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samedi, 21 novembre 2009

413. Célestine Chardon -3-

       LA VIE BIEN ORDINAIRE DE CÉLESTINE CHARDON

Chapitre 3


podcast

En se réveillant le lendemain matin, Célestine réalisa soudain qu'elle n'allait pas à son travail. Cette idée la décontenança un peu, mais en même temps, elle se sentit envahie par une effervescence peu commune. Elle était désormais libre d'organiser ses journées comme elle le souhaitait... Cette idée de se prendre en charge sans avoir à répondre de ses faits et gestes à un supérieur la ravissait et  lui faisait peur tout à la fois. Comment allait-elle organiser son temps ?

Elle se connaissait  bien et savait qu'en dehors du travail, elle ne bougeait pratiquement jamais de chez elle. Mais maintenant, elle n'avait plus rien à faire.... PLUS RIEN À FAIRE ! Elle sentit une angoisse qui montait peu à peu. Elle quitta son lit et se dirigea dans la cuisine pour se préparer un café. Pendant que la cafetière éructait doucement, elle alla à la fenêtre humer l'air matinal. Six heures du matin ! 

celestine3a.jpg Le ciel commençait  à rosir au-dessus des toits. Dans la rue quelques personnes se hâtaient  vers une destination inconnue. Elles marchaient vite comme si elles  craignaient d'être en retard... Célestine laissa la fenêtre entrouverte, puis se servit un café dans son grand bol jaune et s'assit sur le bord de la chaise. Elle se releva soudain comme prise d'une inspiration, alla ouvrir le buffet de la salle à manger et en sortit un carnet tout neuf, un crayon de bois, une règle plate et une gomme. Puis elle revint s'asseoir à la table. Un sourire illuminait son visage.

—  Bon, dit-elle à haute voix, il faut que je m’organise.  Elle ouvrit le carnet à la première page, compta le nombre de carreaux verticalement et, apparemment satisfaite du résultat obtenu, elle tira des traits  horizontaux tous les deux carreaux, avec une extrême application. Puis elle tourna la page et refit la même chose sur le deuxième feuillet. Elle prépara ainsi une bonne dizaine de feuilles.  Elle s'aperçut qu'elle avait oublié de boire son café qui devait être tiède à présent.  Elle en avala une gorgée et se releva en direction du buffet. Cette fois-ci, elle prit dans le tiroir un stylo à encre. Revenue à sa place, elle écrivit avec beaucoup d'application en haut de la première page: " Juin 2002". Dans la rangée suivante elle inscrivit samedi 1er, puis en dessous, dimanche 2 et ainsi de suite jusqu'au samedi 15.

Le mot samedi avait fait tilt dans sa tête et tout en continuant à remplir les bandes, elle pensa que c'était le jour du marché autour des Halles. Cette idée la remplit d'une grande joie car on était justement un samedi !  Elle allait pouvoir enfin faire son tour de marché, chose qui lui était impossible de faire auparavant sauf durant la période des vacances.

Toute émoustillée à l'avance, Célestine continua d'inscrire les dates sur son petit carnet et s'arrêta à l'endroit où les traits finissaient. Coïncidence ? Cela tombait juste sur le mois de décembre.

Au dehors la ville s'animait peu à peu...Elle jeta un coup d'œil par la fenêtre. En face, le cafetier lavait sa terrasse à grande eau et installait les tables et les chaises sur la petite partie du trottoir qui lui était allouée. Il l'aperçut et fit un grand signe de la main:

— Bah alors Célestine, pas encore partie au boulot ce matin ?

— C'est fini le boulot, répondit-elle en souriant malicieusement. Terminé depuis hier !

— Pas possible, déjà à la retraite ? Ah, mais ça s'arrose une telle nouvelle !

— Oui, oui, je passerai vous voir dans la journée, promis !. Et elle referma la fenêtre.

Elle aimait bien cet homme qui était installé depuis déjà au moins cinq ans dans cet endroit. Il avait environ une trentaine d'années  et il était toujours prêt à rendre service à ses voisins. Sa femme était une belle brune, mince et élancée, très discrète, qui renvoyait à Célestine l'image de sa propre mère. Le couple avait une petite fille, qui venait tout juste d'avoir six ans. En les voyant vivre au quotidien, Célestine songeait souvent à sa propre enfance. C'était il y a bien longtemps déjà...une autre époque, un autre lieu. celestine3b.jpg

Ses parents aussi tenaient un bar tabac. La maison était grande avec ses deux étages, elle faisait l'angle d'un grand boulevard agrémenté de platanes et d'une rue interminable dont on ne voyait pas le bout...

