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jeudi, 14 juillet 2011

143. Bilan d'une décennie -1-



podcast


14 juillet 2001, 14 juillet 2011 … Et voici une décennie de passée, une de plus. Mais cette décennie, à l’inverse des précédentes, marque un tournant dans le déroulement de ma vie. Mais reprenons les évènements au début.

14 juillet 2001 : j’ai oublié le temps qu’il faisait, je me souviens seulement être allée faire quelques courses au Super U près de chez nous. J’ai été surprise en rentrant de ne pas te trouver devant l’écran de la télévision à regarder le défilé sur les Champs Élysées. Depuis que nous étions mariés – vingt-neuf ans déjà – c’était bien la première fois que tu n’assistais pas à ce défilé, toi qui a toujours regretté de n’avoir pu faire ton service militaire en raison d’une malformation du bras gauche. Si certains faisaient tout pour en être exemptés, toi tu aurais tout fait pour être pris.

J’aurais sans doute dû prêter plus d’attention à ce fait apparemment anodin ; tu étais resté couché, fatigué m’as-tu dit.

La semaine suivante, je notais que tu n’avais guère d’appétit, mais je mis ça sur le compte de la chaleur. Et les journées passèrent, les unes semblables aux autres. Je m’occupais dans le jardin, tu regardais la télé, n’ayant guère envie de sortir.

En milieu de semaine, Peggy vint déjeuner à la maison avant de partir en vacances. Elle partait en Corse avec une amie. Si je me souviens bien, tu ne vins pas à table, prétextant que tu n’avais pas faim.

Et puis les deux jours suivants tu refusas de te lever. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à m’inquiéter. Inquiète à ton sujet, je l’ai toujours été depuis cette année 1985 où le médecin, après t’avoir ausculté, me déclara dans la cuisine : « Il est fichu ! » Nous étions alors fin février, il avait beaucoup neigé cet hiver-là et il faisait encore très froid. Tu entras à l’hôpital le 10 mars, jour de mon anniversaire et le lendemain tu passais sur la table d’opération. Sept heures d’attente, d’angoisse. Je pus te voir enfin le soir. VIVANT, tu étais vivant, il n’y a que cela qui comptait pour moi.

Quelques semaines plus tard, tu pus enfin sortir de l’hôpital : tu ne pesais plus que 48 kilos, entre temps ton poste de travail avait été supprimé. Mais tu étais là, près de moi, c’était l’essentiel.

Quelques semaines plus tard, mon médecin me donna à lire le rapport opératoire  qu’avait rédigé Vandhoeren, le chirurgien. Une opération délicate où il avait effectué des raccords sans trop savoir si cela allait tenir –c’est ce qui ressortait du rapport très technique-.

Je te savais en sursis depuis 1985 et j’avais eu le temps de me préparer à toute éventualité, la pire fut-elle. Enfin c’est ce que je croyais …

Vendredi 20 juillet 2001: alors que je regarde la télé, tu fais une brusque apparition dans le salon. Patrick, le petit jeune que nous hébergions, est atterré en te voyant. Tu fais penser à un de ces zombies que l’on voit dans les films d’épouvante.

Samedi 21 juillet : j’appelle le médecin de garde, il vient dans l’après-midi. Je téléphone aussi à Peggy pour lui faire part de mon inquiétude. Le médecin est catégorique : « il doit être hospitalisé dès lundi matin. D’ici-là, essayez de le faire manger. »

Le lundi à la première heure je téléphonais à mon médecin qui arriva dans l’heure qui suivit. On eut beaucoup de difficulté à te convaincre à rentrer à l’hôpital.

Mardi 24 juillet : et nous revoici à Trousseau, étage 9, j’avais oublié comment c’était. On oublie souvent les mauvais moments. Tu es dans une chambre à deux lits, je range tes affaires et je te quitte pour revenir à la soirée.

Mercredi 25 juillet : quand j’arrive dans la chambre, j’ai un terrible choc. Tu es allongé, les yeux fermés, le corps secoué de tressaillements. J’ai beau te parler, aucune réponse ! Et personne pour me renseigner. Je ressors de l’hôpital très affolée et téléphone à Peggy. J’ai du mal à la joindre sur son portable en Corse car les communications passent très mal. Finalement elle m’annonce qu’elle rentre par le premier avion. Son amie ramènera la voiture plus tard.

Jeudi 26 juillet : nouvelle surprise. En arrivant, je te trouve assis dans ton lit, tu sembles assez reposé, souriant même. Je me sens tout à coup rassurée, peut-être me suis-je affolée pour rien.

Peggy arrive dans l’après-midi et nous nous retrouvons à l’hôpital.

