samedi, 28 décembre 2019
Retour en Inde -2-
Nous prenons la route en direction de Jaipur :
Ces deux-là ont tôt fait de nous apercevoir et elles se joignent au groupe, fort désireuses qu'on les prenne en photo. Gare à ceux qui, après la prise de vue, ne donnent pas une pièce (je dirai plutôt un billet); le sourire disparaît instantanément en se transforme en grimaces accompagnées d'injures. Elles deviennent de véritables harpies et le guide doit intervenir pour les calmer.
Celles-là, par contre, conservent leur sourire : ce sont les danseuses officielles du palais de Jaipur.
Petit coucou d'un groupe de Shiks :
Le serpent tarde à sortir !
À suivre
10:25 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : inde, jaipur
mardi, 02 décembre 2014
218. Un lieu, un livre -3-
La belle ville de camaïeu rose (Jaïpur)
Avoir une grande ville rose, entièrement rose, du même rose et semée des mêmes bouquets blancs, ses maisons, ses remparts, ses palais, ses temples, ses tours et ses miradors, quel étonnant caprice de souverain ! On dirait qu’on a tendu tous les murs d’une même vieille indienne à fleurs, on dirait une ville en vieux camaïeu du XVIIIe siècle ; cela diffère de tout ce qu’on avait vu ailleurs, cela arrive à des effets de complète et charmante invraisemblance. [ … ]
Au milieu de la chaussée, le défilé est continuel, de cavaliers aux armes d’argent sur des selles éclatantes, de lourds chariots traînés par des zébus aux cornes peintes, de chameaux attachés en longue file, d’éléphants en robe dorée dont on a barbouillé la trompe de mille dessins. Passent aussi des dromadaires, que montent deux personnages l’un derrière l’autre, et qui vont au trot léger, le cou rendu, comme des autruches à la course ; passent des fakirs entièrement nus, poudrés à blanc de la tête aux pieds ; passent des palanquins et des chaises à porteurs : tout l’Orient des féeries, processionnant à grand spectacle, dans l’inimaginable cadre de camaïeu rose. [ … ]
Mais il y a aussi des rôdeurs bien lugubres — des échappés de sarcophage, dans le genre des êtres qui gisent là-bas aux portes des remparts… Ils ont osé entrer dans la belle ville couleur de fleur, ceux-là, et y traîner leurs ossements ! … Il y en a même beaucoup plus qu’on eût dit au premier abord. Ceux qui errent, chancelants et les yeux hagards, ne sont pas seuls ici : sur les pavés, parmi les marchands, parmi les gais étalages, se dissimulent d’horribles paquets de haillons et de squelettes qui obligent les passants à se détourner pour ne pas marcher dessus …
Et ces fantômes-là, ce sont les paysans des plaines d’alentour. Depuis qu’il ne pleut plus, ils ont lutté contre la destruction du sol, et les longues souffrances les ont préparés à ces maigreurs sans nom. À présent, c’est fini. Le bétail est mort, parce qu’il n’y avait plus d’herbe, et on en a vendu la peau à vil prix. Quant aux champs qu’on ensemençait, ce ne sont plus que des steppes de terre émiettée et brûlée, où rien ne saurait germer. On a vendu aussi, pour acheter de quoi manger, les hardes qu’on avait pour se couvrir, les anneaux d’argent qu’on avait aux bras et aux pieds. On a maigri pendant des mois. Et puis la faim est venue tout de bon, la faim torturante, et bientôt les villages se sont remplis de l’odeur des cadavres.
Manger ! Ils voulaient manger, ces gens, voilà pourquoi ils étaient venus vers la ville. Il leur semblait qu’on aurait pitié, qu’on ne les laisserait pas mourir, car ils avaient entendu dire qu’on amassait ici des grains et des farines comme pour un siège, et que tout le monde mangeait dans ces murs. [ … ]
En ce moment, il s’agit de décharger sur un trottoir, devant des greniers sans doute trop remplis, une centaine de sacs de grains que des chameaux apportent, et il faut pour cela déranger trois petits enfants-squelettes, de cinq à dix ans, tout nus, qui reposaient ensemble à la place choisie.
« Ce sont trois frères, explique une voisine ; les parents qui les avaient amenés sont morts (de faim, c’est sous-entendu) ; alors ils sont là, ils restent là, ils n’ont plus personne. »
Et elle paraît le trouver tout naturel, cette créature, qui pourtant n’a pas l’air d’une méchante femme ! … Mon Dieu, qu’est-ce donc que ce peuple ? Et comment sont faites les âmes de ces gens, qui pour rien au monde ne tuerait un oiseau, mais qui ne se révoltent pas de ce qu’on laisse, devant leur porte, mourir les petits-enfants ?
