mercredi, 06 janvier 2021
Lecture décoiffante
Il y avait longtemps, trop longtemps même, que je n'avais éprouvé un tel plaisir à lire un roman. Dès le début, on entre dans le vif du sujet, à savoir la vie d'une vieille dame de 102 ans surnommée Mamie Luger. Et on va de surprise en surprise ! C'est tout simplement captivant, très drôle, et on en redemande à la fin. En cette période si morose, que ça fait du bien de rire !
L'auteur s'appelle Benoît Philippon. Mamie Luger est son deuxième roman, après "Cabossé" sorti en 2016. Enfin, en 2020 est paru "Joueuse".
Mais revenons à notre mamie, prénommée Berthe. L'histoire débute ainsi :
" 6h08
Blam ! Blam !
Berthe recharge. Ses membres tremblent. Beaucoup d'émotions pour une vieille de cent deux ans. Elle pense à sa camomille qui prend la poussière sur l'étagère de sa cuisine et se dit qu'elle s'en ferait bien une tasse. Les sirènes qui résonnent au loin ne sonnent peut-être pas encore le glas, mais reculent inéluctablement la perspective du réconfort d'un bon pisse-mémère.
De Gore gît à quelques pas de la niche de son chien. Du sang autour de lui. Il a un trou dans le dos, un autre dans le cul, en plus de l'officiel. Merde, elle y a peut-être été un peu fort. Berthe ne l'a jamais aimé, de Gore. Le digne descendant de sa raclure de père. Elle ne pensait pas pour autant qu'il finirait au bout de son canon. Même si l'idée l'a souvent titillée."
05:00 Publié dans Livres | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : livre, philippon, mamie luger
dimanche, 08 décembre 2019
À méditer
On peut dire sans se tromper que Aldous Huxley fut un visionnaire !
À lire :
09:20 Publié dans Livres | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : livre, science fiction, aldous huxley
samedi, 11 mai 2019
L'humanité en péril
Elle est en colère, Fred Vargas, et elle le fait savoir comme elle le peut.
En 2008 déjà elle avait écrit ce message : Nous y sommes.
Mai 2019 : Où sommes-nous ? Au bord du gouffre. Que dis-je, nous commençons la dégringolade vers le néant et apparemment TOUT LE MONDE ( ou presque) S'EN FOUT.
Lors de la COP 24 qui s'est tenue fin 2018 à Katowice, en Pologne, son texte a été lu par Charlotte Gainsbourg. Prenez le temps de l'écouter :
Si vous êtes un peu plus courageux, vous pouvez également le lire :
Nous y sommes
Par Fred Vargas
Nous y voilà, nous y sommes. Depuis cinquante ans que cette tourmente
menace dans les hauts-fourneaux de l'incurie de l'humanité, nous y sommes. Dans le mur, au bord du gouffre, comme seul l'homme sait le faire avec brio, qui ne perçoit la réalité que lorsqu'elle lui fait mal. Telle notre bonne vieille cigale à qui nous prêtons nos qualités d'insouciance, nous avons chanté, dansé.
Quand je dis nous , entendons un quart de l'humanité tandis que le reste était à la peine. Nous avons construit la vie meilleure, nous avons jeté nos pesticides à
l'eau, nos fumées dans l'air, nous avons conduit trois voitures, nous avons vidé les mines, nous avons mangé des fraises du bout monde, nous avons voyagé en tous sens, nous avons éclairé les nuits, nous avons chaussé des tennis qui clignotent quand on marche, nous avons grossi, nous avons mouillé le désert, acidifié la pluie, créé des clones, franchement on peut dire qu'on s'est bien amusés.
On a réussi des trucs carrément épatants, très difficiles, comme faire fondre la banquise, glisser des bestioles génétiquement modifiées sous la terre, déplacer le Gulf Stream, détruire un tiers des espèces vivantes, faire péter l'atome, enfoncer des déchets radioactifs dans le sol, ni vu ni connu. Franchement on s'est marrés.
Franchement on a bien profité. Et on aimerait bien continuer, tant il va de soi qu'il est plus rigolo de sauter dans un avion avec des tennis lumineuses que de biner des pommes de terre. Certes. Mais nous y sommes. A la Troisième Révolution.
Qui a ceci de très différent des deux premières (la Révolution néolithique et la Révolution industrielle, pour mémoire) qu'on ne l'a pas choisie.
« On est obligés de la faire, la Troisième Révolution ? » demanderont
quelques esprits réticents et chagrins.
Oui. On n'a pas le choix, elle a déjà commencé, elle ne nous a pas demandé
notre avis. C'est la mère Nature qui l'a décidé, après nous avoir aimablement laissés jouer avec elle depuis des décennies. La mère Nature, épuisée, souillée, exsangue, nous ferme les robinets. De pétrole, de gaz, d'uranium, d'air, d'eau. Son ultimatum est clair et sans pitié : Sauvez-moi, ou crevez avec moi (à l'exception des fourmis et des araignées qui nous survivront, car très résistantes, et d'ailleurs peu portées sur la danse). Sauvez-moi ou crevez avec moi
Évidemment, dit comme ça, on comprend qu'on n'a pas le choix, on s'exécute illico et, même, si on a le temps, on s'excuse, affolés et honteux. D'aucuns, un brin rêveurs, tentent d'obtenir un délai, de s'amuser encore avec la croissance.