À suivre

412. Les villes fantômes -1-

Vous connaissez tous Oradour-sur-Glane, en France, la plus tristement célèbre ville fantôme de France, rayée brusquement de la carte en juin 1944 après le passage d'une section de SS ?

Il existe ainsi dans le monde des villes fantômes où toute présence humaine a disparu pour des raisons variables. Je vais vous en proposer quelques unes au cours des prochaines semaines.

agdamcarte.jpg

Aujourd'hui, voici la ville d'Agdam, située en Azerbaïdjan. Cette jolie ville comptait 160 000 habitants. En juillet 1993 un conflit éclate entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan.

agdam.jpg

Les habitants fuient à l'arrivée des soldats arméniens. Depuis cette date, ils vivent dans des camps de réfugiés à proximité.

Photo de Joao Leitao :

agdam3.jpg

La ville a été entièrement saccagée et pillée. Elle est maintenant peu à peu envahie par la nature qui reprend ses droits.

agdam2.jpg

En savoir plus ? ICI.

vendredi, 20 novembre 2009

411. Célestine Chardon -2-

        LA VIE BIEN ORDINAIRE DE CÉLESTINE CHARDON


podcast
Chapitre 2

Tout en marchant en direction de son domicile, elle repensait à cet abonnement à un club de rencontres et elle était quelque peu sceptique. Elle ne s'attendait pas à ce genre de cadeau et d'ailleurs elle ne connaissait même pas l'existence de tels clubs. Cependant, au moment de la remise des renseignements par Melle Froju, elle avait pris soin de ne rien laisser paraître de son ignorance et elle avait même poussé l'audace jusqu'à s'exclamer :

— Oh quelle idée merveilleuse ! Justement j'avais pensé m'y inscrire ! Les grands esprits se rencontrent, n'est-ce pas ? 

C'est comme ça que j'ai connu mon mari, rajouta une vendeuse sur un ton à la fois sérieux et solennel qui amusa fort Célestine. Vous verrez, vous allez connaître plein de gens et vous allez vous faire des amis et peut-être irons-nous bientôt au mariage !

Rires plus ou moins moqueurs dans l'assistance.

 Parfois Célestine repensait à ces quelques hommes qu’elle avait connus autrefois et elle aurait bien aimé savoir ce qu'ils étaient devenus. Étaient-ils mariés? Se souvenaient-ils encore d'elle ? Joseph était-il devenu médecin ? Était-il reparti vivre dans son Cameroun natal ? Ali avait-il ouvert une pharmacie à Casablanca? Yann pêchait-il toujours au large du Croisic ? Dieter devait probablement toujours travailler comme journaliste à Berlin... et Takis, oui Takis qui lui avait fait découvrir les petites tavernes de La Plaka à Athènes ou encore les bouges mal famés du Pyrée, était-il enfin devenu inspecteur de police comme il souhaitait ? 

Elle était arrivée devant la porte de son immeuble. Elle grimpa tranquillement les trois étages pour atteindre enfin sa "caverne" comme elle aimait appeler son petit appartement sous les toits, composé de trois grandes pièces dont les fenêtres donnaient toutes sur une petite ruelle calme du vieux Tours. La porte grinça quand elle l'ouvrit. Les derniers rayons du soleil inondaient la pièce d'une chaleur printanière. Par la fenêtre laissée entrouverte, on entendait le chant du merle qui annonçait l'arrivée prochaine de la nuit...

— Théo, mon Théo ? Où es-tu brigand ? dit-elle en posant son sac sur le coffre dans l'entrée. Elle quitta ses chaussures et, pieds-nus, se dirigea dans la cuisine, le bouquet à la main. bouquet.3[1].jpg

Elle disposa les fleurs dans un grand vase et le déposa sur la table de la salle à manger. Elle resta quelques instants à contempler le résultat qui la remplit d'aise. Retournant dans la cuisine, elle se servit un grand verre d'eau du robinet, puis, prenant un cachet d’aspirine dans la boîte sur le buffet, elle avala le tout d'un trait.

— Ah, ça va mieux ! soupira-t-elle en reposant le verre dans l'évier.