Au croisement de deux avenues de palais et de temples roses, sur une de ces places qu’encombrent les marchands, les cavaliers, les femmes drapées de mousselines et couvertes d’anneaux d’or, un étranger, un Français, vient d’arrêter sa voiture, près d’un tas sinistre de décharnés qui ne bougent plus, et il s’est baissé pour mettre des pièces de monnaie dans leurs mains inertes.
Alors, soudainement, c’est comme la résurrection de toute une tribu de momies ; les têtes se dressent de dessous les haillons qui couvraient les figures ; les yeux regardent, puis les formes squelettales se remettent debout : « Quoi ! On fait l’aumône ! Il y a quelqu’un qui donne ! On va pouvoir acheter à manger. » Le macabre réveil se propage en traînée subite jusqu’à d’autres tas qui gisaient plus loin, dissimulés derrière des promeneurs, derrière des piles d’étoffes ou des fourneaux de pâtissier. Et tout cela grouille, surgit et s’avance : masques de cadavres dont les lèvres recroquevillées laissent trop voir les dents, yeux caves aux paupières mangées par les mouches, mamelles qui pendent comme des sacs vides sur les cercles du thorax, ossatures qui se heurtent avec des bruits de morceaux de bois. Et l’étranger, en une minute, est entouré d’une ronde de cimetières, pressé, griffé par des mains déjà terreuses, aux grands ongles, qui cherchent à lui arracher son argent, tandis que les pauvres yeux, au contraire, demandent pardon, remercient et supplient …
Et puis, silencieusement, cela s’effondre. Un des spectres, qui chancelait de faiblesse, s’est accroché au spectre voisin, qui a chancelé à son tour, et la chute s’est communiquée de proche en proche, sans un cri, sans une résistance, tous les épuisés de cramponnant les uns aux autres et tombant ensemble, comme de lamentables marionnettes, comme s’abattent des quilles, puis roulant dans la poussière, évanouis, ne se relevant plus … [ … ]
Pour ceux-là qui sont par terre, qu’importe le jour bruyant, ou la nuit tranquille, ou le radieux matin, puisqu’il n’y a plus d’espérance, puisque personne n’aura pitié, puisqu’il faut rester où la tête alourdie est tombée, et attendre là, sur le même pavé, la grande crispation qui finira tout …
Extrait de : L’Inde (sans les Anglais) 1899-1900, Pierre Loti.
Mars 2014 :
Notre car vient juste de s’arrêter le long du trottoir et déjà c’est l’assaut ! Je laisse les autres descendre et affronter cette masse informe d’estropiés, de mutilés, de jeunes femmes tenant dans leurs bras des petites crevettes rougies par les rayons brûlants du soleil –des nouveaux nés aux visages de petits vieux-.
L’air est presque irrespirable tant la chaleur est intense, les bruits de la ville nous assourdissent et l’agitation est totalement frénétique. Ça grouille de partout à en donner le vertige ! Durant plus de trois heures, nous allons arpenter ainsi les rues de la ville rose, nous mêler à cette foule colorée, humer des odeurs de fritures qui se mélangent avec celles des égouts bouchés. Si, par malheur, on s’arrête devant une échoppe pour observer un bibelot, aussitôt le marchand apparait et on ne peut plus s’en débarrasser. Il vous suit sans répit, revenant à la charge pour essayer de vendre sa marchandise malgré votre refus. Alors il faut se fâcher, élever la voix pour qu’enfin il fasse demi-tour… Mais on le retrouve bientôt quelques minutes plus tard, revenant à la charge. C’est insupportable !
Quand enfin on rejoint le car, on retrouve alors toute la horde des estropiés qui reprennent leur harcèlement pour obtenir quelques pièces. Ils se bousculent, s’engueulent entre eux et vous tirent par les vêtements. Que faire ? Si vous donnez quelque chose à l’un, les autres vont se ruer sur lui et vont devenir encore plus pressants. Un des participants du groupe a des gâteaux secs qu’il commence à distribuer, mais très vite il est totalement submergé par l’afflux des mains tendues qui le tirent par sa chemise. Il trouve alors refuge dans le car.
J’ai repris ma place près de la vitre, au fond du car et là, je les observe, tous ces malheureux qui continuent de quémander en tapant dans les vitres … Bientôt je détourne la tête, j’ai du mal à supporter leurs regards, je me sens coupable. Coupable de quoi au juste ? D’être née dans un pays où l’on ne meurt plus de faim depuis longtemps ? Mais, de fait, ce n’est pas à moi de me sentir coupable, mais plutôt à ce pays lui-même qui n’est pas capable de subvenir aux besoins de sa population. Tant que la religion sera omniprésente, les choses ne risquent pas d’évoluer rapidement. On verra encore longtemps de grosses vaches bien nourries se prélasser au milieu des rues et de pauvres gens crever de faim sur les trottoirs. Comme le dit Loti :
Mon Dieu, qu’est-ce donc que ce peuple ? Et comment sont faites les âmes de ces gens, qui pour rien au monde ne tuerait un oiseau, mais qui ne se révoltent pas de ce qu’on laisse, devant leur porte, mourir les petits-enfants ?
