vendredi, 01 novembre 2013
184. Le pélerinage
Depuis combien de temps n'ai-je pas poussé la grille d'entrée d'un cimetière ? Deux ans, trois ans ? Je ne sais plus exactement ... Deux ans sûr, car en 2011, après mon voyage déprimant en Inde, je ne me sentais pas le courage d'effectuer la visite annuelle à mes morts.
Cet abandon m’a toujours laissé un goût amer lorsque j’y repensais et cette année j’ai donc décidé de réagir. Un soleil radieux brillait hier matin dans le ciel, bon augure ! Me voici donc partie vers 9 heures en direction du cimetière Lasalle à Tours. Il est situé au nord de de la ville et s’étend tout en longueur à flanc de côteau. En arrivant près de l’entrée principale, je constate que le fleuriste qui se trouvait à l’angle de la rue a disparu. Première déconvenue donc, je continue alors ma route à la recherche d’un autre fleuriste dans les environs. Je connais mal ce quartier et après un bon quart d’heure je finis par abandonner mes recherches. Tant pis, il n’y aura pas de fleurs sur les tombes …
Je reviens donc sur mes pas et, au moment même où je me gare, j’aperçois un homme avec un énorme chrysanthème dans les bras. Aussitôt je lui demande où il l’a acheté. De la main il m’indique alors la direction. Effectivement, je trouve une petite surface avec un grand choix de fleurs à l’entrée du magasin. Seulement je loupe l’entrée du parking et je me retrouve alors sur la grande artère reliant Tours nord au centre de la ville. Il me faut attendre le prochain rond-point pour revenir sur mes pas …
Je charge les cinq pots dans mon coffre et je retourne au cimetière. Il s’agit maintenant de trouver une place de parking. La chance est avec moi car j’arrive au moment où quelqu’un s’en va. Je me gare, je décharge les deux pots prévus pour ce cimetière et je me dirige vers l’entrée. Mais je m’aperçois très vite que je me suis trompée d’entrée, l’entrée principale est plus bas. Je retourne donc à la voiture tout en maugréant et je me gare quatre cents mètres plus bas. Après avoir franchi l’entrée principale je me dirige ensuite sur la gauche en direction du carré 16. J’oblique à droite et je me faufile entre les tombes et là … Un grand vide ! Il manque trois ou quatre tombes dans l’alignement. Je crois vivre un cauchemar, mes morts ont disparu ! Je reste figée sur place, les deux pots dans les bras. Une petite voix me ramène à la réalité :
— Eh oui ma fille, voilà ce que c’est quand on est resté trois ans sans venir !
Je suis à la fois terriblement dépitée et en colère. Je file alors en direction de la deuxième tombe qui se trouve plus au nord. Je grimpe l’escalier et je tourne aussitôt à droite. Ouf, Ils sont toujours là !
Je vous présente les locataires de ce caveau :
Il y a Armance, la mère, avec ses trois enfants – Jeanne, décédée en 1918 de la grippe espagnole (elle ne figure pas sur la photo), Marcel tué au front durant la première guerre mondiale en 1915 et enfin Blanche (ma tante) décédée en 1974. On trouve aussi Aimé, le premier mari de Blanche, décédé en 1924. Je me demande où est enterré son second mari … Probablement à Nantes d’où il était originaire.
Je dépose les deux pots puis reprends le chemin de la sortie. En repassant devant le carré 16, je refais un détour car je dois bien avouer que cette disparition de tombe m’a quelque peu perturbée ! Bien m’en prend car en cherchant un peu plus loin, je finis par retrouver la tombe. Soupir de soulagement … Il ne me reste plus qu’à aller chercher les fleurs laissées sur la première tombe.
Yvette, la mère de mon mari, décédée en 1945, avec ses parents : Charles décédé en 1960 et Armande, la « mémé gâteau » de Peggy, décédée en 1986. Le père de mon mari, quant à lui, est enterré dans la région bordelaise.
Je quitte peu après le cimetière, rassurée et heureuse du devoir accompli.
Fin du premier acte … Je rentre à la maison prendre un café, puis, un quart d’heure plus tard, je repars en pèlerinage.
Me voici maintenant à La Riche ; les deux cimetières se font face. J’entre d’abord dans ce qu’autrefois on appelait le vieux cimetière et qui – à ce que j’en vois- est en pleine restructuration. Le tiers des tombes a disparu ! Là je n’ai aucune crainte car j’ai renouvelé la concession à la mort de mon père.
— Bonjour Hermance et Louis !
Ce sont les parents de ma grand-mère paternelle. Louis est décédé en 1953 et Hermance en 1974.
Je traverse bientôt la route et pénètre dans le nouveau cimetière. Un peu plus loin sur la gauche et protégé par le mur d’enceinte du cimetière se trouve le caveau de ma famille. Mon père l’avait fait refaire quelques années avant sa mort.
C’est une grande dalle de marbre sur laquelle est inscrite « Les pégriots », une idée saugrenue comme il pouvait parfois en avoir … Sur la tranche figurent les noms des deux familles ( CLERC-GAY). Dans ce caveau repose également la deuxième épouse de mon père, décédée quelques semaines après lui. Cela m’a posé un cas de conscience car il me paraissait inconcevable qu’elle se trouve avec ma mère. Et puis, après tout, quelle importance ? Ils ne risquaient pas de se chamailler.
Sept personnes reposent donc dans ce caveau :
Mes grands-parents maternels : Marcel décédé en janvier 1953 et Germaine décédée en avril 1953.
Mes grands-parents paternels : Lucien, décédé en 1960, et Blanche, décédée en 1981.
Mes parents : Jacqueline, décédée en 1980 et Raymond, décédé en décembre 1999.
Enfin Denise.
Je n’en ai pas encore fini de régler les comptes avec mon père. Un jour peut-être y parviendrai-je ?
Dernière étape de ce pèlerinage : le petit cimetière communal d’Esvres-sur-Indre, là où je vivais avec mon mari lorsqu’il est mort en juillet 2001. Aujourd’hui c’est la date de son anniversaire, il est né en effet le 31 octobre 1944 à Mostaganem, en Algérie. Il aurait eu 69 ans … Nous serions certainement allés au restaurant pour fêter ça.
Je rentre à la maison, satisfaite de la tâche accomplie. Certes, je n’avais pas besoin de faire cette démarche pour penser à eux tous –ils hantent bien trop souvent mes nuits-, mais en même temps je suis heureuse de voir leurs tombes fleuries et je me sens en paix avec moi-même !
Rendez-vous l’année prochaine …
03:05 Publié dans Croque mots | Lien permanent | Commentaires (1)
Commentaires
Chose que je ne fais jamais.... il faut dire que chez nous, la notion de famille (même envers mes grands parents) n'existe pas... Et puis mon père ayant été incinéré, il reste proche de nous.
Écrit par : Christine | vendredi, 01 novembre 2013
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