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mercredi, 05 janvier 2011

7. Horreur et fascination -2-


podcast

Où en étions-nous déjà ? Ah, oui, nous avions quitté Loti dans un train qui se dirigeait vers le nord de ce pays dont je vous cache à dessein le nom. Le train venait de s’arrêter brutalement dans une gare. On imagine aisément la scène : intrigué par une clameur montante, Loti se lève de son siège, baisse la vitre du compartiment et se penche alors à l’extérieur pour voir d’où provient le bruit :

« Oh ! les pauvres petits êtres, se pressant là contre la barrière, et tendant vers nous leurs mains desséchées, au bout des os qui sont leurs bras ! Sous leur peau brune, aux plis retombants, tout leur frêle squelette se dessine, à faire peur ; on dirait qu’ils n’ont pas d’entrailles, tant leur ventre est plat, et des mouches se sont collées à leurs paupières, à leurs lèvres, pour y boire ce qui reste d’humidité. Ils n’ont plus guère de souffle, presque plus de vie, et cependant ils tiennent debout, et ils crient encore. Manger, ils voudraient manger, et il leur semble que ces inconnus qui passent, dans de si grandes voitures, doivent être riches, qu’ils auront pitié et leur jetteront quelque chose.

Dans ce train, ceux qui sont avec moi […] lancent ce qu’ils ont, des restes de gâteaux de riz, des monnaies de cuivre, et sur tout cela les affamés se ruent comme des bêtes, en se piétinant les uns sur les autres. Des pièces de monnaie peuvent donc servir ? Alors, c’est donc qu’il y a des provisions encore dans les boutiques en terre du village, mais pour ceux-là seuls qui ont de quoi acheter !… De même, quatre wagons de riz sont attelés derrière nous, et il en passe ainsi chaque jour ; mais on ne leur en donnera point ; non, pas une poignée, pas quelques grains qui prolongeraient un peu leur vie ; c’est destiné aux habitants des villes, à ceux qui ont encore de l’argent et qui paieront. […]

J’ai jeté maintenant tout ce que j’avais de pièces sur moi … Mon Dieu, on ne partira donc pas !… Oh ! le désespoir d’un tout petit, de trois ou quatre ans, auquel un autre, un peu plus grand que lui, vient d’arracher l’aumône qu’il serrait dans sa main crispée !...

Le train enfin s’ébranle, et la clameur s’éloigne. Nous voici lancés à nouveau dans la jungle silencieuse. […]

À chaque village où l’on s’arrête, les affamés sont là, vous guettant à la barrière. Leur chanson que l’on redoute d’entendre, et qui est toujours pareille, en fausset déchirant, sur les mêmes notes, s’élève dés qu’on s’approche ; et puis elle s’enfle, et vous poursuit en s’exaltant de désespoir, quand on s’éloigne à nouveau dans les solitudes brûlées. […] »

Bientôt Pierre Loti arrive à destination :  

« Quand on arrive, on aperçoit de très loin les blancheurs de cet amas de palais et de temples, se détachant sur le fond des hautes montagnes dentelées, couvertes de forêts, qui l’entourent et l’enferment de toutes parts. […]

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Mais, de près, combien la détresse déjà s’indique ! Dans l’avenue bordée d’arbres morts qui conduit aux portes, de lugubres mendiants se promènent, de ces êtres comme on n’en avait vu nulle part et dont la vie persistante n’est plus vraisemblable : des momies, des ossements desséchés qui marchent, et à qui des yeux restent au fond des orbites, et une voix, au fond de la gorge, pour demander l’aumône. […]

Durant son séjour dans cette ville, Pierre Loti a fait la connaissance de deux jeunes hommes qui l’invitent à assister à une fête religieuse :

« Au déclin du jour cependant, je me suis rendu à la fête du dieu …

Son temple est blanc comme de la neige fraîchement tombée. On y monte par un escalier monumental de trente ou quarante marches, que gardent des éléphants de pierre. […]

La cour du temple était encombrée de marchands de parures, ayant des paniers tout remplis de colliers en jasmin blanc, en jasmin jaune, en roses du Bengale. Et parmi les étalages de fleurs, rôdaient, de plus en plus nombreux, les spectres de la faim, les pauvres squelettes d’une couleur terreuse, avec des yeux de fièvre.[…]

Chacun, avant de monter, s’inclinait pour baiser la marche d’en bas. Et de même, là-haut avant de sortir de l’ombre sainte, chacun se retournait sur la porte, pour saluer et pour baiser le seuil. Mais les spectres de la famine qui arrivaient toujours, horriblement nus et macabres, gênaient cette foule en habits de fête, essayaient d’arrêter les passants avec leurs pauvres mains desséchées, crochaient dans les voiles de mousseline, avaient des brusqueries et des crispations de singe pour attraper les aumônes…

Et puis le vent s’est déchaîné, comme chaque soir à la même heure, sans pour cela rafraîchir la ville brûlante, et, dans une brume de poussière, le soleil s’est couché, jaune, triste, et terni autant qu’un soleil du Nord.

Dans les rues, malgré  tout, la fête a continué jusqu’à nuit close. On se jetait les uns aux autres, à pleines mains, des poudres parfumées et colorées, qui adhéraient aux visages, aux vêtements. Des gens sortaient de la bagarre avec une moitié de figure poudrée de bleu, ou de violet, ou de rouge. Et toutes les robes blanches portaient la trace de mains trempées dans des teintures éclatantes, cinq doigts marqués en rose, en jaune ou en vert.»

 Bon, ça promet ! À la lecture de ce récit, vous comprenez mieux pourquoi j’ai intitulé les notes « Horreur et fascination ».

Je reprendrai cette note à mon retour afin de comparer mes impressions qui, je l’espère, seront moins terrifiantes que celles de Loti !

 À suivre                                               

Commentaires

Bénarès?

Écrit par : manutara | jeudi, 06 janvier 2011

Non Esteban !

Écrit par : tinou | vendredi, 07 janvier 2011

Les commentaires sont fermés.