05:32 Publié dans Livres, Pierre Loti | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : inde, jaipur, pierre loti
mardi, 05 novembre 2013
188. Les prochains invités -3-
Retour en Inde avec ces quelques portraits. Hier soir en me couchant, j'ai repensé à ce voyage qui fut extrêmement pénible : une attente de 6 heures à l'aéroport de Munich, puis un vol qui m'a paru interminable jusqu'à Delhi. Arrivés tôt le matin, nous sommes tout de suite pris en charge par le guide et nous commençons les visites sous une chaleur de 45° sans avoir la possibilité de se changer!
Je suis très vite malade, recherchant désespérément des toilettes à chaque arrêt. Nous ne rejoindrons l'hôtel qu'à 20 heures le soir. Je pense qu'on ne revient jamais de ce pays tout à fait indemne, pris entre fascination et répulsion. Pour ma part la répulsion fut quand même la sensation la plus forte. On dit que les plus belles roses poussent sur un tas de fumier, c'est ce que je me suis dit en voyant le Taj-Mahal.
Et puis toute cette foule qui grouille, telle une armée de cloportes, ces estropiés qui essaient de vous accrocher par les mollets au moment où vous passez près d'eux ... Ces femmes qui exhibent leurs gamins à moitié morts pour vous extorquer quelques roupies ... J'en ai même vu qui pinçaient les mômes pour les faire pleurer au moment où l'on passait.
Mon père s'était arrêté à Bombay lorsqu'il était parti en Indochine. Il en gardait lui aussi un affreux souvenir, nous racontant comment des gamins, à la descente des bateaux, venaient vendre leur petite sœur aux marins.
Bon, j'arrête sinon je vais m'attirer les foudres des amoureux de ce pays. Une chose est sûre : il faut voir, après chacun réagit selon sa nature.
La mendiante
Alors que le groupe s'éternisait dans un magasin de souvenirs, j'étais sortie prendre l'air et j'aperçus cette vieille femme assise par terre, au ras de la route. Discrètement je la photographiai. Elle m'aperçut bientôt et se leva péniblement, venant s'accrocher à mon bras pour obtenir une pièce. Il était évident qu'elle ne devait pas manger souvent à sa faim. Je lui ai donné quelque chose, bien sûr, sa condition misérable m'ayant profondément perturbée. Aussitôt elle me prit les mains pour les embrasser, me montra du doigt le ciel, me faisant ainsi comprendre que j'étais bénie des dieux. Foutu pays quand même où la religion, qui est présente partout, assujettit totalement les êtres. Que peut-elle espérer, cette vieille femme, si ce n'est une meilleure vie dans sa prochaine réincarnation ? Tout ça me dépasse complètement, moi qui ne crois en rien.
Le réveil
Il est bientôt 16 heures, il fait très chaud dans les rues de Jaïpur. Tiens, ceux-là ouvrent un œil !
Le regard
Quelle gravité chez cette jeune femme. À quoi peut-elle bien penser en me regardant ? J'étais pourtant assez éloignée, me servant du zoom, mais elle a tourné la tête au moment où j'ai appuyé sur le déclic et nos regards se sont croisés alors.
Les musiciens
Ils se rendent à Bénarès pour la plupart d'entre eux et vivent de la mendicité.
Le sâdhu de Vanarasi (Bénarès)
Il est incontournable celui-là, je l'ai retrouvé photographié à maintes reprises sur différents sites de voyage. Mais que regarde-t-il donc d'un air si satisfait ?
Les eaux dégueulasses du Gange qui charrient les excréments, les restes de corps mal brûlés ...
Les harpies
Nous nous étions arrêtés dans une petite ville près de Jaïpur pour visiter d'anciennes maisons aux murs recouverts de fresques. Nous venions à peine de nous engager dans la ruelle qu'elles sont arrivées, toutes pimpantes et (faussement) souriantes se proposant pour être photographiées. Mais aussitôt la photo prise, les voilà qui se ruent sur nous en réclamant de l'argent, poussant des cris d'hystériques et ameutant tout le quartier. J'avoue avoir hésité à leur montrer la photo puis appuyer sur "supprimer".
La danseuse du Palais royal de Jaïpur
Elle pose bien volontiers devant les nombreux touristes qui l'entourent.