Peine perdue.
Il y a du boulot, plus que l'humanité n'en eut jamais. Nettoyer le ciel, laver l'eau, décrasser la terre, abandonner sa voiture, figer le nucléaire, ramasser les ours blancs, éteindre en partant, veiller à la paix, contenir l'avidité, trouver des fraises à côté de
chez soi, ne pas sortir la nuit pour les cueillir toutes, en laisser au voisin, relancer la marine à voile, laisser le charbon là où il est, — attention, ne nous laissons pas tenter, laissons ce charbon tranquille — récupérer le crottin, pisser dans les champs (pour le phosphore, on n'en a plus, on a tout pris dans les mines, on s'est quand même bien marrés).
S'efforcer. Réfléchir, même. Et, sans vouloir offenser avec un terme tombé en désuétude, être solidaire.
Avec le voisin, avec l'Europe, avec le monde.
Colossal programme que celui de la Troisième Révolution. Pas d'échappatoire, allons-y. Encore qu'il faut noter que récupérer du crottin, et tous ceux qui l'ont fait le savent, est une activité foncièrement satisfaisante. Qui n'empêche en rien de danser le soir venu, ce n'est pas incompatible. A condition que la paix soit là, à condition que nous contenions le retour de la barbarie –une autre des grandes spécialités de l'homme, sa plus aboutie peut-être.
A ce prix, nous réussirons la Troisième Révolution. A ce prix nous danserons, autrement sans doute, mais nous danserons encore.
Fred Vargas
Début mai, Fred Vargas a sorti un nouveau livre, une sorte de réquisitoire et de cri d'alarme ; il s'agit de L'humanité en péril.
Quand j'ai voulu me le procurer il était en rupture de stock. Tant mieux, ça veut dire que les gens se sentent concernés ! Je suis allée le chercher ce matin.
Je ne l'ai donc pas encore lu, mais voici ce que l'auteur nous en dit :
12:15 Publié dans Livres | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : fred vargas, livre, humanité, péril, planete, danger
mardi, 28 avril 2015
52. La conjuration des imbéciles
Nom : Reilly
Prénom : Ignatius J.
Date de naissance : non précisée mais on suppose que le personnage a environ trente ans au moment des faits.
Profession : sans
Niveau d’études : études supérieures en histoire médiévale.
Signes particuliers : hypocondriaque obèse qui ne se nourrit que de hotdogs, popcorn et autres friandises. Sa boisson préférée est le soda Dr.Nut, fabriqué à La Nouvelle-Orléans jusqu’au milieu des années cinquante.
Voilà vite fait le portrait de ce singulier personnage qui se voit contraint par sa mère –qui ne boit que du moscatel- à rechercher un emploi.
Dans ce livre délirant on croise des personnages tous plus décapants les uns que les autres. Pour ma part, j’ai bien aimé la secrétaire, Miss Trixie, sourde comme un pot, ayant dépassé depuis longtemps les 70 ans et qui subit un relooking de choc effectué par la femme du directeur de l’usine.
L’auteur de ce petit bijou s’appelle John Kennedy Toole, né en 1937. Il ne réussit pas à faire éditer son livre, tomba dans la déprime et se suicida en 1969.
C’est sa mère qui, en 1976, à force d’opinîatreté, convainquit un éditeur. Et ce fut un succès littéraire puisque le livre obtint le prix Pulitzer en 1981.
Enfin, un mot de la traduction en français qui est surprenante ; certains mots sont francisés ( le bouligne, le coquetèle, le bloudgine,etc) et les dialogues sont succulents !
Un exemple :
« Mon pauvre papa, dit Mme Reilly. Il était tellement fauché. Et pis quand y s’est pris la main dans c’te courroie d’ventilateur, là, les gens du quartier ont eu l’culot d’dire qu’y d’vait ête saoul ! Ces lettes anonymes qu’on a r’çues là-d’ssus ! Et ma pauvre Tata Boubou. Quatre-vingts ans qu’elle avait. Elle allumait un cierge pour son pauvre défunt mari, v’là qu’la bougie tombe et met l’feu au matelas. Et les gens y z’ont dit qu’a fumait au lit ! »
En conclusion, si vous avez envie d’un moment de franche rigolade, lisez donc :
Un extrait du livre lu par Guillaume Gallienne :
11:57 Publié dans Livres | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : livre, john kennedy toole, conjuration, imbéciles
vendredi, 21 novembre 2014
214. Un lieu, un livre
— Je vous souhaite la bienvenue. Mon nom est Paul Eppstein et je suis le doyen des Juifs de notre petite ville, votre nouvelle demeure, Theresienstadt.
