mercredi, 23 décembre 2009
472. Célestine Chardon -22-
LA VIE BIEN ORDINAIRE DE CÉLESTINE CHARDON
Célestine Chardon 22 : l’envie d’écrire
En sortant de la bouche du métro, Célestine tombe soudain en arrêt devant une affiche :
La Martinique ! Tiens, c’est amusant cette coïncidence. Et elle reprend alors le cours de sa rêverie tout en continuant son chemin à travers la foule des badauds.
Lucie et Marc viennent de pénétrer dans l’aéroport. Soudain Lucie s’exclame :
— Regarde le père Noël, Marc, il est tout noir ! Et cela la fait rire. Une fois la porte du hall franchie ils sont saisis à la gorge par la chaleur humide qui règne à l’extérieur. Il fait environ vingt-huit degrés. La veille au soir, à Paris, il neigeait. Lucie s’empresse de se déshabiller sur le trottoir. Célestine lui avait bien dit dans son dernier appel téléphonique :
— Sous tes vêtements, prévois un T-shirt et un short car tu vas être surprise par le changement de température.
Soudain Marc aperçoit la tête d’Ivan émergeant de la foule compacte qui se presse devant la porte des arrivées. C’est la joie des retrouvailles après trois ans de séparation, Célestine y va de sa larme, elle est tellement émotive. Lucie commence à lui raconter son épouvantable voyage depuis leur départ de Paris tandis qu’Ivan questionne Marc à propos du cours de l’immobilier qui aurait flambé depuis leur départ.
Il pleut sur Paris en ce triste jour de décembre, mais Célestine n’en a que faire. Elle est si loin de la réalité qu’elle ne s’est même pas aperçue que demain c’est Noël. Elle vient soudain d’avoir une idée qui la rend toute excitée.
— Je vais écrire mes rêves !
Elle fait alors demi-tour et pénètre à l’intérieur de la supérette qu’elle a dépassé quelques mètres auparavant. Là elle se procure quelques cahiers de brouillon et achète deux crayons de papier ainsi qu’une gomme. Le magasin est rempli de monde et elle est obligée de faire la queue à la caisse. C’est à ce moment précis qu’elle remarque les décorations de fête. Mais cela ne provoque chez elle aucune émotion particulière. Elle n’a qu’une hâte, c’est de rentrer chez elle, d’ouvrir un des précieux cahiers et de remplir peu à peu les pages de rêveries qu’elle relira avec délectation. Sans en prendre vraiment conscience, elle vient de s’exclure encore un peu plus de la réalité.
À partir de ce jour, elle n’aura plus qu’une seule obsession : devenir une autre, être une Célestine toujours jeune, toujours belle, qui pourra réaliser tout ce que la vie normale ne lui a pas permis de faire. Cette idée la rend dans un état d’extrême excitation et, tout en sortant du magasin, elle imagine déjà le titre qu’elle donnera : La vie rêvée de Célestine Chardon.
— Il va falloir que je mette un terme à cette aventure avec Ivan, songe-t-elle tout à coup. Après tout l’histoire se termine bien. Il n’y a rien à rajouter. Ah si, je pourrais inventer une séparation. Cela me permettrait de repartir sur une nouvelle aventure.
Sitôt rentrée, elle se met à l’aise, se prépare un café puis s’installe sur la table de la cuisine. Les idées se bousculent dans sa tête.
