lundi, 25 novembre 2013
200. Les brèves de comptoir -1-
Je ne me reconnais plus bien dans l‘époque actuelle. On vit dans un monde aseptisé, lisse, où les différences entre les individus sont de moins en moins flagrantes. Finalement on tend à vouloir nous faire entrer dans un moule, à faire de nous des moutons dociles à qui l’on dicte ce qu’il faut penser, ce qu’il faut acheter. Bref un monde de robots où la violence contenue resurgit dans des comportements agressifs. Il est évident que cette société ne me plait pas, c’est sans doute la raison pour laquelle je reste calfeutrée chez moi.
Il m’arrive très souvent de repenser à ma jeunesse et à tous ces gens qu’un jour j’ai croisés au hasard des rencontres. Il y a longtemps déjà … Ils sont tous morts aujourd’hui, mais ils apparaissent parfois dans mes rêves, la nuit.
Faisons un plongeon dans le passé : nous sommes au début des années soixante. Du haut de mes onze ans, et quand j’ai fini mes devoirs, j’aime bien me mettre à la caisse pour vendre des cigarettes, des journaux et des timbres. Ma grand-mère a toujours un œil sur moi, au cas où je me tromperais dans les calculs. Mon père et ma mère, eux, servent les clients au bar.
Le décor est planté, faisons maintenant entrer les acteurs :
— Tiens, voici Mr T !
Il a un poste important dans les bureaux de la sécurité sociale et c’est notre voisin. De ma fenêtre de chambre, j’aperçois son jardin et ses deux enfants qui jouent ou se chamaillent. L’aîné est un garçon un peu plus jeune que moi qui maltraite souvent sa petite sœur ou torture son chat. Dès que sa journée de travail est terminée, Monsieur T. se précipite chez nous jusqu’à la fermeture. Il n’est pas pressé de rentrer chez lui et d’y retrouver sa femme. Alors il traîne, il paie des pots à n’importe qui et quelquefois il a du mal à trouver la sortie. Un soir il est tombé sur le trottoir et s’est retrouvé coincé dans la bouche d’égout. Il a fallu qu’on le sorte de là …
Un de ses acolytes s’appelle Toto. Au début des années soixante, il devait avoir une trentaine d’années. Toto avait une jambe en moins, perdue sous un train qu’il n’avait pas entendu arriver. C’était un bon garçon mais il n’avait pas grand-chose à dire. On se demande d’ailleurs de quoi ils pouvaient bien parler ensemble ! Toto était capable de rester toute une journée accoudé au comptoir. Ces jours là il vidait facilement sa bouteille de Ricard… Alors, le soir, mon père lui confisquait son solex et demandait à un voisin de le raccompagner chez lui.
— Tiens, bonsoir Mr D !
Lui est chef de chantier dans une usine métallurgique près de chez nous. Lui non plus n’est pas pressé de retrouver une femme revêche et prétentieuse. Mais il sait garder la mesure. Il attend simplement que le temps passe … Natif de Bourgueil, il eut Jean Carmet comme copain d’enfance.
Ils sont un petit nombre de cette usine à venir chez nous. Quelquefois, le patron de l’usine passe en vélo et s’arrête acheter le journal.
L’abattoir n’avait pas encore été démoli et le lundi les marchands de bestiaux envahissaient le café. Ils portaient des blouses grises, tenaient un bâton avec un pique au bout, pour enfoncer dans le cul des vaches peu pressées de monter dans leur camion. Quand ils avaient fait de bonnes affaires, ils venaient avec les bouchers et tout se finissait devant une coupe de champagne. Ils étaient bruyants, avaient des manières de rustres et maman avait une peur bleue de les servir. Mais mon père veillait …
Il y avait aussi l’équipe de ceux qui traitaient les peaux de bêtes. Leur local se trouvait situé tout au bout du boulevard et une odeur pestilentielle prenait à la gorge quand on passait devant. Ces hommes avaient fini par prendre l’odeur sur eux et, quand ils venaient à la maison, tout le monde s’écartait. L’un d’entre eux –dont j’ai oublié malheureusement le surnom- n’avait pas beaucoup de sous et était prêt à tout pour se faire payer un pot. Prêt à tout … Jusqu’à avaler une poignée d’asticots !
Durant les évènements en Algérie, nous eûmes un jour un Algérien qui vint se réfugier dans le café. Au-dehors, deux ou trois autres, probablement du FLN, l’attendaient pour lui trancher la gorge. Il était donc là, assis devant son café, tremblant comme une feuille. Mon père téléphona à la police qui ne se déplaça pas. Finalement, le soir, l’Algérien finit par quitter sa place et sortit … Je ne sais pas ce qu’il advint de lui.
Après 1962 on vit arriver les premiers Pieds-Noirs. Près de chez nous deux menuisiers s’installèrent. Ils avaient tout perdu et repartaient de zéro. J’aimais bien écouter leur accent chantant et c’est à cette époque que j’ai retenu l’expression « purée d’nous autres ! » que j’emploie encore aujourd’hui très fréquemment.
Une partie de l’hôpital d’Alger débarqua aussi au CHU. La cardiologue, Melle B , qui fumait comme un pompier, s’arrêtait tous les jours faire provision de cigarettes. Elle devint par la suite une cardiologue réputée mondialement.
