mardi, 03 décembre 2013
207. Les petits travaux disparus -6-
" Un jour, en rentrant de l’école, il y avait une cuisinière neuve installée à gauche de la cheminée. Maman était en train de l’allumer ; Raymond sciait du bois assez court pour mettre dans le foyer. Ce n’était pas une mince affaire, cette cuisinière émaillée vert-foncé !
Il y avait un four, il y avait aussi un bassin qui avait un petit robinet pour prendre l’eau chaude, mais il ne fallait surtout pas oublier de mettre de l’eau dans ce bassin. Ce soir-là maman nous fit des œufs au lait, bien dorés dans le four, et le dimanche suivant un poulet rôti. J’étais toute contente.
Chez moi aussi, j'ai connu la cuisinière en fonte. On se servait du tisonnier pour enlever les cercles de métal et je me souviens encore des fers à repasser que l'on mettait à chauffer. Ce n'est qu'en 1960 que mes parents achetèrent une gazinière.
Vers mes neuf ans je m’intéressais à mon école. J’étudiais mes leçons en arrivant à la maison. Je rentrais en 1ère classe avec la directrice, Madame Vallet. Il y avait trois divisions. J’étais assez inquiète car la maîtresse avait l’air sévère et je me savais étourdie, mais je savais écouter. Je n’étais pas la dernière pour les jeux mais je n’aimais pas les fâcheries et les disputes ; Je m’en allais ailleurs …
La maîtresse nous avait dit de faire très attention à ce qui nous entourait en prenant le chemin de l’école. C’est comme cela que je remarquai en arrivant dans Luynes par la rue sourde le sabotier Mr Chalain. Il fabriquait des sabots de bois. Nous nous arrêtions le soir pour le regarder creuser son bois de noyer, le fignoler. Cet homme avait une jambe en bois, il mettait un tablier de cuir. Plus loin il y avait une petite épicerie ; C’est là que j’achetais mes caramels. À droite se trouvait la blanchisseuse, Madame Comard. Elle amidonnait les chemises d’hommes, les faux-cols et les bonnets de Tourangelle.
Plus loin c’était le forgeron, Monsieur Linard. Nous entendions le bruit de l’enclume de loin ; Ce bruit résonnait joyeusement. En passant devant son établissement, on voyait les étincelles en gerbe sous son marteau. Dehors ou à l’entrée il y avait toujours des chevaux en train de se faire ferrer. Le propriétaire tenait la patte du cheval et Monsieur Linard posait le fer.
En descendant après l’église on trouvait un charron, Monsieur Cresson ; Là aussi il y avait des bruits, des charrettes, des tombereaux à réparer. Quelques fois les ouvriers étaient en train de châtrer une roue. Un peu plus loin se trouvaient le menuisier, Monsieur Massiot (ça sentait bon le bois !), puis Monsieur Dreux, le marchand de bois et de charbon et enfin la gendarmerie. Toujours nous rencontrions les gendarmes à bicyclette ou se préparant à partir. Je connaissais bien la gendarmerie car j’y avais quelques camarades et lorsque j’étais en avance j’allais les chercher.
En sortant de l’école, le soir, je ne sais pourquoi mais je passais dans l’autre rue ; Il y avait deux épiceries avec des devantures pleines de petits jouets que j’aurais bien aimé posséder et des petits tabliers d’écoliers. Plus loin, une petite librairie avec toutes sortes de papiers et crayons. Nous traversions la place de la mairie où se trouvait l’école de garçons. Là nous retrouvions nos camarades pour le retour.
Quand papa recevait des amis ou la famille il était toujours question de la guerre de 14-18 qu’il venait de vivre, ainsi que mon oncle. Nous l’écoutions raconter sa vie à Salonique, ensuite son hospitalisation à Nice pour être soigné des fièvres du paludisme et maman disait le mal et les soucis qu’elle avait eus à tenir la ferme. Aimé avait beaucoup manqué l’école pour travailler avec Grand-père qui venait aider maman. C’est pour cela, je crois, que mon frère a toujours été sérieux et s’est senti responsable de ses devoirs. Pourtant il aimait l’école ; c’est pourquoi, étant jeune homme, il a complété son instruction primaire par des cours du soir.
J’écoutais attentivement ces conversations qui me laissaient une sorte de crainte du monde. Je savais, je sentais que tout pouvait recommencer puisqu’on apprenait l’histoire de France et que c’était toujours des guerres où les hommes mouraient. J’étais tout de même contente que la France soit toujours la France.
Cette année-là, papa et Aimé mirent des pieux et des rangs de fil de fer autour du champ destiné à faire un nouveau pacage. Papa eu deux doigts écrasés pour avoir mis la main sur un pieu au moment où le maillet s’abattait dessus pour finir de l’enfoncer dans la terre. Mon frère était désolé de ce coup malencontreux. Quand je suis arrivée de l’école, tout le monde à la maison était sans dessus-dessous. Aimé dut conduire papa en carriole chez le docteur pour soigner ses doigts ; il eut longtemps sa main en écharpe.
Et il a été question du Conseil de révision pour Aimé. Je me rappelle que tous les garçons de son âge sont venus dîner à la maison. Ma sœur et moi avions eu le droit de rester un peu. Ils riaient, chantaient, disaient des bêtises tandis que papa leur servait du bon vin. Nous étions excitées et n’avions pas du tout envie d’aller au lit.
À cette époque, il y avait des troubles au Maroc et un jour Aimé reçut sa feuille : il était désigné pour aller à Meknès …"
À suivre
07:26 Publié dans Correspondance | Lien permanent | Commentaires (0)
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