— Je vais appeler ce texte « La fêlure », ça sonne bien. Et elle écrit :
Edward Hopper, Automat, 1927
Elle est assise dans ce grand café désert, seule à une table. Elle regarde machinalement le fond de sa tasse, vide, mais ses pensées sont ailleurs. C'était il y a un peu plus de trois ans maintenant...Leurs chemins s'étaient croisés fortuitement. Elle était seule, s'ennuyait, avait besoin d'affection pour reprendre goût à la vie. Lui menait une existence monotone près d'une femme pour qui il n'éprouvait plus de sentiments. Dans ce couple, chacun menait sa barque de son côté sans avoir de comptes à rendre à l'autre. Et les apparences étaient sauves. Il fut attiré par ses yeux verts, son sourire, son côté naïf et puéril. En même temps elle donnait l’impression d’être une femme libre, sans tabous, désireuse de mordre la vie à pleines dents et de goûter à tous les plaisirs. Elle, de son côté, avait été charmée par sa douceur, son intelligence, sa grande érudition, sa façon aussi de se foutre du quand dira-t-on. Toutes ses amies, bien que ne l’ayant jamais vu, connaissaient tout de lui tellement elle leur en parlait. Elles en seraient presque arrivées à être jalouses de son bonheur, si bonheur il y eût ! Ils firent plein de choses ensemble, des balades, des voyages. Il lui redonna le goût de la lecture. De son côté, elle se remit à faire la cuisine. Pour lui elle fit des efforts d’habillement. Ils étaient tous deux de la même génération et avaient reçu la même éducation stricte. Un autre point commun les unissait : ils avaient eu une enfance solitaire. De plus, ils avaient la même vision pessimiste du monde dans lequel ils vivaient en attendant le voyage final. Il lui confiait ses soucis, elle l’écoutait en silence. Elle lui racontait ses occupations, il y prêtait de l’attention et savait à l’occasion lui donner de précieux conseils. Il lui redonna confiance en elle, elle qui s’est toujours jugée inférieure à tous ceux qui l’entourent. Le temps fit son travail de sape. Une certaine routine s’installa peu à peu dans leur relation. La joie de se retrouver après une semaine de séparation n’était plus aussi intense qu’au début. Elle se montra plusieurs fois sous un jour qu’il ne lui connaissait pas : elle fut irritable. Il eut dans sa vie des épreuves à surmonter qui le rendirent un peu plus pessimiste. Il prit également conscience qu’elle ne changerait pas sa façon d’être et qu’il cherchait désespérément autre chose qu’elle se refusait à lui offrir. Comment lui dire sans la peiner ? Cela éclata peu avant Noël sur le quai d’une gare. Il était las, le temps était lugubre, elle était désagréable. Il lui parla franchement. Elle comprit ce qu’il lui expliqua, mais c’est comme si elle recevait un coup de poignard dans le cœur ; la fêlure était là. Une fêlure, ça se colmate, mais les traces demeurent à vie. Ils se reverront probablement, mais ce ne sera plus jamais comme avant. Depuis leur séparation elle ne fait plus de cuisine, ne sort plus beaucoup, s’habille toujours de la même façon et elle écrit. Dans ce grand café désert, elle regarde la chaise vide face à elle. Sa présence lui manque, elle n’a rien à lui reprocher. Mais elle se dit également qu’elle n’a rien non plus à se reprocher. Alors, tout en contemplant le fond de sa tasse, elle est prise d’un énorme chagrin et laisse couler ses larmes qui finissent leur chute sur le bord de la soucoupe.
À suivre
04:33 Publié dans Petites nouvelles de rien du tout | Lien permanent | Commentaires (4)
Commentaires
Tinou, la chanson "Petite fleur" de Sidney Bechet était la chanson préférée de mon papa et cette musique a résonné dans l'église le jour de ses funérailles :( Donc, plein d'émotions ont surgies en moi lorsque j'ai mis le lecteur de musique en route. Alors merci. Parfois les émotions ont besoin de ressurgir pour ne pas oublier totalement ceux qui ne sont plus.
Tu sais que je suis une rêveuse aussi, qui rêve d'une toute autre vie que la mienne... Mais j'ai les deux pieds bien ancrés sur Terre, le rêve est donc juste un petit agrément pour donner de la gaieté au quotidien.....
Bisous dame Tinou :)
Écrit par : Christine3769 | mercredi, 23 décembre 2009
Ah Christine, heureusement que nous avons droit à un peu de rêverie dans ce monde indifférent !
Écrit par : tinou | mercredi, 23 décembre 2009
joyeux noel Tinou de la part de oliv et juju
Écrit par : juju | jeudi, 24 décembre 2009
Merci, à vous aussi !
Écrit par : tinou | jeudi, 24 décembre 2009
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