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lundi, 19 avril 2010

160. Les derniers jours de Pékin-5-


podcast

Vendredi 12 octobre 1900

 Pour se rendre à Tien-Tsin, Pierre Loti va prendre le train, la voie n'ayant pas été endommagée. Il arrive à la gare au lever du soleil et fait le voyage en compagnie des zouaves de la veille.

« Deux heures et demie de route dans la morne plaine. D'abord ce n'est que de la terre grise comme à Takou ; ensuite, cela devient des roseaux, des herbages fripés par la gelée. Et il y a partout d'immenses taches rouges, comme des traînées de sang, dues à la floraison automnale d'une espèce de plante de marais. Sur l'horizon de ce désert, on voit s'agiter des myriades d'oiseaux migrateurs, semblables à des nuées qui s'élèvent, tourbillonnent et puis retombent. Le vent souffle du nord et il fait très froid. La plaine bientôt se peuple de tombeaux, de tombeaux sans nombre, tous de même forme, sortes de cônes en terre battue surmontés chacun d'une boule en faïence, les uns petits comme des taupinières, les autres grands comme des tentes de campement. Ils sont groupés par famille, et ils sont légion. C'est tout un pays mortuaire qui n'en finit plus de de passer sous nos yeux, avec toujours ces mêmes plaques rouges lui donnant un aspect ensanglanté.

Aux stations, les gares détruites sont occupées militairement par des cosaques ; on y rencontre des wagons calcinés, tordus par le feu, des locomotives criblées de balles. D'ailleurs on ne s'y arrête plus, puisqu'il n'y reste rien ; les rares villages qui jalonnaient ce parcours ne sont plus que des ruines.»

Il est dix heures du matin quand il atteint la ville de Tien-Tsin. Sa préoccupation première est de trouver un endroit où loger. Puis il faut réquisitionner une jonque qui servira pour la suite du voyage jusqu'à Pékin sur les eaux du fleuve Peï-Ho.

Tien-Tsin s'appelle maintenant Tianjin :

tianjin.jpg

 Dimanche 14 octobre 1900

 Pierre Loti part à la découverte d'endroits mystérieux dans la ville ravagée par la guerre. Et le lieu où il nous entraîne est pour le moins déconcertant, affligeant aussi.

« La vieille Chinoise , ridée comme une pomme d'hiver, entrouvre avec crainte la porte à laquelle nous avons lourdement frappé. C'est dans la pénombre au fond d'un étroit couloir exhalant des fétidités malsaines, entre les parois que la crasse a noircies, quelque part où l'on se sent muré comme au cœur d'une prison.

Figure d'énigme, la Chinoise nous dévisage tous, d'un regard impénétrable et froid ; puis, reconnaissant parmi nous le chef de la police internationale, elle s'efface en silence pour laisser entrer.

Une petite cour sinistre, où nous la suivons. De pauvres fleurs d'arrière-automne y végètent entre des vieux murs et on y respire des puanteurs fades.

Pénétrant là, bien entendu, comme en pays conquis, nous sommes un groupe d'officiers, trois Français, deux Anglais, un Russe.

Quelle étrange créature, notre conductrice, qui va titubant sur la pointe de ses invraisemblables petits pieds ! Sa chevelure grise, piquée de longues épingles, est tellement tirée vers le chignon que cela lui retrousse les yeux à l'excès. Sa robe sombre est quelconque ; mais sur son masque couleur de parchemin, elle porte au suprême degré ce je ne sais quoi des races usées que l'on est convenu d'appeler la distinction. [...]

Après la cour, un vestibule sordide, et enfin une porte peinte en noir, avec une inscription chinoise en deux grandes lettres rouges. C'est là  - et sans frapper, la vieille touche le verrou pour ouvrir.»

Pierre Loti, Les derniers jours de Pékin (extraits).