Un miaulement plaintif lui fit baisser les yeux. C'est son chat, son Théo, son confident, son seul ami, celui qui l'écoute toujours avec attention, celui à qui elle peut tout confier de ses chagrins. Le chat, imperturbable, s'étira, bailla, vint se frotter contre sa jambe et se dirigea nonchalamment vers sa gamelle à moitié vide. C'est un joli chat gris et blanc, assez haut sur pattes. Célestine saisit alors le gros paquet de croquettes et remplit la gamelle.

 theo.3[1].jpg— Tiens, mon petit bonhomme, viens reprendre des forces. Pensant à son propre dîner, elle ouvrit la porte de son réfrigérateur... Un air frais s'en échappa qui vint lui caresser le visage. Il n’y avait pas grand-chose à l’intérieur : trois malheureux yaourts aux fruits, un litre de lait, une plaquette de beurre à moitié entamée et une boîte de camembert.

Moue dépitée de Célestine qui, réflexion faite, n'avait soudain  plus très faim et décida d'aller se coucher avant que le mal au crâne n'empirât. Elle se rendit dans la salle de bain et machinalement saisit la brosse à dents, couvrit la surface poilue d'une fine couche de dentifrice. C'est à ce moment-là que son regard croisa celui de l'autre, dans la glace accrochée au-dessus du lavabo.

L'autre "elle",  une tête aux cheveux courts hirsutes où le gris prenait de plus en plus de terrain, des joues qui virent au cramoisi. Mais ce sont surtout les cernes sous les yeux qui la frappèrent le plus. Un énorme soupir vint alors emplir la petite pièce.

—  Mais oui, ma vieille, c'est bien toi que tu vois dans la glace! lança-t-elle comme un défi à sa propre image.

Elle se sentit tout à coup envahie par un profond désespoir, un chagrin qu'elle puisa au plus profond d'elle même. Elle avait l'impression de se réveiller, de sortir d'un long sommeil qui aurait duré plus de quarante années, l'impression d'être une vieille Belle au Bois Dormant. Les larmes perlèrent au coin des yeux et glissèrent doucement le long de ses joues. Elle se sentit soudain très lasse.

Allons ma fille, secoue-toi un peu ! Une page vient de se tourner, demain sera un autre jour !

 D'un revers de main elle essuya ses yeux et après avoir éteint la lumière, vérifié que la porte d'entrée était bien fermée à clef, elle se rendit dans sa chambre. Par la fenêtre grande ouverte, elle aperçut la lune, toute ronde, qui semblait lui faire un clin d'œil.

— Oui, murmura-t-elle en se lovant sous la couette à carreaux, demain sera un autre jour, demain je commence une nouvelle vie, demain  va naître une nouvelle Célestine,  demain je rattrape le temps perdu... Rattraper le temps perdu, quelle idiotie...!

Et elle se mit alors à chantonner la chanson de Barbara :

" Le temps perdu ne se rattrape plus....dis au moins le sais-tu...que le temps qui passe ne se rattrape guère....que le temps perdu ne se rattrape plus...."

Au dehors un nuage est venu cacher la rondeur de la lune un bref instant. Chut ! Célestine s'est endormie....

À suivre

jeudi, 19 novembre 2009

410. Célestine Chardon -1-

                                          LA VIE BIEN ORDINAIRE DE CÉLESTINE CHARDON

Chapitre 1


podcast

Elle s'ennuie Célestine dans la vie...Mais c'est comme ça, ça a d'ailleurs toujours été ainsi, alors pourquoi se poser plus de questions qu'à l'habitude ? Elle subit sa vie plus qu'elle ne la dirige.

Seulement ce qui vient de changer dans cette vie c'est qu'elle part à la retraite. Il fallait bien que cela arrive un jour, mais elle a quand même été étonnée que ce moment fatidique arrive aussi vite:

— Mais oui, Célestine, c'est avec une grande tristesse que nous allons devoir nous séparer ! Sachez que tout le personnel, ainsi que moi-même nous vous regretterons et nous vous souhaitons un repos bien mérité après ces quarante années passées dans notre entreprise! Applaudissements...

Air angélique de Célestine...Mais en son for intérieur elle pense:  Menteur, sale menteur, tu n'en as rien à foutre de mon départ, au contraire, cela va te permettre de caser enfin ta maîtresse que tu trimbales partout ! Voilà ce qu'elle pense tout bas, tout en souriant niaisement comme elle sait si bien le faire.

galeries.3[1].jpg

Célestine Chardon était vendeuse dans un grand magasin de Tours. Elle y était entrée à l'âge de dix-sept ans. Son premier poste avait été au rayon parfumerie, ah, la belle époque où elle sentait toujours bon sans dépenser le moindre sou !

