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vendredi, 06 décembre 2013

211. Les petits travaux disparus -9-


podcast

Un matin, papa trouva notre chien Vermouth mort. D’après le vétérinaire il avait été empoisonné. Nous n’avons jamais compris ni pourquoi ni comment. J’avais du chagrin et on me promit alors un autre chien. En effet, un soir en rentrant de l’école, il y avait un petit chiot adorable, roux foncé, peureux et timide. Je l’appelai Coco mais je ne voulais pas qu’il soit toujours attaché à cette grande chaîne quand il serait grand.

Ce doit être au cours de l’été 1928, j’avais dix ans, lorsque nous reçûmes une lettre d’Aimé nous annonçant son retour. C’était l’été, un dimanche, il faisait très beau. Raymond avait balayé la cour comme il le faisait tous les dimanches matin, maman avait fait la cuisine, toute heureuse de préparer de bonnes choses, et nous, les petites, nous guettions l’arrivée de notre grand frère …

Le voilà ! Je me rappelle notre saisissement quand nous le vîmes si maigre, si basané, ses dents blanches ressortant sur son teint recuit ; Mais ensuite, après les embrassades, quelle joie de voir nos parents et nos frères si heureux !

Après le déjeuner, personne ne faisait attention à nous, toute la famille bavardait en prenant le café … Nous sommes alors parties toutes les deux, Mimi et moi, nous promener à travers champs. Nous sommes arrivées dans un champ de trèfle à graine en pleines fleurs roses comme des pompons, sentant une certaine odeur sucrée (c’était où est maintenant l’usine Roche). Il y avait des papillons par centaines et de toute beauté. Je ne crois pas avoir revu de si beaux spécimens. Nous étions émerveillées, nous courions d’un côté sur l’autre ; Nous avons parcouru le champ de trèfle en tous sens. Pourtant ce champ ne nous appartenait pas, cela était défendu de marcher dans les luzernes, trèfles, blé, avoine. Mais ce jour-là nous n’y pensions plus, nous étions si heureuses qu’il nous fallait courir à travers champs …

Pour se remettre dans le bain de la vie civile et se faire un peu d’argent, Aimé fit une campagne de machines. Les moissons étaient déjà faites ; Les bauges c'est-à-dire les tas de grains ou meules attendaient pour être battues dans la cour des fermes. Il fallait donc faire venir la machine à battre pour récolter le blé, l’avoine ou l’orge en sacs, soit pour les vendre et livrer de suite, soit pour mettre au grenier. Les balles étaient récupérées pour faire les tas de paille.

 

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Notre machine à battre s’appelait « La 24 », car pour le lancement de cette machine il y avait 24 sociétaires-cultivateurs. Chaque cultivateur battait à son tour, une année les uns commençaient, puis l’année suivante c’étaient les autres.

Ce matériel se composait d’une énorme chaudière à vapeur comprenant un foyer surmonté d’un réservoir d’eau et une énorme poulie d’où partaient des courroies qui actionnaient la batteuse installée à quelques mètres et qui recevait les gerbes déliées régulièrement. Un ou deux hommes se positionnaient toujours dessus  tandis que deux autres, sur un support en côté, écartaient les gerbes afin qu’elles s’engouffrent dans la batteuse qui battait et triait le grain qui tombait dans les sacs. Là aussi se tenaient deux ou trois hommes pour emporter ces sacs pleins de quatre-vingts, voire cent kilos, dans les charrettes pour être livrés ou dans les greniers par des échelles ou escaliers pour les futures semailles oa d’autres besoins de la ferme …

Au bout de cette batteuse, il y avait un lieur qui lui, liait les bottes de paille. D’autres enfin portaient cette paille à bout de fourche jusqu’au futur tas de paille qui se faisait au fur et à mesure par un embaugeur.

Le responsable de tous ces travaux était le chauffeur : il arrivait le premier le matin avant jour pour allumer sa chaudière. Il fallait donc préparer du bois, du charbon et de l’eau pour le réservoir. Pendant que ça chauffait, les hommes arrivaient et ils prenaient le petit déjeuner. Quand tout était prêt, un coup de sifflet retentissait et tous se mettaient en  marche, chacun à son poste.  

Tout le matériel était amené d’un cultivateur chez l’autre par des chevaux. Je me rappelle, quand la machine venait chez nous de par la vallée de Vaugareau, il fallait plusieurs chevaux par matériel à cause de la côte. On entendait des coups de fouet claquer, des jurons et des « Hue ! Hue ! Hue ! ». Il y avait des chevaux plus ou moins bons tireurs. Ce n’était pas une petite affaire !

Avec ma petite sœur nous montions dans le haut de l’escalier en pierres qui accédait au grenier à blé, au-dessus de nos chambres, et de là nous voyions l’arrivée de la machine.

Cela donnait un mal fou à maman car il fallait nourrir une vingtaine d’hommes quatre fois par jour et il fallait aussi de la place. On mettait alors une grande table dans la grange, après l’avoir soigneusement nettoyée, et deux bancs. J’aidais à mettre le couvert, à laver les verres …

Toutes les heures un coup de sifflet retentissait et il fallait porter à boire aux hommes et toujours laver les verres, laver la vaisselle … Nous en faisions des tours de la cuisine à la grange, mais cela se faisait en gaieté. Il y avait une chose que je n’aimais pas : c’était quand le chauffeur lâchait le trop-plein de la vapeur ; j’avais peur que ça explose, mais je n’ai jamais osé l’avouer. J’étais bien trop excitée par tout ce remue-ménage.

Nous battions quelques fois un jour et demi, ou plus, cela dépendait du temps. Il ne faisait pas toujours beau. Papa consultait le baromètre, regardait le ciel et disait :

Pourvu qu’il fasse beau pour les battages !

Quelques fois il faisait très chaud, les hommes étaient rouges, en sueur, dans la poussière.

Nous ramassions aussi les balles – l’enveloppe du grain -. Il y avait un tuyau qui partait de la batteuse et qui montait au grenier. Ces balles servaient à faire de « l’augée », mélangées avec des betteraves râpées au coupe-racine. L’hiver on donnait ça aux vaches. Maman mettait de l’eau très chaude sur cette augée, ça sentait bon, mais quel travail quotidien ! Tous les jours il fallait recommencer. On décrottait les betteraves le soir, c’était ma corvée mais je voulais que Mimi m’aide, ça m’ennuyait de faire ça toute seule.

Le soir des battages, les hommes chantaient, racontaient des histoires, riaient fort ; ils étaient pourtant fatigués. Mais le lendemain ils étaient tous là avant le lever du jour.

 

À suivre    

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