mercredi, 24 février 2010
73. Une douloureuse rencontre
Ce matin je suis allée faire mon petit tour de marché pour acheter des tartelettes au fromage. Puis j'ai repris la voiture pour me rendre à la médiathèque. J'étais arrêtée au feu rouge devant mon ancienne école et soudain je l'ai vu : il était là, adossé au portail en fer, une boîte en carton à la main. Il faisait la manche...Une brusque bouffée d'émotion m'a alors envahie et les larmes me sont venues aux yeux. Comment peut-on en arriver à une telle déchéance ? Ce n'est pas tant le fait qu'il mendie qui m'a fait mal, mais c'est de voir son délabrement physique. Appelons-le Paul si vous le voulez bien. Quand je l'ai connu, il y a environ une vingtaine d'années, c'était un bel homme, grand et mince. Il était marié, avait une petite fille et un travail qui, sans lui rapporter des mille et des cents, suffisait amplement à mener une vie paisible. Seulement voilà, Paul devait faire partie de ces gens qui sont mal dans leur peau. Il émanait de lui une extrême tristesse. Je l'ai rarement vu sourire et jamais rire.
Sans doute chercha -t-il dans l'alcool un oubli de sa souffrance morale. Sans le vouloir je fus mise au courant de la situation par sa mère qui travaillait dans mon école. Elle venait me confier les soucis qu'elle avait avec lui et souvent elle se mettait à pleurer. Les cures de désintoxication, puis les séjours en psychiatrie se succédèrent tout au long de ses vingt années. Quand sa mère prit sa retraite, il avait mis un point d'honneur à l'accompagner. Il s'était sapé comme un dieu, mais on sentait bien son extrême fragilité ...
Ce matin, j'ai eu le temps de constater les ravages : il marche avec des béquilles, son visage est tout tuméfié, ses cheveux grisonnants, sales et longs tombent dans son cou décharné. Il avait le regard complètement hébété. Un moment nos regards se sont croisés. M'a-t-il reconnue ? J'ai hésité à me garer plus loin puis revenir parler avec lui. Pour lui dire quoi au juste ? Me connaissant, je vais l'engueuler, lui dire qu'il est sale, qu'il pue la merde, qu'il devrait avoir honte. J'essaierai d'exacerber le peu d'amour propre qu'il possède peut-être encore. Mais de quel droit pourrais-je faire cela ?
À la médiathèque j'ai rencontré une personne qui a travaillé avec lui. Elle m'a dit que la mairie l'avait mis en retraite avancée. Il doit gagner des clopinettes, surement pas assez pour acheter de l'alcool, c'est pour cela qu'il mendie.
Vous savez son âge ?
Oui, il a environ 52 ans.
Quand je suis repassée devant l'école, il était toujours là. Un rayon de soleil avait pointé le bout de son nez et il souriait béatement en regardant le ciel.
La prochaine fois, je m'arrêterai...
13:12 Publié dans Croque mots | Lien permanent | Commentaires (2)
Commentaires
Ah l'alcool et ses ravages !
Cette addiction qui fait fuir la réalité et mène vers la déchéance totale (physique, morale etc).
Je l'ai vécue (sans que ce soit moi qui sois alcoolique) et en plus de leur déchéance, bien souvent, ils entraînent les autres dans un enfer dont on se sort difficilement.
Dur dur et vaste sujet.
Une chose est sûre : s'ils n'ont pas conscience de leur problème, du fait qu'ils peuvent s'en sortir (certes au prix d'un laborieux combat) alors on ne peut leur venir en aide.
Tu sais, si je hais l'alcool, j'ai de bonnes raisons.
Bises
Écrit par : Christine3769 | mercredi, 24 février 2010
Je connais particulièrement bien le sujet, mes parents ayant tenu un café. J'en ai vu passer des alcooliques, tous milieux sociaux mélangés... Comme tu dis si justement, quels ravages cela engendre !
Écrit par : tinou | mercredi, 24 février 2010
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