangère la regarde en rigolant.

— Oh, oui, pardon c'est à moi ! Donnez-moi une baguette s'il vous plaît ! Et rajoutez un croissant aux amandes.

À suivre

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