Un jour, on vit arriver une équipe d’ouvriers allemands. Ils venaient construire la première usine à béton et étaient logés dans un petit hôtel près du stade. Ils restèrent plus d’un an et on les voyait chaque jour, matin et soir, venir boire des bières. J’avais sympathisé avec l’un d’entre eux, Hans. Il avait trente-six ans et avait participé à la bataille des Ardennes où il avait été décoré de la Croix de Fer. À l’époque j’avais quinze ans et cet homme me fascinait.
Deux ans plus tard j’eus l’occasion de le revoir en Allemagne. Mais le charme était définitivement rompu.
Le café de mes parents était situé dans un quartier où, à l’époque, on comptait pas mal d’usines. Mon père ouvrait le matin à six heures moins le quart. Il y avait déjà les habitués qui attendaient à la porte et se précipitaient boire un petit café-calva avant l’embauche.
— Patron, un p’tit blanc !
Ils étaient peu bavards ces pauvres bougres qui s’en allaient ensuite souder les bidons chez S. ou encore grimper sur des échafaudages métalliques en évitant de penser au vertige qui les prenait aux tripes.
Quand maman était malade, je la remplaçais et me mettais à la caisse avant de partir au lycée. Ma grand-mère prenait ensuite le relais.
Le midi je rentrais déjeuner vite fait à la maison et le soir je me retrouvais seule jusqu’au moment de la fermeture. Mais la journée était loin d’être terminée … Tandis que mon père remplissait les casiers, ma grand-mère remettait des cigarettes en place, triait les journaux invendus puis faisait la caisse. Moi, je balayais le café. Il fallait mouiller le sol pour éviter la poussière et je revois encore tous ces mégots jonchant le sol et laissant d’affreuses traînées sous les poils du balai. Puis mon père passait la serpillère et nous allions ensuite dîner.
Ce n’est qu’en 1963 que mes parents eurent le droit de prendre des vacances. C’est à cette époque que j’ai découvert la mer pour la première fois …
À suivre
06:27 Publié dans Nostalgie | Lien permanent | Commentaires (5)
dimanche, 24 novembre 2013
199. L'adieu à Georges
Hier, Georges Lautner s'en est allé rejoindre ses potes : Blier, Ventura, Blanche, Gabin, Meurisse, Audiard et bien d'autres encore.
Mais les tontons flingueurs sont toujours très présents dans la mémoire collective !
02:13 Publié dans C'est arrivé le ... | Lien permanent | Commentaires (0)
mardi, 19 novembre 2013
198. L'usine à vaches
Elle ne connait pas son bonheur, cette vache normande qui rumine paisiblement dans un pré. Un projet insensé va voir le jour dans quelques mois dans la région d’Abbeville : une ferme laitière industrielle pouvant recevoir plus de mille vaches !
La France manquerait-elle donc de lait qu’on en soit obligé de créer de telles infrastructures ?
Ces malheureuses bêtes n’auront jamais l’occasion de goûter le moindre brin d’herbe car ELLES SERONT ENFERMÉES A VIE dans des hangars, nourries aux farines de soja -importées du Brésil ou d’Argentine- et bourrées d’antibiotique pour éviter toute épidémie.
Ah, il est loin le temps où le paysan donnait un prénom à ses bêtes : la Noiraude, Câline, Pâquerette, etc. Les paysans sont parfois rudes, mais ils aiment leurs animaux.
Un tel projet qui porte le nom de LAIT POSITIF ( non, non, ce n’est pas une blague !) est né dans l’esprit d’un entrepreneur en BTP, Michel Ramery. Il n’a que faire de la qualité du lait produit, il ne voit dans ce projet que les bénéfices qu’il pourra en tirer, c’est logique.
De deux traites journalières, on passera ainsi à trois, rendement oblige. On ne dira plus :
— La Roussette semble malade ce matin.
Mais :
— La 879 est en baisse de production !
— Renforcez la dose d’antibiotiques et, si c’est inopérant, envoyez-la à l’abattoir.
Comment peut-on en arriver à une telle inhumanisation ? Bon , ce n’est pas nouveau, les poulets et les cochons en savent quelque chose. Pour quel résultat ? Des sous-produits insipides dont le seul avantage est de coûter peu cher.
Alors, à quand ce lait de MERDE dans les rayons des grandes surfaces ? La première traite devrait avoir lieu en avril 2014. Souhaitons que ce projet ne voit jamais le jour !
Pour en savoir davantage :
09:49 Publié dans Coups de gueule | Lien permanent | Commentaires (6)
vendredi, 15 novembre 2013
197. Le compteur fou
19:01 Publié dans Evènementiels | Lien permanent | Commentaires (0)
lundi, 11 novembre 2013
196. Tout n'est qu'une question de couleur
Les marchands de bonnets doivent se frotter les mains en ce moment. Jusqu'à ces derniers jours, on parlait essentiellement des bonnets rouges, en Bretagne. Mais l'idée a fait son chemin et maintenant on voit apparaître divers mouvements avec une couleur bien définie pour chacun d'entre eux :
— Bonnets à vendre ! Cinq euros le bonnet !
— Euh, je vais en prendre un rouge car je vis en Bretagne, mettez-en aussi un bleu car mon mari est dans la police ; oh, et puis rajoutez donc ce bonnet blanc pour mon fils qui est en maternelle.
— On va bientôt sortir un nouveau modèle ; il sera aux couleurs de l'arc-en ciel.
Ouf, pour l'instant je peux encore porter le mien sans me sentir apparentée avec une des contestations car il est noir !
20:54 Publié dans Evènementiels | Lien permanent | Commentaires (1)