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mercredi, 13 août 2008

Durant la nuit

 Evelyne fut réveillée par des bruits sourds et confus provenant de la rue. Les bruits s’amplifiaient peu à peu et elle se précipita dans le noir vers la fenêtre pour observer ce qui se passait en-dessous. Elle vit alors une longue colonne de camions qui avançaient lentement et s’arrêtèrent bientôt au bout de la rue. Des soldats en descendirent, armés de pioches et se mirent aussitôt à dépaver. Dans d’autres camions se trouvaient d’énormes bobines de fils de fer barbelés que les hommes s’empressaient de dérouler. Les ordres fusaient de toute part : « Schneller ! »

Elle entendit alors des pleurs provenant de la chambre d’à côté où dormaient ses parents. Elle enfila bien vite sa robe de chambre et alla frapper à la porte voisine.

« Vati, Mutti, qu’y a t-il donc dehors ? Pourquoi tous ces soldats ? C’est la guerre ?»

Evelyne n’a que quatorze ans, elle n’a pas connu la guerre. Mais en écoutant parfois ses parents raconter comment ils avaient réussi à survivre dans Berlin en 1945, elle est prise de frissons d’effroi.

« Hélas, ma pauvre Vivi, c’est un peu la même chose, vois-tu ! lui dit son père en la prenant doucement contre lui et en lui caressant les cheveux.

- Peux-tu m’expliquer ce que font les soldats dans la rue ?

- Je ne le sais pas précisément mais j’en ai cependant une vague idée. Nous avons la malchance d’habiter dans la zone soviétique de la ville. Tu sais que de plus en plus de gens fuient pour se réfugier à l’ouest. Ici le régime politique est trop autoritaire, nous vivons dans la crainte constante et nous manquons de tout. Comment ferais-tu pour empêcher les gens de fuir ?

- Je leur donnerais ce qu’ils réclament.»

Le père sourit tristement :

- Oui, bien sûr, mais c’est un rêve impossible à réaliser. Alors… ?

- Je ne sais pas, je les enfermerais peut-être, répondit la petite après un moment d’hésitation.

- Tu les enfermerais ?  Eh bien, c’est ce qui est en train de se passer en ce moment même, soupira le père d’un air résigné, en regardant au-dehors les projecteurs éclairer des soldats qui empilaient consciencieusement des briques les unes sur les autres.

Dans la nuit du 12 au 13 août 1961, un mur fut construit sur douze kilomètres, séparant Berlin-est des autres secteurs de la ville. La construction se continua sur plusieurs années. Un double mur fut érigé avec des miradors de place en place et des chiens égorgeurs lâchés la nuit dans le no man’s land. Les Vopos avaient ordre de d’abattre toute personne cherchant à fuir. Ils étaient toujours au moins deux, s’espionnant mutuellement. En 1972 le mur avait une longueur totale de 155km.

Cela n’empêcha pas des évasions spectaculaires ; un groupe de 57 personnes réussit à passer à l’ouest après avoir construit un tunnel. D’autres parvinrent à s’enfuir dans des voitures dans lesquelles une cache avait été installée. D’autres encore construisirent en cachette une mongolfière en récupérant des vieux vêtements…

croix.jpgDans la Spandauerstrasse, le long du mur s’alignent des petite croix. Ce sont les tombes de ceux qui sont tombés sous les balles des Vopos.

J’ai eu l’occasion de me rendre plusieurs fois à Berlin dans les années soixante. En tant Que touriste il était possible d’aller dans le secteur soviétique en passant par Check Point Charlie ou encore par la gare de Friedrichstrasse. Une fois au dehors, le dépaysement était garanti. Tout était gris dans cette ville,  même les gens avaient la mine grise. Les vitrines des magasins étaient désespérement vides, les voitures étaient rares, les tramways dataient encore d’avant-guerre. Peu à peu on était pris par une sorte d’angoisse qui devenait bien vite de la peur. On se sentait espionné de toute part. C’est l’époque où la Stasi régnait en maître sur la ville. Gare à ceux qui auraient eu l’imprudence d’émettre un avis politique opposé à celui en vigueur.