Le regard de l’homme nous survole rapidement. Il se met à parler incroyablement vite, et nous avons du mal à suivre le flot d’informations qu’il nous débite ensuite.
Theresienstadt est la ville que le Führer nous a donnée, à nous, les Juifs d’Europe. La ville, qui fut jadis ville de garnison, a été édifiée par l’empereur Joseph II et baptisée du nom de sa mère bien-aimée, Maria Theresa. Vous serez sans doute heureux d’apprendre que Theresienstadt se trouve en dehors de la juridiction de l’État allemand. Ici, nous prenons nos propres décisions, et tout fonctionne selon des lois que nous édictons nous-mêmes. Le pouvoir exécutif est entre les mains du Conseil des Anciens qui administre la banque de Terezin, son bureau de logement, ses commerces et son propre tribunal […]
Et je suis sûr que vous vous sentirez rapidement chez vous à Theresienstadt, que les gens de la région appellent d’ailleurs Terezin. Je rappelle à ceux qui ont des enfants que nous disposons d’une école, et de nombreux lieux de divertissement bien agréables quand nous rentrons du travail le soir. Nous avons des théâtres, nous organisons des concerts, des conférences et même un bal musette. Comme vous pouvez le constater, vous ne pourrez bientôt plus vous passer de notre belle petite ville. [ … ]
Bahnhofstrasse. Le nom de la rue est peint en lettres grossières sur le mur brun et sale. Il y a tant de monde, une véritable foule, des gens me bousculent, me poussent, me marchent sur les pieds. Ils ne se regardent pas entre eux. Quand je parviens enfin à croiser un regard dans la masse, c’est un regard sans expression, sans désir de rencontrer le mien. Des visages sans sourire, fermés comme des miroirs. Une odeur doucereuse monte des détritus accumulés dans le caniveau et se mélange aux effluves gris de la fumée de charbon de bois qui coulent dans la rue, aux odeurs corporelles, transpiration, urine de tous ces êtres qui constamment de frottent à moi. Je sens leur haleine fétide quand ils me frôlent, une haleine qui trahit des intestins privés d’aliments. Je les déteste instinctivement. J’ai envie de les pousser loin de moi, de sortir de cet air vicié, de retraverser le baraquement où on nous a accueillis, de courir dans les champs, de respirer librement. Un homme me heurte si fort que je lâche mon sac. Quand je me relève après l’avoir ramassé, l’homme a déjà disparu, et une foule sans visage m’entraîne à l’intérieur du ghetto.
Quelques pâtés de maisons plus bas, la rue bifurque vers la droite et une palissade la traverse de part en part. Je longe la palissade jusqu’à ce que je parvienne à une grande place allongée entourée de maisons crépies en jaune. Devant les maisons poussent des chênes maigres et dégarnis, tendant leurs branches comme des doigts noueux qui se rejoignent au sommet. Cette place a sans doute été jolie jadis, quand la ville de garnison a été bâtie, mais à présent elle a l’apparence obscène d’un poumon disséqué.
Au milieu de la place on a dressé une sorte de tente de cirque. Des hommes y pénètrent en transportant des planches et en ressortent avec des cercueils qu’ils empilent à l’autre bout de la place. Derrière la tente se trouve l’église avec son clocher que j’avais vue quand nous étions encore dans le train. Bien que la nuit approche, l’horloge de l’église indique toujours deux heures.
Morten Brask, Terezin Plage.
En lisant ce passage, je me revois sur cette place ; c’était en août 2003.
La ville semblait vide d’habitants et après la visite du musée, j’étais partie me promener sur cette petite place. Mais très vite je fus envahie par un sentiment de malaise, j’eus la sensation d’être entourée d’une foule invisible, et malgré le silence glacial qui régnait en ce lieu, j’eus comme l’impression d’entendre des plaintes, des faibles gémissements qui provenaient des tréfonds. Une terrible angoisse s’empara alors de moi et je quittai prestement ce lieu sinistre.
Je ne peux terminer cette note sans avoir une pensée pour Robert Desnos, mort au camp de Terezin en 1945.
Quelques jours avant son arrestation, il écrivait:
Ce que j'écris ici ou ailleurs n'intéressera sans doute dans l"avenir que quelques curieux espacés au long des années. Tous les vingt-cinq ou trente ans on exhumera dans des publications confidentielles mon nom et quelques extraits, toujours les mêmes. Les poèmes pour enfants auront survécu un peu plus longtemps que le reste. J'appartiendrai au chapitre de la curiosité limitée. Mais cela durera plus longtemps que beaucoup de paperasses contemporaines.
Aujourd'hui, les enfants des écoles récitent-ils encore ses poèmes ?
Pour en savoir davantage :
20:08 Publié dans Livres | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : terezin, camp, concentration, livre, morten brask, desnos