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mercredi, 25 mai 2011

128. Parias

D'emblée, le ton du livre nous est donné avec le prologue :

« Nous venions de tourner dans une venelle à l'odeur de papier. Des marchands, assis sur des piles de feuilles qu'ils vendaient à la pièce, repoussaient à coups de savates une vache, aux cornes ornées de boules, qui tentait d'attraper une liasse d'épreuves poussiéreuses et jaunies. La bête recula et bousa presque sur nos pieds quand une jeune fille, d'une extrême maigreur, un bébé sur les bras, nous aborda la main tendue.

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Bakchich, Baba, bakchich.

Elle remplissait la rue d'une litanie plaintive, la bouche tordue, pleine de sanglots refoulés. Des taches blanches et squameuses déparaient ses mains. Menviel s'apprêtait à l'envoyer promener, mais l'Américain lui fit remarquer les yeux vitreux du nourrisson. Le petit visage, emmailloté dans des chiffons douteux, était presque bleu. La tête, minuscule, dodelinait sur un cou trop maigre pour la soutenir. Une odeur fétide se dégageait de lui.

— Caressez cet enfant, ordonna l'Américain d'une voix blanche.

J'allais m'interposer. Déjà Menviel, si prompt à obéir, avait effleuré les joues de l'enfant.

— Il est tout froid.

— Et savez-vous pourquoi il est tout froid ? s'écria l'Américain. Il est tout froid parce qu'il est mort depuis deux ou trois jours et que cette jeune salope fait de l'argent avec son cadavre. 

Nous sursautâmes. Il aboya un ordre en hindi et la loqueteuse, apeurée, s'enfuit dans la foule avec son sinistre fardeau.

— Vous le saviez ! Vous le saviez ! balbutia l'archéologue au bord du malaise, pourquoi m'avez-vous demandé de le toucher ?

— Pour vous faire toucher du doigt la réalité indienne. Il n'est pas meilleure intitiation. Et cela vaut  pour vous aussi, monsieur Frédéric. »bruckner.jpg

Cet extrait est tiré du roman "Parias", de Pascal Bruckner. Je viens juste d'en commencer la lecture qui s'annonce passionnante.

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