Le charmeur de serpent, Jaïpur
J'ai eu beau attendre, le serpent n'a pas daigné sortir ! Le groupe est déjà parti, je ne peux pas rester plus longtemps, dommage quand même !
Voilà, le voyage en Inde s'arrête ici.
Pour en savoir davantage :
À demain
08:12 Publié dans Photographie | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : photographies, inde, jaipur, benares
mardi, 03 mai 2011
110. Carnet de voyage en Inde -6-
Le fort d'Amber.
Ce n'est qu'aujourd'hui seulement, en regardant mes photos, que je m'aperçois de la beauté du lieu. C'est tout de même un peu fort de café. Comment expliquer que, sur le moment, je n'ai pas été capable d'apprécier la magie qui émane de ce palais de maharaja ? Sans doute la chaleur, la fatigue ... L'énervement aussi après une montée chaotique à dos d'éléphant.
J'aurais voulu avoir un peu plus de temps pour photographier les détails -en particulier les dessins dont certains étaient érotiques-.
Enfin, c'est comme ça ...
Voici mes photos :
Demain nous quittons Jaipur en direction de Kalakho !
À suivre
21:11 Publié dans Voyages | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : inde, rajasthan, jaipur, fort, amber
lundi, 02 mai 2011
109. Carnet de voyage en Inde -5-
Samedi 16 avril : deuxième jour à Jaipur.
Pas de valise à préparer car nous restons deux jours dans cet hôtel qui est situé peu avant Jaipur, face aux fortifications du fort d’Amber (rien à voir avec la grande muraille de Chine, quoique que…).
Départ de l’hôtel à 7h15 pour justement une grimpette en haut du fort à dos d’éléphant. Je m’en serais bien passée de cette balade plutôt chaotique, mais je n’avais guère le choix. Me voici donc sur le dos du pachyderme en compagnie de Véronique. Une demi-heure de secousses avec l’impossibilité de prendre des photos. À mi-chemin le cornac commence à nous réclamer un pourboire.
Oui, oui, ça va venir, du calme !
On comprend son empressement en arrivant. Les policiers sont là à surveiller que les cornacs ne réclament pas à grands cris quelques roupies.
Amber est situé à 10km au nord-est de Jaipur. Le village est dominé par une impressionnante forteresse. C’était l’ancienne capitale du Rajasthan avant la construction de Jaipur.
L’ensemble est assez impressionnant et l’état de conservation est bon. Je ne rentre pas dans les détails des différentes parties de ce vaste palais. Vous en verrez des photos dans un prochain diaporama et sur cette vidéo, trouvée sur Internet.
Jaipur Fort d'Amber par chh-rajasthan
En redescendant à pied du fort, on découvre les premiers singes, très à l’aise parmi la foule. Ce sont des gibbons.
La visite aura duré toute la matinée et nous voici en route pour aller déjeuner.
Un arrêt dans une boutique de tapis (ah, ça manquait !) nous fera perdre plus d’une heure. Le temps que le groupe s’affaire dans la boutique, je m’installe à l’extérieur du magasin. La cour est remplie de statues diverses, en bois ou en bronze, de belles antiquités probablement destinées à l’exportation. J’observe également un groupe de travailleurs qui transportent des briques sur la tête. Ils passent et repassent devant moi, le visage couvert de poussière et de sueur. À un moment ils font une pause et je vais alors leur offrir une cigarette.
Que c’est long cette attente !
Le déjeuner s’effectue ensuite au restaurant de l’hôtel Holiday Inn. Nous sommes accueillis par un musicien indien âgé de soixante-dix ans, en tenue somptueuse. Ses moustaches tombent jusqu’au sol. Il faut dire que cela fait quarante ans qu’il ne les a pas coupées !
Quartier libre l’après-midi jusqu’à 15h45. Le car nous laisse dans le centre de Jaipur. Au retour à l’hôtel, nouvel arrêt boutique, cette fois-ci pour voir des dessins en miniature. Avant de nous conduire dans la boutique proprement dite, passage obligatoire devant un gugusse qui écrit les noms sur un grain de riz. Une fois de plus, je zappe le magasin, préférant musarder, en compagnie de Véronique, dans les rues adjacentes où il n’y a rien à voir, si ce n’est la misère.
La misère, elle m’apparait subitement avec cette vieille femme, malheureux petit tas d’os qui ose à peine s’approcher de moi. Je lui donne alors quelques roupies et à ses gestes, je comprends que je suis bénie et que j’irai certainement au ciel. Puis elle reprend sa position accroupie dans les ordures du bord de route.
Nous rentrons à l’hôtel vers 18h.
À suivre
21:17 Publié dans Voyages | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : inde, rajasthan, jaipur, fort, amber