ScannedImage.jpg

Le bandage des pieds des Chinoises remonte au XIe siècle. Il s'étendit dans toutes les classes sociales. Dès l'âge de trois ou quatre ans, on repliait les orteils des petites filles  sous la plante du pied, sauf le gros orteil, qui lui, n'était replié que quelques années plus tard vers le talon.

La longueur idéale était de HUIT centimètres !

 Que va-t-il bien découvrir derrière cette lourde porte verrouillée ? Vous le saurez dans le prochain épisode !

À suivre

mercredi, 14 avril 2010

148. Les derniers jours de Pékin -4-


podcast

Pierre Loti débarque dans la ville de Takou :

« Devant les ruines d'un quartier où flotte le pavillon de France, le Bengali accoste la lugubre berge, et nos zouaves débarquent, un peu décontenancés par cet accueil froid que leur fait la Chine. En attendant qu'on leur ait trouvé quelque gîte, assemblés sur une sorte de place qui est là, ils allument par terre des feux que le vent tourmente, et ils font chauffer le petit repas du soir, dans l'obscurité, sans chansons et en silence, parmi les tourbillons d'une infecte poussière.

Au milieu des plaines désertes qui nous envoient cette poussière-là, ce froid, ces rafales, la ville envahie de soldats s'étend dévastée et noire, sent partout la peste et la mort.

Une petite rue centrale, rebâtie à la hâte en quelques jours, avec de la boue, des débris de charpentes et du fer, est bordée de louches cabarets. Des gens accourus on ne sait d'où, métis de toutes les races, y vendent aux soldats de l'absinthe, des poissons salés, de mortelles liqueurs. On s'y enivre et on y joue du couteau.

En dehors de ce quartier qui s'improvise, Takou n'existe plus. Rien que des pans de muraille, des toitures carbonisées, des tas de cendre. Et des cloaques sans nom où croupissent ensemble les hardes, les chiens crevés, les crânes avec les chevelures. »

Pierre, Loti, Les derniers jours de Pékin (extraits).

Il est difficile de trouver des documents photographiques datant de cette époque. J'ai toutefois déniché un site, ICI.

 Qu'est devenue la ville de Takou aujourd'hui ? J'ai effectué quelques recherches-assez fastidieuses d'ailleurs -.

Takou s'appelle désormais Tanggu. C'est devenu l'un des ports les plus importants de Chine. La rivière qui traverse la ville (et que Loti appelait Pei-Ho) est désormais connue sous le nom de Hai River.tanggu1.jpg

Du passé, il reste ce vieux canon dans ce qui était autrefois un fort. Place à la modernité :

À suivre

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tanggu3.jpg
tanggu4.jpg

19:08 Publié dans Pierre Loti | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : chine, révolte, boxers

mardi, 13 avril 2010

146. Les derniers jours de Pékin -3-

La révolte des Boxers, suite et fin :


La révolte des Boxers – Chine 1900 – 3 de 4
envoyé par dictys. - L'info internationale vidéo.


La révolte des Boxers – Chine 1900 – 4 de 4
envoyé par dictys. - L'actualité du moment en vidéo.

Le 14 août 1900, les légations internationales de Pékin sont libérées et l'impératrice et sa Cour ont pris la fuite. La Cité Interdite est alors accessible aux étrangers !

Si en France, ou dans les autres pays européens, cette révolte chinoise n'a laissé dans les mémoires aucune trace - ou bien même est totalement ignorée - il n'en est pas de même pour le peuple chinois qui y vit là un terrible affront. À méditer !

Je vais maintenant reprendre le récit commencé hier. Nous sommes en octobre et Pierre Loti vient de débarquer dans le nord de la Chine. Il est chargé d'une mission auprès du général Voyron pour faire le constat de la situation. Le 11 octobre à midi il quitte donc le Redoutable en compagnie de son serviteur, d'un soldat et de cinq Chinois. Il se rend à Pékin. La distance n'est pas très importante (environ 200 km à vol d'oiseau) mais il lui faudra une semaine pour y arriver car le réseau ferroviaire a subi de nombreux dégâts. 