Saviez-vous que le sinistre camp de Buchenwald, situé près de Weimar, n’a jamais fermé ses portes ? Après la libération des derniers détenus de ce camp de la mort, les Soviétiques l’utilisèrent pour y enfermer les soldats allemands prisonniers. La plupart d’entre eux moururent de faim. Par la suite, le camp servit de lieu d’internement pour  les dissidents au régime du barbu ( Ulbricht).foule.jpg

Vingt-huit ans d’internement puis, un beau soir, le bruit courut qu’un passage temporaire avait été ouvert dans le mur. Ce fut aussitôt la ruée, une marée humaine avide de liberté s’engouffra dans le trou sous le regard ahuri des Vopos qui n’avaient pas reçu d’ordre pour endiguer ce flot humain. En supposant même qu’ils aient voulu réagir, ils n’auraient pas pu le faire. Alors, ils ont baissé leurs mitraillettes et ont laissé les gens passer. C’était le 9 novembre 1989.

immeuble.jpgEt Evelyne dans tout ça ? Elle a quitté depuis longtemps l’appartement de la Templinerstrasse. Je suis retournée sur les lieux en 2001. L’immeuble se dressait toujours, les impacts des balles datant de la guerre étaient toujours visibles.

Elle a rencontré un militaire soviétique qu’elle a épousé en 1973. Depuis, je n’ai plus de nouvelles.

Pour beaucoup d’Allemands de l’est, l’enthousiasme fut de courte durée. Habitués à vivre dans un monde où l’état seul dicte ses lois, ils eurent les plus grandes difficultés à s’insérer dans une société d’économie libérale. De là à regretter la situation d’avant, il n’y a qu’un pas qu’ils sont de plus en plus nombreux à faire, hélas.

Je vous parle de ça aujourd'hui car nous sommes précisément le 13 août 2008.

J'ai fait un diaporama où j'ai mis les rares photos qui me restent de cette période mouvementée de l'histoire européenne.

Le mur de berlin

Commentaires

Très chouette ton diaporama. J'ai failli aller à Berlin en 1984 mais un problème de passeport nous a fait rebrousser chemin (d'ailleurs je maudis le copain étourdi). Et 5 ans plus tard j'ai pu voir un morceau du mur en expo à Paris...

Pour rester dans le sujet as-tu vu le film "Goodbye Lénine" ?

Écrit par : catherine | jeudi, 14 août 2008

Oui oui, j'ai vu le film ! Le scénario est très original.

Écrit par : tinou | jeudi, 14 août 2008

Cette désillusion des allemands de l'Est après la réunification, je l'ai baptisée le syndrome Trabant. Cette petite voiture dont on voyait de nombreux exemplaires sur les autoroutes ouest allemandes dans les années 90, environnées d'un panache de fumée blanc (moteur deux temps comme les tondeuses), tandis qu'elles se faisaient dépasser par les camions les plus lents, cette voiture était l'aboutissement de toute une vie de labeur pour le citoyen est-allemand. Comme on le voit très bien dans le film (remarquable) "good bye Lenin", après une attente d'une vingtaine d'années, la famille modèle touchait enfin au bonheur, au crépuscule de la vie, en prenant livraison de cette voiture à l'aspect de savonnette usagée. C'était ridicule, mais c'était leur vie. Après la réunification, ivres de liberté, les allemands de l'est se sont lancés avec leurs drôles de machines sur les routes de leur riche voisin et se sont brusquement sentis petits,insignifiants, pauvres, minables, tandis que les munichois ou les hambourgeois leur dediaient un regard chargé de condescendance tout en faisant rugir le moteur de leurs puissantes berlines. Alors, en s'arrêtant dans quelque Rasplatz opulente, en grignotant leur maigre Himbiss, ils ont du jeter un dernier regard à leur malheureuse Trabant fumante, le regard qu'a le maître pour son chien, une bête tendrement aimée mais devenue trop vieille qui remue encore un peu la queue sans trop y croire avant de se faire piquer et ils ont du penser...Tout ça, pour ça...
C'est Mauriac, je crois, qui a dit "J'aime tellement l'Allemagne, que je préfère qu'il y en ait deux"

Écrit par : manutara | jeudi, 14 août 2008

Mais tu vas finir par me faire pleurer ! C'est vrai que tout cela est bien triste. Quel désenchantement ils ont dû avoir. Ils me font penser à des gens qui, le nez collé à la vitrine des magasins, ne peuvent que regarder... C'est d'ailleurs ce que j'ai fait, moi aussi,devant les luxueuses boutiques qui s'étalent le long de la Unter den Linden.C'est une véritable provocation, un pousse au crime.

Écrit par : tinou | jeudi, 14 août 2008

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