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jeudi, 12 décembre 2013

218. Les petits travaux disparus -13-


podcast

À l’école, Lulu et moi étions devenues inséparables. Nous étions avec quatre grandes qui redoublaient car la maîtresse faisait toujours faire deux ans à la première division. Nous n’étions donc pas très sûres de nous ! C’était la division du certificat et la maîtresse était exigeante.

Au fil des semaines du cahier de roulement et des compositions, je me retrouvai 2ème, puis 1ère, ce qui me rendit de l’assurance, mais j’avais envie de m’amuser. Avec Lulu nous avions des fous-rires incontrôlables et Madame Vallet nous sépara car elle voulait nous présenter avec les grandes pour passer l’examen du certificat. Ce qui m’avantageait, c’était les problèmes que j’aimais beaucoup résoudre ; Je m’exerçais à la maison.

Un samedi soir –c’était le 30 août 1930- il y eut un orage terrible qui dura plusieurs heures. Heureusement nous n’en avons jamais revu de pareil à Luynes.

Cela commença après la récréation de 16h , nous avions entendu le tonnerre dans le lointain sans trop y faire attention. Une fois en classe, le ciel s’assombrit comme s’il voulait faire nuit et le tonnerre devint plus fort … La maîtresse sortit, alla voir les autres maîtresses et elles décidèrent de nous faire partir avant l’heure en nous recommandant de nous dépêcher de rentrer chez nous. Nous partîmes en marchant rapidement, je tenais ma sœur par la main. Les gens regardaient le ciel avec inquiétude.

En arrivant en haut de la rue sourde, au bout du chemin appelé « Clos Taku » (où se trouve la piscine actuellement) nous vîmes mieux le ciel et là je fus effrayée : au nord-est c’était couleur d’encre avec des éclairs zigzagant sans arrêt et toujours ce roulement de tonnerre qui se rapprochait lentement. Il y avait des traces jaunes, il faisait déjà sombre. Mimi, qui n’avait que six ans et demi avait peur et se mit à pleurer … La maison me paraissait bien loin, mais je n’avais qu’une idée en tête : ramener ma sœur à maman.

Pour rassurer Mimi, je lui dis que maman allait sûrement venir à notre rencontre et qu’il fallait courir. Elle tremblait mais elle courut avec moi tant bien que mal. La peur nous coupait les jambes …

Je me revois encore arrivant dans la cour ; Maman était en train de rentrer les vaches affolées qui, sitôt rentrées, ressortaient comme des folles, énervées par l’orage. Enfin maman réussit à les attacher et ferma la porte de l’étable. Elle était soulagée de nous voir arrivées et nous rentrâmes toutes les trois dans la cuisine. Il faisait de plus en plus sombre et le tonnerre se rapprochait. Maman nous expliqua que ce serait une mauvaise nuée car le vent qui s’élevait était contre cette nuée qui montait lentement mais sûrement. Puis elle ferma les volets à cause des éclairs qui effrayaient Mimi et alluma la lampe …

Le déluge ne commença pas tout de suite, le roulement du tonnerre devint peu à peu infernal et tout à coup le vent et la pluie se déchaînèrent, la maison en tremblait.

Tout à coup je me demandai où étaient nos camarades ; J’ai su par la suite que beaucoup étaient restés dans Luynes.

Maman se tourmentait pour Grand-père qui était reparti un peu avant notre retour, sachant que Grand-mère avait peur de l’orage. Je ne savais pas où étaient papa et mon frère, mais maman n’avait pas l’air inquiet à leur sujet. D’ailleurs ils vinrent nous rejoindre peu après.

L’eau, le vent et l’orage faisaient un bruit infernal, c’était vraiment impressionnant. Je me dis qu’il fallait que je m’occupe pour ne plus avoir peur. Le matin à l’école nous avions appris les densités et la maîtresse nous avait donné deux problèmes à faire. Je m’installai donc sur la table, sous la lampe qui tremblotait, mon Coco peureux et tremblant couché sur mes pieds, et je résolus les deux problèmes.

Il y eut des dégâts considérables dans Luynes : de grands trous dans les rues où l’eau avait déferlé, des murs éboulés, des toits percés et de l’eau partout dans les champs. Les hommes disaient que ça demanderait du temps avant de mettre le pied dans les terres.

Cette mauvaise nuée alimenta les conversations pendant des années.

Un jeudi Madame Vallet vint nous rendre visite après le déjeuner. Quelle surprise ! Je me demandai bien pourquoi car tout allait bien à l’école. Mes parents la firent entrer et nous envoyèrent jouer dehors.  Mais j’étais intriguée, dévorée de curiosité : c’était ma maîtresse et il devait donc bien s’agir de moi !

Tant pis, à grands pas silencieux j’allai écouter à la porte (je revois encore l’air outré de Mimi !) et j’entendis qu’elle voulait m’inscrire pour l’examen des bourses que je réussirai, qu’elle s’occuperait de moi, que je pourrais faire une bonne institutrice …

Elle dit :

— Monsieur R, vous êtes fermier avec quatre enfants, vous n’aurez rien à payer.

J’en étais bouche-bée, toute contente, mon cœur battait !

Mais, après un silence, papa éleva la voix et dit :

— Je ne ferai pas de différences entre mes enfants ; Ses frères sont à la terre, elle aidera sa mère. J’espère qu’elle aura son certificat d’études, ensuite elle restera avec nous.  

Maman ne disait rien. Je n’écoutais plus car je savais que papa ne reviendrait pas sur sa décision … J’eus un énorme pincement au cœur, j’avais conscience que j’étais prête à apprendre … que j’aimais les enfants … que … Enfin !

Un moment après Madame Vallet s’en alla. Je voyais bien qu’elle était contrariée, maman avait l’air songeur et papa parti travailler sans rien dire.

En fin de soirée je demandai à maman ce que ma maîtresse était venue faire et elle me rapporta ce que j’avais déjà entendu, à savoir que papa ne voulait pas faire de différences entre nous, que Madame Vallet le savait et qu’elle n’aurait pas dû revenir pour insister.

Un jour la maîtresse nous fit faire ce fameux examen pour les bourses qui avait lieu à Tours. J’aurais été admise. Elle fit une lettre que je devais remettre à papa. Il eut l’air tout contrarié en la lisant et ce fut tout !

Après cet évènement, mes jeux changèrent, j’étais toujours maîtresse d’école et Mimi dut faire des pages d’écriture, de chiffres. Je crois avoir été très embêtante avec elle à cette époque.

Je pensai alors que ça ne serait pas mal non plus d’être fermière. J’aimais tant notre Barbinière. Maman était la patronne dans sa ferme et moi aussi je serai patronne dans ma ferme.

Trente ans plus tard, quand j’ai connu Yvonne, ce pincement au cœur qu’elle avait ressenti ce jour-là avait fait place à d’énormes regrets. À coup sûr, elle eût été une excellente institutrice. Mais bon, la vie en a voulu autrement … Certes, elle fut patronne dans sa ferme, mais elle ne sut jamais ce qu’est le repos.

Doit-on blâmer pour autant ce père ? J’avoue ne pas savoir …

 Ce cas était très fréquent à cette époque.

À suivre 

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