ScannedImage.jpg

" Jeudi 11 octobre 1900

À midi, par un beau temps calme, presque chaud, très lumineux sur la mer, je quitte le vaisseau amiral, le Redoutable, pour me rendre en mission à Pékin.[ ...]

Et le voyage commence par quelques minutes en canot à vapeur, pour aller à bord du Bengali, le petit aviso qui me portera ce soir jusqu'à terre. [...]

Ce Bengali, où je vais m'embarquer pour un jour, est l'un des petits bâtiments français, constamment chargés de troupes et de matériel de guerre, qui depuis un mois, font le pénible et lassant va-et-vient entre les transports ou les affrétés arrivant de France et le port de Takou, par-dessus la barre du Peï-Ho.

Aujourdh'ui il est bondé de zouaves, le Bengali, de braves zouaves arrivés hier de Tunisie, et qui s'en vont, insouciants et joyeux, vers la funèbre terre chinoise ; ils sont serrés sur le pont, serrés à tout touche, avec de bonnes figures gaies et des yeux grands ouverts — pour voir enfin cette Chine qui les préoccupe depuis des semaines et qui est là tout près, derrière l'horizon ...[...]

Au bout d'une demi-heure environ, la Chine apparait.

Et jamais rivage d'une laideur plus féroce n'a surpris et glacé de pauvres soldats nouveaux venus. Une côte basse, une terre grise toute nue, sans un arbre ni un herbage. Et partout des forts de taille colossale, du même gris que la terre ; des masses aux contours géométriques, percées d'embrasures de canon. Jamais entrée de pays n'a présenté un attirail militaire plus étalé ni plus agressif ; sur les deux bords de l'horrible fleuve aux eaux bourbeuses, ces forts se dressent pareils, donnant le sentiment d'un lieu imprenable et terrible — laissant entendre aussi que cette embouchure, malgré ses misérables alentours, est d'une importance de premier ordre, est la clef d'un grand État, mène à quelque cité immense, peureuse et riche —, comme Pékin a dû être. »

Pierre Loti, Les derniers jours de Pékin (extraits).

À suivre

145. Les derniers jours de Pékin -2-

Avant de poursuivre le récit, il me parait judicieux de faire un retour sur les évènements qui ont précédé l'arrivée de Pierre Loti en Chine.

Tout a débuté au printemps 1900. Les Boxers, de plus en plus nombreux et virulents commencent à s'en prendre aux délégations européennes à Pékin même. J'ai découvert ce matin une excellente émission d'Arte résumant bien ce que furent  "Les 55 jours de Pékin".

En voici donc les deux premiers épisodes :

 


La révolte des Boxers – Chine 1900 – 1 de 4
envoyé par dictys. - L'info video en direct.


La révolte des Boxers – Chine 1900 – 2 de 4
envoyé par dictys. - Regardez les dernières vidéos d'actu.

09:03 Publié dans Pierre Loti | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : chine, révolte, boxers

lundi, 12 avril 2010

144. Les derniers jours de Pékin -1-


podcast

À un bon mois avant mon départ en voyage, me voici de nouveau  plongée avec fascination dans les récits écrits par Pierre Loti.

L'écrivain fit deux séjours rapprochés dans la capitale chinoise. Le premier séjour eut lieu du 18 au 30 octobre 1900 et le second, du 18 avril au 5 mai 1901.

Si aujourd'hui Pékin n'est plus qu'à une petite dizaine d'heures en avion, il en était tout autrement au début du XXe siècle. On peut parler de véritable expédition ! Une expédition dans un pays qui en ce début de vingtième siècle fascinait et terrifiait à la fois l'Europe. Ne parlait-on  pas du «péril jaune» ?