Tu reçois la visite de ton copain dans les jours qui suivent. Vendredi, samedi, dimanche, lundi … Tu es maintenant dans une chambre seule. Au-dehors il fait très chaud, je me souviens que j’utilise la clim de ta voiture. Ta voiture ! Ce joli coupé Hyundai que tu bichonnes depuis deux ans. C’est pour moi l’occasion de m’en servir car tu n’es guère prêteur, avoue …

J’aurais dû, j’aurais dû  prêter plus d’attention à des petits détails qui maintenant me sautent aux yeux. Cette façon machinale que tu avais de parler, cette espèce de béatitude qui envahissait tout ton visage, cette absence d’inquiétude par rapport à ton hospitalisation. Tu étais là, comme un bienheureux, indifférent à ce que je pouvais dire, indifférent aussi à ce qui t’arrivait. Aucune révolte de ta part, comme si tu savais d’avance … Savais-tu ?

Lundi 30 juillet. Je te quitte vers 20h et alors que je passe devant le bureau des infirmières, l’une d’entre elle me hèle au passage :

— Madame L ?

— Oui

— Je suis infirmière dans le service. J’étais en vacances et je n’ai repris mont travail que ce matin. Je trouve que votre mari ne va pas bien du tout !

Je reste là, la bouche ouverte, ne sachant que dire. Aussitôt à l’extérieur j’appelle mon médecin pour lui  relater ces informations. Elle me donne alors rendez-vous le lendemain matin à l’hôpital à huit heures. Elle essaiera de contacter le chef de service.

Mercredi 31 juillet, huit heures du matin : après être passées te voir dans la chambre, nous voici maintenant toutes les deux dans le bureau du professeur D. Il est avec ses internes. Me voici en pays de connaissance, je le retrouve huit ans après ton dernier passage dans son service.

Il est direct, j’aime autant :

Votre mari est en très mauvais état physique. Son état est critique. Actuellement il est sous antibiotiques, mais nous ne savons absolument pas comment la situation va évoluer. S’il s’en sort, il risque de devenir un légume.

Un légume ! Ce sont les seuls mots que j’ai retenus… Un légume ! Je l’imagine impotent, amorphe dans une chaise, je me vois déjà en train de lui faire sa toilette, de l’habiller, de le faire manger comme on fait manger un bébé. Ainsi donc, je dois me préparer au pire…

Avant de quitter l’hôpital, nous retournons te voir dans la chambre. Tu es serein, tu souris à notre entrée. Tu n’as mal nulle part. Tu me demandes de te rapporter de l’eau à la soirée …

Je ressors assez abasourdie, il me faut du temps pour réaliser ce qui risque d’arriver.

Après avoir fait quelques courses, je rentre à la maison. Le téléphone sonne alors, c’est l’hôpital qui m’appelle, je dois revenir d’urgence car ton état de santé s’est brusquement aggravé.

Je me revois encore, téléphonant aussitôt à Peggy pour la prévenir, puis sautant dans la voiture, filant comme une flèche jusqu’à l’hôpital. Je retrouve Peggy en bas, près de l’ascenseur. Nous nous précipitons vers la porte de la chambre, j’ai déjà la main sur la poignée quand une infirmière intervient aussitôt, m’interdisant l’accès.

— Nous sommes en train de lui donner des soins, veuillez patienter dans la salle d’attente.

Je ne sais plus combien de temps dura cette attente dans cette sinistre salle au neuvième étage d’un sinistre hôpital.

Soudain la porte s’ouvrit, un interne entra. À sa mine, je compris tout de suite.

—  Madame L ? Je suis au regret de vous annoncer que votre mari vient de décéder malgré tous nos efforts, nous n’avons pu le réanimer.

Je ne suis pas certaine que ce soient les mots justes, mais ce que je n’oublierai jamais c’est le cri déchirant de Peggy.

Pourquoi je vous raconte tout ça ? Parce que j’éprouve le besoin d’en parler. Sans doute parce que cela me hante toujours.

Tu es parti et je n’étais pas là pour te tenir la main … C’est mon plus grand regret.

 

À suivre 

Commentaires

Ces moments sont très difficiles à vivre et les regrets qui peuvent en découler inaltérables.

J'ai le même sentiment de regret vis à vis du décès de mon père, il y a un an à peine, et le savoir mourant, seul, à l'hôpital me fait toujours aussi mal...

Écrit par : Cigale | jeudi, 14 juillet 2011

@ Cigale : c'est la chose la plus épouvantable qui soit ! Mon père aussi est mort tout seul sur son lit d'hôpital.

Écrit par : tinou | jeudi, 14 juillet 2011

Que dire devant la douleur persistante de la perte d'un être cher...
Pas simple.

Bises

Écrit par : Christine | jeudi, 14 juillet 2011

Mes pensées aujourd´hui sont destinées que pour toi,j´aimerais bien te parler a vive voix.

Écrit par : vera | jeudi, 14 juillet 2011

J'ai été très émue par tes derniers écrits. En effet mon père a disparu en mer lorsque j'avais 4 ans, et ma mère est décédée subitement 40 ans plus tard, sans jamais l'oublier.
Amicalement
Monique

Écrit par : Monique | vendredi, 15 juillet 2011

@ Vera : j'ai essayé de te joindre hier soir mais il était sans doute un peu trop tard !
@ Monique : tu sais Monique, on ne peut pas oublier.On s'accommode juste à une nouvelle façon de vivre.

Écrit par : tinou | vendredi, 15 juillet 2011

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