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samedi, 21 décembre 2013

226. La mauvaise étoile -3-

À quelque temps de là, le village se prépara à fêter le quatorze juillet. Il faut avoir vu le film de Jacques Tati, « Jour de fête », pour se représenter réellement ce que pouvait être une fête à la campagne. Tous les ingrédients étaient là : les forains étaient arrivés la veille et avaient dressé leurs manèges et leurs stands sur la place du village. Les filles s’étaient mises sur leur trente et un, arborant des robes dans les tons rose bonbon et bleu ciel. Les vieux avaient ressorti le costume de la naphtaline. Les cafés du coin avaient décoré leurs terrasses avec des guirlandes et des lampions. Et puis il y aurait le bal populaire… Bref c’était le grand événement de l’année.

Tante Yvonne donna l’autorisation aux deux enfants de s’y rendre, à pied bien sûr. Il n’y avait pas d’autre moyen de locomotion. Le village était situé à trois bons kilomètres de la ferme et la petite route qui y menait était sinueuse et pentue.

Les enfants partirent en début d’après midi, en plein soleil. Jean-Elie avait l’habitude de marcher et il avançait d’un bon pas. C’était différent pour Danielle, une enfant de la ville, plutôt habituée aux transports en commun. Elle  eut vite fait d’être essoufflée, mais ne voulant pas paraître fatiguée, elle se força à suivre son compagnon de route, écarlate et en sueur sous un soleil de plomb. Ils atteignirent bientôt le cœur du village, niché au creux d’un vallon verdoyant. Les flonflons de la fête battaient à tout rompre et ils durent se faufiler au travers de la foule pour pouvoir admirer la fanfare locale défiler. C’est ce moment que choisit Jean-Elie pour s’éclipser discrètement. Quand Danielle se retourna, il était parti ! Alors parmi la foule des badauds endimanchés elle tenta de l’apercevoir, mais ce fut peine perdue… Elle comprit bien vite qu’il l’avait fait exprès et fut très en colère. Mais sa colère fut vite remplacée par une inquiétude grandissante. Comment allait-elle faire pour retourner à la ferme ? Elle n’avait pas pris garde au chemin suivi et se demandait si elle allait pouvoir rentrer seule.

Dès lors la fête ne l’intéressa plus, elle se mit à haïr ce village, ce gamin et tous les gens qui se trouvaient là. Elle n’avait plus qu’une idée en tête : rentrer au plus vite à la ferme.

Elle trouva le chemin du retour et repartit. La colère lui donnait de la force et malgré la chaleur et le soleil qui lui tapait sur la tête, elle fonçait sur la route, tout en ravalant sa rancœur. A un moment, la route se séparait en deux. Elle était incapable de savoir quel côté il fallait prendre. Dans ces cas-là, il n’y a pas d’autre solution que de faire confiance au hasard. Elle obliqua donc vers la gauche et tout en avançant, elle examinait les alentours à la recherche d’un indice confirmant que la route était la bonne. Mais, au fur et à mesure qu’elle avançait elle ne reconnaissait pas l’endroit. Au bout d’un bon kilomètre, elle décida alors de faire demi-tour et retourna au croisement. Elle emprunta alors l’autre chemin et bientôt la vue de quelques maisons au loin la rassura. Cette fois, il n’y avait aucun doute possible, elle était sur la bonne route. Elle ralentit un  peu la marche, se sentant plus en sécurité et finalement elle atteignit la ferme.

Yvonne fut très étonnée de la voir arriver seule.

—  Où est Jean-Elie ?

—Je ne sais pas, on s’est perdu dans la foule et je ne l’ai pas revu, répondit la gamine au bord des larmes.

Yvonne parut très sceptique sur la véracité des propos mais ne dit mot.

 Jean-Elie rentra à la soirée, tout joyeux. Il avait gagné une peluche au tir à la carabine. Mais quand Yvonne lui demanda pourquoi Danielle était rentrée seule, il s’embrouilla dans des explications qui ne convainquirent pas la fermière qui pressentit  une entourloupe de sa part ; elle appela Danielle et devant la gamine elle le sermonna :

— Je t’avais confié Danielle, tu étais responsable d’elle ; tu savais très bien qu’elle ne connaissait pas l’endroit. J’avais confiance en toi et tu me déçois !

Il était tout penaud et regardait bêtement le bout de ses chaussures. Il aurait préféré recevoir une raclée et qu’on n’en parle plus. Mais Yvonne insista pour qu’il présente ses excuses et qu’il promette de ne plus recommencer. Elle avait bien compris qu’il l’avait fait exprès et pressentait qu’il avait peur d’être rejeté au profit de cette nouvelle arrivante. Alors le soir, avant qu’il aille se coucher, elle le prit à part et lui expliqua :

—  Danielle est ici parce que ses parents n’ont pas la possibilité de s’occuper d’elle pendant les vacances. Ils ont pensé qu’un séjour à la campagne lui ferait du bien. C’est une petite fille heureuse, elle a des parents qui l’aiment. Elle ne cherche pas à prendre ta place. Toi, tu n’a plus tes parents ; ici c’est comme chez toi et tu sais que je t’aime comme si tu étais mon fils.

Les choses étaient dites simplement, elles furent comprises et ce fut la seule fois où les deux enfants eurent à se confronter. A partir de ce jour, chacun trouva sa place et il n’y eut plus jamais de malentendus. Danielle avait rejoint la petite chambre ; la fenêtre donnait sur les champs, mais  aussi sur le tas de fumier qui envoyait des effluves nauséabondes qui au début lui parurent insupportables. Mais peu à peu elle s’habitua et bientôt cette odeur lui fut familière. Au fil des jours qui s’écoulaient paisibles Danielle découvrit alors le monde très particulier de la campagne. Tout comme Jean-Elie, elle participa aux divers travaux des champs…

 

A suivre


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