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jeudi, 28 novembre 2013

201. Les petits travaux disparus -1-

La dernière fois que je vis "tante Yvonne", c'était un jour d'août 1978. Ce jour là mes parents l'avaient invitée à déjeuner dans leur maison de Cormery et j'étais allée la chercher en voiture à Luynes. 

En 1980, au moment du décès de maman, elle m'avait écrit une lettre très touchante à laquelle je n'avais pas pu répondre. Et puis, nos chemins se sont définitivement séparés ...

Ce matin je ne fus pas donc pas étonnée d'apprendre qu'elle était décédée depuis plus de dix ans. Je me suis surtout reprochée d'être restée silencieuse durant toutes ces années. 

Elle habitait toujours la vieille ferme sur le plateau ; c'est là que j'ai passé mes vacances de 1958 à 1962. Yvonne n'avait aucun lien de parenté avec ma famille. Mes grands-parents maternels avaient fait sa connaissance et celle de son mari durant la guerre alors qu'ils cherchaient à se ravitailler. Une solide amitié s'était alors nouée entre eux. 

La dame à qui j'ai téléphoné ce matin m'a dit que le fils d'Yvonne vivait à Saint-Cyr. Il doit avoir environ 75 ans. Je l'ai peu connu, il était alors mobilisé en Algérie. 

Aujourd'hui me restent alors les souvenirs d'enfance bien gravés dans ma mémoire et aussi un dossier intitulé "Les petits travaux disparus". C'est une copie manuscrite des souvenirs d'enfance d'Yvonne. Elle m'en avait donné un exemplaire. J'ai envie de partager ce récit avec vous :

" En ce début d’année 1978, qui va être l’année de mes soixante ans, je me sens comme une adolescente qui se prépare à rentrer dans la vie des adultes, c'est-à-dire avec un peu d’inquiétude.

Je vais donc entrer dans le « troisième âge », puisqu’on a tendance actuellement à faire des sélections, des catégories. Avant de me laisser aller dans ce 3e âge j’ai envie de faire un retour en arrière, de retrouver la petite fille des années 1923 à 1930.

La vie a beaucoup changé depuis cette époque. J’ai des petits enfants, je pense et je compare souvent leur enfance à la mienne. Je trouve que la mienne était bien riche et je vais essayer d’en parler …

Quand je pense aux enfants habitant ces grands immeubles de béton, le nez devant la télévision, ou parqués dans un semblant de jardin-gazon, avec le bruit infernal des voitures, je trouve avoir été une petite fille libre avec des responsabilités, apprenant tout de la nature qui est bien le meilleur professeur …

Mes souvenirs les plus précis datent de la naissance de ma petite sœur. Pour cet évènement attendu, mes parents m’avaient mise chez mes grands-parents paternels, à une vingtaine de kilomètres de Luynes, à Parçay-Meslay, ce qui était une grande distance pour moi qui n’avais jamais quitté la maison et qui ne connaissais pas mes grands-parents ou si peu …

Pourtant je me suis assez vite habituée, sachant que je devais obligatoirement rester là puisque nous devions avoir un bébé à la maison et qu’à ce moment là mes parents viendraient me chercher. Je me revois les soirs d’été, couchée sur le dos à côté de Grand-père, allongé dans l’herbe encore chaude, gardant Bichette, une superbe jument demi-sang Bai-cerise qui broutait tout autour de nous. Grand-mère allait presque tous les samedis au marché de Tours avec Bichette, mais ce n’était pas toujours facile car Bichette était capricieuse et si elle n’était pas décidée, elle faisait demi-tour sur la route et revenait chez elle sans que Grand-mère puisse la retenir ; ce jour là il fallait la dételer.  

Quelques fois j’allais rejoindre ma cousine de neuf ans qui gardait ses vaches dans un champ de trèfle luzerne, mais auprès d’un champ de blé prêt à être moissonné ce qui donnait beaucoup de surveillance à ma cousine, les vaches ayant toujours envie d’aller traîner dans le blé. J’allais la trouver mais je n’étais guère rassurée, ces bêtes inconnues me faisaient peur, je n’avais cependant pas peur des nôtres. Nous nous amusions alors à nous cacher dans le blé pour faire peur aux effrontées ! J’avais tout juste cinq ans.

Mon oncle, ma tante et mes cousines habitaient une ferme à cinq cents mètres de chez Grand-père. Je n’ai pourtant pas osé y aller seule, j’avais peur de leurs chiens. Je jouais avec César, le chien de Grand-mère ; il était vieux et n’avait pas de queue. Je m’amusais des heures entières avec des plats en porcelaine qu’une dame avait donnés à Grand-mère pour ses petites filles. Le soir nous allions chercher du vin aux caves par un sentier tortillant à travers champs. Je me revois sautillant devant ou derrière Grand-mère. Mes grands-parents n’étaient pas débordant de tendresse mais je me sentais aimée et en sécurité.

Un beau jour de 15 août ma petite sœur est née. Quand la nouvelle m’est parvenue je ne savais que dire ! J’étais aussi un peu inquiète car je sentais qu’il y aurait quelque chose de nouveau à la maison, que ma petite vie serait changée … Après beaucoup de questions et d’impatience il fut convenu que mes grands-parents me reconduiraient dans quelques jours chez nous, en carriole anglaise à laquelle on attelait Bichette. Quelle joie, que de choses à voir en carriole ; on a le temps de tout voir et d’entendre le trot régulier, vif, fier du cheval, voir ses oreilles toujours en alerte, voir le paysage aussi loin que porte la vue.

Maintenant les enfants sont en auto. Que voient-ils ? La route défiler à toute vitesse, aucune sensation si ce n’est d’aller plus vite, ou bloqués dans un bouchon et entendre s’énerver les parents au volant. Quel dommage !

Bien sûr, revoir maman, papa, mes frères me fit une grande joie ; mais en faisant connaissance de ma petite sœur que je trouvais vraiment petite, je fus très déçue. J’avais espéré un bébé moins fragile qui aurait joué un peu … En plus, je dus faire connaissance d’une personne étrangère à la maison, une bonne, Mélina, une célibataire d’une trentaine d’années à qui je trouvais l’air sévère. Je me rappelle avoir été me cacher dans un taillis touffu de lilas sous l’escalier en pierres conduisant au grenier pour pleurer.  Comme un enfant peut être ingrat ! Oui, j’avais envie de repartir avec Grand-père et Grand-mère …"

À suivre

 

 

Commentaires

Il y a un monde entre cette époque et la nôtre... Enfin, il y a plutôt un siècle.
Tout est si différent maintenant, et il n'est même pas nécessaire de remonter un siècle en arrière pour le constater.

Écrit par : Christine | jeudi, 28 novembre 2013

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