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mardi, 10 décembre 2013

216. Les petits travaux disparus -11-


podcast

Joséphine avait fait la connaissance d’un jeune homme de Saint-Étienne-de-Chigny, elle parlait de se marier. Nous aimions bien Joséphine, elle était gentille mais elle se fâchait quelques fois après les vaches ou les poules et elle jurait en breton, ce qui nous amusait beaucoup.

À cette époque, il y avait des couturières qui allaient coudre à la journée chez les gens. Chez nous venait Francine, une personne de Vaugareau. Maman nous fit faire des chemises de nuit longues en tissu rose douillet, nous en étions heureuses !

Heureusement car le douze février 1929 il y eut une tempête de neige pendant la nuit, comme nous n’en avons jamais revue en Touraine depuis. Ce soir-là, le temps était gris, bouché, mais un vent glacial s’éleva et dans la nuit il se mit à siffler lugubrement. Mais nous étions au lit, bien au chaud et nous dormîmes …

Au matin, quand  papa se leva, nous l’entendîmes pousser des exclamations ; il ne pouvait ouvrir la porte, bloquée par la neige. En effet, le vent s’était apaisé mais il était tombé énormément de neige ; elle s’était entassée par endroit. On ne distinguait plus les champs ni la route ni les chemins. Il y en avait presque un mètre par endroit, tout était d’un calme impressionnant. Papa, mon frère et quelques voisins se mirent à repérer, tâter et marquer les fossés. Cette neige n’a pas fondu, elle s’est minée petit à petit, elle est restée environ un mois. Pourtant il faisait du soleil, mais l’air était trop froid pour qu’elle fonde.congere.jpg

Au bout de quelques jours je suis retournée à l’école seule, ma petite sœur n’avait que cinq ans et demi. Je me revois partir avec ma cape en coton, mon bonnet de laine, mes galoches (tiges de cuir montées sur des semelles de bois) non fourrées. De chaque côté de la route enfin dégagée, il y avait une bordure de neige plus haute que moi ! C’était extraordinaire pour nous.

Je retrouvais quelques camarades, nous faisions des batailles de boules de neige. Nous nous sommes aventurés en pleine neige, pourtant papa nous l’avait interdit car dessous il pouvait y avoir un trou. C’est ce qui est arrivé à une personne venue chercher du lait chez nous : elle s’était trompée et elle est tombée dans un fossé profond. Elle avait très froid. Par chance papa était remonté sur la route pour voir s’il ne voyait pas quelqu’un et il entendit ses plaintes. Il chercha et trouva cette pauvre femme qui voulait rester là et dormir. Il dut la relever et la faire marcher de force pour finalement la reconduire chez elle. Cette histoire m’avait beaucoup impressionnée et donnée à réfléchir.

Quand nous arrivions à l’école, il fallait allumer le poêle à tour de rôle. Ce n’était pas toujours une réussite ! Il fallait pourtant arriver à le faire ronfler si nous voulions qu’il fasse chaud dans la classe. Il fallait aussi faire le ménage et balayer la classe. Certains jours de pluie, nous rapportions de la boue avec nos galoches. Nous devions également épousseter les bureaux, laver les tableaux, aller chercher du charbon à la cave qui se situait sous le logement de la maîtresse.

Dans la cour il y avait des tilleuls et au printemps un homme venait les tailler. Nous, les élèves, nous devions ramasser le petit bois.

J’étais en 2ème division, l’école me plaisait beaucoup et j’aimais Madame Vallet, notre maîtresse.

Le matin nous avions une leçon de morale puis calcul. J’aimais surtout les problèmes, je n’en ratais pas beaucoup. J’aimais beaucoup moins les dictées mais j’adorais les rédactions ! Je trouvais toujours de quoi raconter, mais parfois je sortais du sujet ce qui m’enlevait des points.

Le samedi, couture et lecture à haute voix. Quelle patience pour nous faire faire un cahier de couture (que j’ai encore) et de tricot. C’est Laurence, une grande, qui montra à toute la classe comment tricoter ; elle faisait des points « fontaine », c’était extraordinaire.

Assez souvent l’hiver j’avais mal à la gorge et j’avais peur de manquer l’école. Maman me faisait alors boire une tasse de lait chaud et sucré avec quelques gouttes de teinture d’iode, le soir avant d’aller au lit. Elle me badigeonnait aussi la gorge avec la teinture d’iode ; ce n’était pas beau, surtout lorsque la peau se mettait à dépouiller.

C’est peut-être cette année-là que papa, qui était au conseil municipal, proposa de faire installer une bascule publique pour peser les grosses charges, comme des charrettes de fourrage ou bien encore les bêtes à livrer aux bouchers. Il trouvait que c’était plus juste pour le vendeur et l’acheteur. Que de discussions entre les hommes ! Finalement la bascule fut installée auprès de notre école. Je trouvais que papa était un homme formidable !

Raymond étant à Parçay-Meslay venait quelques fois nous voir le dimanche en bicyclette. Il nous racontait ses sorties au bal ; il disait qu’il avait un succès fou avec les filles. J’écoutais de toutes mes oreilles …

Un dimanche il est même venu avec une Geneviève, très gentille ; une autre fois il nous parlait d’une certaine Simone ; Je ne prenais pas mon frère au sérieux, c’est vrai qu’il n’avait que dix-neuf ans ! Je haussais les épaules, je crois même m’être moquée de lui avec toutes ses conquêtes.

Il taquinait Aimé qui était beaucoup plus calme et  posé.

Un beau jour j’appris qu’Aimé « fréquentait » une petite cousine, Madeleine, de Saint-Étienne-de-Chigny en vue de mariage … Je regardais mon frère Aimé avec considération, le trouvant vraiment un grand jeune homme.

Papa était sévère avec mes frères ; Ils devaient beaucoup travailler, n’avaient pas de loisir à part le dimanche après-midi, ne devaient pas discuter les décisions de papa. Je voyais bien, malgré mes onze ans, qu’ils avaient envie de protester. J’entendais parfois  maman faire quelques reproches à papa à ce sujet.

Moi aussi je craignais papa, il ne fallait pas parler à table ni trop remuer ; Ce n’était pas toujours facile !

Nous disions « vous » à nos parents, nous y étions habitués et cela ne nous arrêtait pas dans nos élans de tendresse.

Je me demande parfois quelle éducation est la meilleure. À cette époque le désir des enfants n’était pas consulté, on devait obéir et faire ce que nos parents trouvaient bon pour nous. Nous n’avions pas la parole … Finalement nous pensions tout bas et nos parents nous connaissaient à peine.

Aujourd’hui les enfants s’expriment, leurs désirs sont pris au sérieux, on leur laisse faire beaucoup de choses, surtout des études que nous n’avons pas eu la possibilité de faire ; Ils vont en vacances à la mer, à la montagne, en pays étrangers et pourtant ils ont l’impression de ne pas se sentir compris, trouvent leurs parents vieux jeu.

Tout est difficile, c’est toujours le même problème à chaque génération.

Ils ont en plus le confort : pas besoin de penser au chauffage, à l’éclairage, à l’eau. Il n’y a rien à faire de ce que nous devions assurer, nous les enfants. Nous participions aux choses indispensables de la vie de la maison, nous devions être attentifs ; cela nous occupait et nous rendait satisfaits d’avoir fait notre ouvrage.

Tout commença à changer lorsqu’on parla d’installer l’électricité dans les campagnes.

 

À suivre      

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