Par la suite elle s'était retrouvée au rayon des sous-vêtements pour hommes. Là elle s'était profondément ennuyée car en fait d'hommes, elle ne voyait que les femmes de ceux-ci. Évidemment, ce fut pour elle une grande déception...

Pour ses vingt ans dans la maison, la direction la nomma au rayon librairie. C'était un poste convoité par les vendeuses car on y rencontrait des gens supposés " cultivés". Mais cela ne réussit pas à Célestine qui ne lisait jamais aucun livre. Elle en était restée à " Nous deux". Dans ces conditions il lui était impossible de conseiller les clients et au bout de six mois elle fut donc envoyée au sous-sol, au rayon quincaillerie ! C'est justement à cet endroit, au milieu des marteaux, des vis et des clous que nous la retrouvons, entourée des autres vendeurs et de quelques membres de la direction et, après un verre de rosé tiède et quelques gâteaux ramollis, on venait de lui remettre son cadeau.

Le cadeau ! Elles avaient été rudement embarrassées, ses collègues, pour le choix du présent. D'abord parce que la cagnotte ne contenait pas une somme extraordinaire et puis, surtout, c'est que personne ne connaissait vraiment les goûts de Célestine. Elle était si effacée, on la croisait sans la voir, elle ne parlait presque jamais ou alors si vite qu'on ne comprenait pas ce qu'elle disait. Bref ce fut un vrai casse-tête!

Bien sûr les vendeurs du rayon sport proposèrent de lui offrir un mannequin gonflable, histoire de plaisanter, sachant qu'elle était "vieille fille". Mais au final c'est mademoiselle Froju, la comptable, qui trouva une idée assez originale.PICT0052A.JPG

 Elle connaissait un peu Célestine car elle habitait dans le même vieil immeuble qu'elle, rue des Trois Pucelles, et de temps en temps elles avaient l'occasion de se retrouver devant la boîte aux lettres et de bavarder quelques minutes.  Elle savait donc que Célestine souffrait parfois de la solitude.

Or donc cette demoiselle Froju trouva le moyen de faire inscrire notre jeune retraitée dans un club de rencontres ; elle lui avait pris un abonnement d'un an pour des sorties, des visites en groupe. Elle pensait que cela permettrait à Célestine de rencontrer des gens, des hommes en particulier et qui sait.....

Et voilà donc notre Célestine, les joues rougies par l'effet du rosé et les yeux embués, non à cause de l'émotion mais en raison de la fumée des cigarettes, qui reçoit, béate, un dépliant vantant les mérites de ce club mettant en relation des hommes et des femmes cherchant à rompre leur solitude. Un carton d'invitation était joint pour une prochaine rencontre avec les autres membres du club.

Ce cadeau insolite laissa notre retraitée assez perplexe. Elle n'avait jamais entendu parler de ce genre de réunions et l'idée même de se retrouver avec des inconnus la stressa un bref instant. Cependant elle avait reçu une bonne éducation et ne fit rien paraître de ses appréhensions.

Ce pot de départ ne s'éternisa guère, chacun étant pressé de vaquer à ses occupations. Chacun déposa une  bise sur les joues devenues cramoisies de Célestine et elle se retrouva bientôt toute seule. Un dernier regard à ce lieu qu'elle quittait à jamais... Elle rangea l'invitation dans son sac, retira de l'eau le gros bouquet qu'on lui avait offert, éteignit la lumière et sortit.  

À suivre ...

 

 

 

409. Célestine Chardon, le retour

J'imagine déjà les réflexions de certains de mes lecteurs :

Quoi ? Célestine Chardon ? Encore ? ...Eh bien oui, lecteurs, Célestine Chardon est ressortie du placard où elle croupissait depuis trois ans déjà. L'histoire n'a pas changé, quelques passages seront sans doute revus et corrigés. Et cela permettra à ceux qui viennent ici depuis peu de découvrir cette longue nouvelle (ou ce court roman, à vous de choisir) que j'ai écrite en 2006.

celestinechardon.jpg

L'histoire se déroule de nos jours dans la bonne ville de Tours et à Marrakech. J'ai commencé à écrire à un moment de profonde solitude et j'avoue que ça m'a tenue en haleine pendant quelques semaines. Et puis, c'est comme tout ce que j'entreprends, je me suis lassée. Aussi la fin de l'histoire est arrivée assez rapidement. J'avais besoin de stopper.

Peut-être, en reprenant trois ans plus tard, vais-je modifier le cours des évènements ? On verra bien...

Bonne lecture et laissez-moi vos impressions.