mercredi, 18 mars 2009
89. Têtes de cire (3)
J'arrive à la mort par une mauvaise route, j'y monte par un escalier...
Pierre-François Lacenaire est né le 20 décembre 1803. Fils de commerçants installés à Francheville, près de Lyon, il fit de brillantes études au petit séminaire. Mais sa vie ne fut qu'une suite de ratages successifs qui le conduisirent bientôt sur le chemin de la délinquance. Vols, assassinats. Arrêté puis incarcéré à la Conciergerie à Paris, il devint bientôt la coqueluche du tout Paris qui se pressait aux portes de la prison pour le rencontrer et obtenir un autographe.
Condamné à mort, il fut guillotiné le 9 janvier 1836.
Le dernier chant
En expirant, le cygne chante encor,
Ah laissez-moi chanter mon chant de mort !...
Ah laissez-moi chanter, moi qui sans agonie
Vais vous quitter dans peu d'instants,
Qui ne regrette de la vie
Que quelques jours de mon printemps
Et quelques baisers d'une amie
Qui m'ont charmé jusqu'à vingt ans !...
Salut à toi, ma belle fiancée,
Qui dans tes bras vas m'enlacer bientôt !
A toi ma dernière pensée,
Je fus à toi dès le berceau.
Salut ô guillotine ! expiation sublime,
Dernier article de la loi,
Qui soustrais l'homme à l'homme et le rends pur de crime
Dans le sein du néant, mon espoir et ma foi.
Je vais mourir... le jour est-il plus sombre ?
Dans les cieux l'éclair a-t-il lui ?
Sur moi vois-je s'étendre une ombre
Qui présage une horrible nuit ?
Non, rien n'a troublé la nature.
Tout est riant autour de moi,
Mon âme est calme et sans murmure,
Mon cœur sans crainte et sans effroi
Comme une vierge chaste et pure.
Sur des songes d'amour je m'appuie et m'endors,
Me direz-vous ce que c'est qu'un remords ?
Vertu, tu n'es qu'un mot, car partout sur la terre
Ainsi que Dieu je t'ai cherchée en vain !
Dieu ! Vertu ! paraissez, montrez-moi la lumière !
Mon cœur va devant vous s'humilier soudain.
Dieu ! mais c'est en son nom qu'on maudit, qu'on torture
Celui qui l'a conçu plus sublime et plus grand ?
La vertu !... n'est-ce pas une longue imposture
Qui dérobe le riche au fer de l'indigent ?
On n'en demande pas à l'opulence altière,
On en dispense le pouvoir,
Le pauvre seul est tenu d'en avoir.
Pauvre à toi la vertu ! Pauvre à toi la misère.
A nous le vice et la vie à plein verre !
Vous ! mourez sans vous plaindre : est-ce pas votre sort ?
Mourez sans nous troubler ou vous êtes infâmes.
J'ai saisi mon poignard et j'ai dit, moi : de l'or !...
De l'or avec du sang... de l'or et puis des femmes
Qu'on achète et qu'on paye avec cet or sanglant.
Des femmes et du vin... un instant je veux vivre...
Du sang... du vin... l'ivresse... attendez un instant
Et puis à votre loi tout entier je me livre...
Que voulez-vous de moi ? Vous parlez d'échafaud ?
Me voici... j'ai vécu... j'attendais le bourreau.
La Conciergerie, 28 novembre.
Dans le célèbre film réalisé par Marcel Carné, "Les enfants du Paradis", l'acteur Marcel Herrand interprète le rôle de Lacenaire.
Poète et écrivain, Lacenaire laisse plusieurs œuvres, poèmes, récits, témoignages, pièces de théâtre etc.
A lire : Mémoires et autres écrits de Pierre-François Lacenaire, éditions José Corti, 1991.
06:50 Publié dans Les insolites | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : tête, cire, condamnés, lacenaire