dimanche, 22 décembre 2013
227. La mauvaise étoile -4-
Danielle découvrit le dur labeur des travaux des champs. À l’époque les paysans n’avaient pas tous une moissonneuse-batteuse et alors celui qui en possédait une la louait à ses voisins…
Les bottes liées des tiges de blé étaient disposées en pyramide dans le champ au fur et à mesure qu’elles sortaient de la machine. Le ramassage s’effectuait ultérieurement. Roger arrivait alors avec sa charrette tirée par un percheron et à l’aide de fourches les gerbes étaient empilées les unes sur les autres dans la charrette. Le grand plaisir des enfants étaient de grimper tout en haut de cet énorme tas. Ils avaient l’impression de dominer le monde.
Roger possédait un cheval, un magnifique percheron qui lui était indispensable pour tirer la charrue dans les champs. Les champs n’étaient pas tous regroupés autour de la ferme. Il y avait des parcelles qui se trouvaient assez éloignées et il s’y rendait avec son cheval. Jean-Elie aimait bien l’accompagner, grimpé sur le dos du canasson. Lui, tout petit et maigrichon avait cependant fière allure… Un jour Roger voulut faire monter Danielle sur le cheval. Ce ne fut pas une mince affaire ! Elle n’était pas très courageuse et quand elle se retrouva en hauteur, elle eut le vertige et se jura bien qu’elle ne recommencerait pas cette expérience.
Elle préférait de beaucoup s’occuper des poules ! Les poules étaient en liberté, elles allaient parfois sur la route mais comme il n’y avait guère de trafic, il n’y eut jamais d’accidents. D’ailleurs les poules sont loin d’être aussi stupides qu’on le prétend ! C’est amusant de les voir rentrer le soir dans leur poulailler dès que le soleil commence à décliner. Quand les groseilliers étaient couverts de fruits, Danielle s’amusait à leur lancer des petites boules rouges. Elles en étaient très friandes et la gamine se trouvait alors entourée d’une horde de poules caquetant et se bagarrant pour attraper les fruits.
Elles pondaient un peu partout et le grand jeu des enfants était à celui qui ramasserait le plus d’œufs dans le panier à salade.
Le jardin potager se trouvait juste en face de la maison. Il était entouré d’une clôture en bois qui lui donnait un aspect vieillot. Là Danielle découvrit comment poussaient les différents légumes. Elle adorait aller ramasser les radis. Quelquefois elle se faisait piéger par la grosseur des feuilles et quand elle tirait sur la plante, il n’y avait qu’un petit fil tenu…
Les salades du jardin laissaient couler un liquide laiteux quand on les coupait. Les tomates prenaient le temps de rougir et il fallait attendre fin juillet bien souvent pour en apprécier le goût. Et puis il y avait aussi les haricots verts qu’il fallait cueillir tous les jours car ils poussent très vite, ou encore les courgettes qui, si on les oublie, deviennent en l’espace de quelques jours de véritables citrouilles !
A l’angle droit du potager Roger avait construit une petite maison en bois qui servait de buanderie. C’est là qu’Yvonne faisait bouillir le linge dans d’énormes lessiveuses. Ensuite elle étendait les draps au-dehors et alors le linge, en séchant, prenait des odeurs d’herbe.
La buanderie servait aussi de salle de bain pour toute la famille. C’était le rituel du dimanche matin. Yvonne avait mis de l’eau à chauffer dans de grandes bassines et chacun son tour allait se laver. Une énorme lessiveuse servait alors de baignoire. Il y faisait très chaud dans cette buanderie, surtout l’hiver. On se serait cru dans un sauna finlandais !
Seul Roger ne s’y rendait pratiquement jamais au grand désespoir d’Yvonne. Jean-Elie aurait bien voulu, lui aussi, échapper à ce nettoyage dominical, mais Yvonne veillait à ce que chacun soit propre et nickel comme un sou neuf !
Le domaine réservé à Yvonne était l’étable. Non qu’elle y éprouva du plaisir, mais c’était ainsi. C’était en fait un dur travail que de s’occuper du troupeau qui comptait une petite dizaine de vaches. Les traire chaque jour, nettoyer l’étable, leur donner du foin, les laver quand elles s’étaient salies. Au début Danielle avait très peur, elle n’osait pas s’approcher craignant de recevoir un coup. Puis peu à peu elle s’enhardit, elle essaya même de traire, mais elle n’arriva jamais à avoir le coup de main.
Yvonne avait toujours aimé lire, mais elle n’arrivait pas à trouver suffisamment de temps libre pour pouvoir s’adonner à ce plaisir. Danielle devint donc lectrice. C’étaient de beaux livres à la couverture rouge et or, les livres que l’on distribuait autrefois dans les écoles pour récompenser les bons élèves. Installée sur un petit tabouret près d'Yvonne qui trayait les vaches, elle lut et relut encore, prenant de l’aisance, mettant le ton et rendant les dialogues vivants ; L’idée lui vint alors de devenir actrice de théâtre. Elle s’entraînait à apprendre des passages par cœur et les réciter ensuite à son public. Son public c’était Yvonne et Jean-Elie, ce dernier en admiration devant cette gamine qui savait le faire rire. Car Danielle savait y faire, elle avait de réelles capacités à devenir comédienne…
Un dimanche après midi, ses parents vinrent lui rendre visite. Elle avait préparé un petit spectacle en compagnie de Jean-Elie. Hélas, le résultat fut l’inverse de ce qu’elle escomptait ! Ses parents n’apprécièrent pas du tout et ce jour-là, elle comprit que sa carrière tombait à l’eau avant même de commencer. Elle enfouit sa déception au fond d’elle-même et mit son mouchoir par-dessus. De nombreuses années plus tard pourtant, on lui fit souvent cette remarque :
— Oh arrête s’il te plait ! Ne nous joue pas la grande scène du II.
Comme quoi, il y avait encore de beaux restes…
Tous les matins, il fallait sortir les vaches dans le pré et les garder car il n’y avait pas de clôture et le pré longeait la route. La plupart du temps, les deux enfants surveillaient ensemble le troupeau, munis d’une longue badine pour taper sur les cuisses des plus téméraires.
Quelquefois, Jean-Elie préférait accompagner Roger dans les champs et alors Danielle se retrouvait toute seule pour garder le troupeau. C’était une véritable angoisse pour la gamine qui avait une frousse bleue de ces bêtes. C’est comme dans tout rassemblement, il y a toujours une brebis galeuse. Et si l’ensemble du troupeau était paisible, il y avait une vache, noire et blanche, qui aimait jouer les récalcitrantes. Elle ne suivait pas les autres, c’est elle qui voulait paître de l’autre côté de la route ou encore qui refusait de rentrer à l’étable. Alors Danielle, armée de son bâton, commençait à gesticuler dans tous les sens, à crier, à sauter, à essayer de faire peur à l’animal qui la regardait faire, indifférent aux menaces de ce petit bout de bonne femme.
A suivre…
17:15 Publié dans Petites nouvelles de rien du tout | Lien permanent | Commentaires (0)
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