dimanche, 27 décembre 2009
475. Célestine Chardon -23-
LA VIE BIEN ORDINAIRE DE CÉLESTINE CHARDON
Chapitre 23 : la fin
Depuis qu’elle avait décidé d’écrire, Célestine ne voyait plus les jours passer. Quand elle ne travaillait pas, elle passait le plus clair de son temps à noter des idées de scénarios sur un cahier qu’elle emportait dans son sac. Il lui arrivait parfois de se retrouver au terminus de la ligne du métro. Quand il faisait beau, elle allait flâner dans les allées du jardin des Plantes ou bien encore elle s’installait sur les berges de la Seine et regardait les péniches s’éloigner lentement vers des destinations inconnues. Les mois passèrent, puis les années… Lorsqu’elle se retrouva à la retraite, ce mouvement de repli sur soi ne fit qu’augmenter un peu plus, sournoisement sans qu’elle s’en rendit vraiment compte. Les petits cahiers remplis d’une écriture penchée et appliquée s’entassaient dans un coin de son appartement. Quelquefois elle en reprenait la lecture pour en changer des mots, barrer certaines phrases pour les remplacer par d’autres qu’elle jugeait plus fortes.
Bientôt le fait d’avoir à sortir devint pour elle une véritable corvée. Elle décida alors d’acheter de la nourriture qui peut se garder longtemps. Elle fit provision de boîtes de conserve, de soupes en sachets individuels. Elle perdit peu à peu la notion de l’heure et du temps. Elle pouvait tout aussi bien dormir la journée et écrire la nuit.
Parfois elle se réveillait en sursaut, et se précipitait alors sur son crayon pour noter les idées qui venaient de traverser son esprit.
Il y avait déjà longtemps qu’elle ne se regardait plus dans une glace. Ses cheveux avaient repris naturellement leur couleur grise, elle ne les coupait plus, se contentant de les attacher en queue de cheval avec un élastique.
Son corps perdit l’habitude de faire des efforts physiques et elle s’amenuisa très rapidement. Aller faire les courses devenait un véritable supplice. Elle ne sortit bientôt plus qu’une fois dans la semaine pour acheter le strict minimum pour survivre. Chez elle le réfrigérateur était tombé en panne et elle décida de s’en passer. Ce fut ensuite le tour du poste de télé, le seul lien qui la reliait encore au monde extérieur.
Les semaines et les mois passaient ainsi, plongeant Célestine dans le plus profond isolement. Un soir d’hiver, alors qu’elle était sortie pour acheter un nouveau lot de cahiers et faire quelques provisions, elle fut étonnée de constater que les magasins étaient fermés. C’était un dimanche.
Au retour elle fut prise sous une averse glaciale qui la trempa jusqu’à la moelle des os. De retour dans son appartement elle fut bientôt prise de frissons mêlés à de fortes suées. En cherchant dans son placard, elle trouva une boîte dans laquelle il y avait encore quelques sachets de thé. Elle se fit une boisson chaude et se mit au lit. Les jours suivants, son organisme eut à lutter contre une violente fièvre. N’ayant plus rien pour se soigner, elle se contenta de boire de l’eau du robinet et de dormir. La fièvre finit par disparaître, laissant Célestine extrêmement affaiblie. Elle était prise de vertiges lorsqu’elle voulait se lever et avait à peine la force d’aller de son lit à la fenêtre. Elle se recoucha donc, posant sur le lit tous les petits cahiers. Les premiers portaient une date écrite en gros sur la couverture, les derniers n’avaient plus de dates, mais un titre car elle avait perdu toute notion du temps.
La nuit venait juste de tomber. Célestine laissa la fenêtre grande ouverte pour mieux apercevoir les étoiles qui scintillaient dans ce ciel d’hiver dégagé. En regardant au-dehors, elle s’était aperçue que la ville brillait de mille feux et on entendait dans le lointain une musique sacrée et les cloches qui sonnaient.
Tiens, se dit-elle, ce doit être Noël !
Elle ouvrit le cahier en cours et se mit à écrire :
Quand j’étais enfant, à Noël, mes parents … Ses doigts sont ralentis par le froid glacial qui pénètre par la fenêtre. Ses paupières se ferment peu à peu… Mes parents avaient l’habitude de …
Quelques jours plus tard, un entrefilet dans les quotidiens parisiens annonçait :
Drame de la solitude : une vieille femme âgée d’environ soixante-quinze ans a été retrouvée morte dans son appartement parisien. La mort serait due à l’épuisement. On a retrouvé près du corps de la victime plusieurs centaines de cahiers manuscrits. L’adjoint au maire du XIXe arrondissement a déclaré que ces cahiers seront conservés à la mairie et pourront bientôt être consultables, leur valeur ne pouvant être mise en doute. Ils feront partie d’un ensemble intitulé « La vie ordinaire de Célestine Chardon ».
FIN
Je dédie cette nouvelle à tous les solitaires du monde.
18:31 Publié dans Petites nouvelles de rien du tout | Lien permanent | Commentaires (3)
Commentaires
Coucou,
la solitude ___c'est lourd à supporter___ça permet de se ressourcer dit-on.
il est tjrs facile de "penser des décisions" pour les autres
mais tant que cette situation n'est aps vécu___pas facile à envisager
BONNE JOURNEE TT DE MEME !
bisou
jocelyne
Écrit par : Jocelyne | lundi, 28 décembre 2009
La solitude lorsqu'elle est un choix non imposé peut avoir quelques côtés positifs voire bénéfiques mais dans ce cas ci, non.
C'est triste la fin de l'histoire :(
Bizoux dame Tinou et à quand tu veux !
Écrit par : Christine3769 | lundi, 28 décembre 2009
@ Jocelyne : je ne vois pas très bien où tu veux en venir !
@ Christine : difficle d'envisager une autre fin pour cette pauvre Célestine ! Et encore c'est édulcoré. J'avais écrit une fin plus atroce, mais j'ai eu pitié des lecteurs. Enfin je suis bien contente d'en avoir fini avec cette nouvelle car ça me déprime complètement.
Écrit par : tinou | lundi, 28 décembre 2009
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