La Chine de Loti n'a plus rien à voir avec celle d'aujourd'hui, si ce n'est la densité de population. Le péril jaune est toujours d'actualité, mais il a pris une toute autre forme que celle dépeinte au siècle précédent. Ce n'est pas une armée qui déferle sur notre vieille Europe, mais plus sournoisement une invasion économique que rien ne pourra arrêter. Mais ceci n'est pas le sujet de ma note.B_REDOUTABLE[1].jpg

J'ai envie de vous faire partager des émotions ressenties à la lecture de ce récit de voyage. Un voyage qui débute le 2 août 1900 à bord du cuirassé le Redoutable qui appareille de Cherbourg pour la Chine. Un voyage de routine, pensez-vous ? Absolument pas. Le navire rejoint les flottes des puissances alliées (Allemagne, Autriche, Grande-Bretagne, Russie, Japon, Italie) pour faire face à la rébellion des Boxers qui, depuis près de deux ans, agressent sauvagement les étrangers installés en Chine, avec l'accord plus ou moins tacite de l'impératrice Tseu-Hi.

Après les escales obligatoires que tous les marins ayant navigué dans cette partie du monde connaissent bien - à savoir Port-Saïd, Aden, Colombo et Saïgon - le cuirassé arrive en rade de Takou le 24 septembre. Personne n'est autorisé à descendre et le navire se dirige alors au nord vers Shanhaiguan, dans le golfe de Petchili, qu'il atteint le 2 octobre.

L'impératrice Tseu-Hi :

TseuHi[1].jpgLes troupes sont alors débarquées et installées dans un fort, tout près de la Grande Muraille. Elles retrouvent bientôt les armées des autres pays alliés.

( À cet instant je repense à mon arrière-grand oncle, Simon ;  je pense qu'il aurait sûrement participé à cette expédition si la mort ne l'avait pas surpris en 1894 à la frontière sino-vietnamienne).

Imaginez maintenant que vous accostez sur la plage et vous partez en reconnaissance des lieux. Voici ce qui s'offre à votre vue, ce 3 octobre 1900 :

« Par ce frais matin d'octobre, sur la route ombragée qui mène au fort des Français, les matelots et les soldats de toutes les nations se croisent et s'empressent, dans le grand amusement d'aller à la découverte, de s'ébattre en pays conquis, d'attraper des poulets, de faire main basse, dans les jardins, sur les salades et les poires. Des Russes déménagent les bouddhas et les vases dorés d'une pagode. Des Anglais ramènent à coups de bâton des bœufs capturés dans les champs. Des marins de la Dalmatie et d'autres du Japon, très camarades depuis une heure, font en compagnie leur toilette au bord du ruisseau. Et deux bersaglieri, qui ont attrapé un petit âne, en se pâmant de rire, s'en vont ensemble à califourchon dessus.

Cependant, le triste exode des paysans chinois, commencé depuis hier, se poursuit encore ; malgré l'assurance donnée  qu'on ne ferait de mal à personne, ceux qui étaient restés se jugent trop près et aiment mieux fuir. Des familles s'en vont tête basse : hommes, femmes, enfants, vêtus de pareilles robes en coton bleu, et tous, chargés de bagages, les plus bébés même charriant des paquets, emportant avec résignation leurs petits oreillers et leurs petits matelas.

Et voici une scène pour fendre l'âme. Une vieille Chinoise, vieille, vieille, peut-être centenaire, pouvant à peine se tenir sur ses jambes, s'en va, Dieu sait où, chassée de son logis où vient s'installer un poste d'Allemands ; elle s'en va, elle se traîne, aidée par deux jeunes garçons qui doivent être ses petits-fils et qui la soutiennent de leur mieux, la regardant avec une tendresse et un respect infini ; sans même paraître nous voir, comme n'ayant plus rien à attendre de personne, elle passe lentement près de nous avec un pauvre visage de désespoir, de détresse suprême et sans recours - tandis que les soldats, derrière elle, jettent dehors, avec des rires, les modestes images de son autel d'ancêtres. Et le beau soleil de ce matin d'automne resplendit tranquillement sur son petit jardin très soigné, fleuri de zinnias et d'asters ... »

Pierre Loti, Les derniers jours de Pékin (extraits).

 À suivre