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mardi, 21 septembre 2010

362. Deux visions à un siècle d'écart, suite et fin


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" Comme pour tous les bois sacrés, il y a double enceinte. Et des temples secondaires, disséminés sous les cèdres, précèdent le grand temple central.

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N’étant jamais venus, nous nous dirigeons au jugé vers quelque chose qui doit être cela ; plus haut que tout, dominant la cime des arbres, une lointaine rotonde au toit d’émail bleu, surmontée d’une sphère d’or qui luit au soleil.

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En effet, c’est bien le sanctuaire même, cette rotonde à laquelle nous finissons par arriver. Les abords en sont silencieux : plus de chevaux ni de cavaliers barbares. Elle pose sur une haute esplanade en marbre blanc où l’on accède par des séries de marches et par un « sentier impérial », réservé aux Fils du Ciel qui ne doivent point monter d’escaliers. Un « sentier impérial » c’est un plan incliné, généralement d’un même bloc, un énorme bloc monolithe de marbre, couché en pente douce et sur lequel se déroule le dragon à cinq griffes, sculpté en bas-relief ; les écailles de la grande bête héraldique, ses anneaux, ses ongles, servant à soutenir les pas de l’Empereur, à empêcher que ses pieds chaussés de soie ne glissent sur le Sentier étrange réservé à Lui seul et que pas un Chinois n’oserait toucher.

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Nous montons en profanateurs par le « sentier impérial », frottant de nos gros souliers en cuir les fines écailles blanches de ce dragon.

Du haut de la terrasse solitaire, mélancoliquement et éternellement blanche de l’inaltérable blancheur du marbre, on voit, par-dessus les arbres du bois, l’immense Pékin se déployer dans sa poussière, que le soleil commence à dorer comme il dore les petits nuages de soir.

La porte du temple est ouverte, gardée par un cavalier indien aux longs yeux de sphinx, qui salue et nous laisse entrer —aussi dépaysé que nous-mêmes, celui-là, dans ces ambiances extrachinoises et sacrées.

Le temple circulaire est tout éclatant de rouge et d’or, sous son toit d’émail bleu ; c’est un temple neuf, bâti en remplacement du très ancien qui brûla il y a quelque dix ans. Mais l’autel est vide ; des pillards sont passés par là ; il ne reste que le marbre des pavés, la belle laque des plafonds et des murs ; les hautes colonnes de laque rouge, rangées en cercle, tout uniment fuselées, avec des enroulements de fleurs d’or.

Sur l’esplanade alentour, l’herbe, les broussailles poussent, ça et là, entre des dalles sculptées, attestant la vieillesse extrême des marbres, malgré tout ce blanc immaculé où tombe un soleil si morne et si clair. C’est un lieu dominateur, jadis édifié à grands frais pour les contemplations des souverains, et nous nous y attardons à regarder, comme les Fils du Ciel.

Il y a d’abord, dans nos environs proches, les cimes des thuyas et des cèdres, le grand bois qui nous enveloppe de tranquillité et de silence. Et puis, vers le nord, une ville sans fin, mais qui est nuageuse, qui paraît presque inexistante ; on la devine plus qu’on ne la voit, elle se dissimule comme sous des envolées de cendre, ou sous de la brume, ou sous des voiles de gaze, on ne sait trop ; on croirait plutôt un mirage de ville, sans ces toitures monumentales de proportions exagérées, qui de distance en distance émergent du brouillard, bien nettes et bien réelles, le faîte étincelant d’émail : les palais et les pagodes. Derrière tout cela, très loi, la crête des montagnes de Mongolie, qui ce soir n’ont point de base, ressemble à une découpure de papier bleu et rose, dans l’air. Vers l’ouest enfin, c’est la steppe grise par où nous sommes venus ; la lente procession des caravanes la traverse en son milieu, y traçant dans le lointain comme une coulée brune, jamais ininterrompue, et on se dit que ce défilé sans trêve doit continuer pareil pendant des centaines de lieues, et qu’il en va de même, avec une lenteur identique, sur toutes les grandes voies de la Chine, jusqu’aux frontières si reculées.

Cela, c’est le moyen de communication séculaire et interchangeable entre ces hommes d’une autre espèce que nous, ayant des ténacités, des patiences supérieures, et pour lesquels la marche du temps, qui nous affole, n’existe pas ; c’est la circulation artérielle de cet empire démesuré, où pensent et spéculent quatre ou cinq cents millions de cerveaux tournés au rebours des nôtres et que nous ne déchiffrerons jamais … » Pierre Loti, Les derniers jours de Pékin.

 Juin 2010  :Après avoir franchi d’innombrables portes peintes en rouge et ornées de motifs en or, nous atteignons l’immense rotonde au toit d’émail bleu. La foule compacte des touristes, chinois pour la plupart, se presse à l’entrée pour y pénétrer. Il y a trop de monde, je préfère attendre. Le « sentier impérial » est protégé par une barrière. Je repense à Loti venant  frotter ses souliers sur les écailles du dragon de marbre blanc. Notre guide Gaston se lance dans d’interminables explications. La vision donnée par Loti sera la seule que je retiendrai. Au loin, on entend le brouhaha intense de cette ville gigantesque que l’on devine plus qu’on ne voit, perdue dans ses brouillards. Il y a bien longtemps maintenant que les caravanes ont disparu …

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Nous nous frayons péniblement un passage vers la sortie du temple, parmi des centaines de Chinois venus là pour s’adonner à diverses activités. 

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