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jeudi, 15 octobre 2009

366. Le papillon de mite

 
podcast

 

J’espère que vous avez toujours le paquet de Kleenex à portée de mains car vous allez probablement en avoir encore l’utilité !

Comme toutes les grandes villes, Istanbul a son lot de mendiants, de miséreux, d’estropiés qui affichent leurs  monstruosités, accroupis sur le trottoir. Comme partout, les gens passent indifférents. Indifférents n’est peut-être pas le terme exact, disons que les gens détournent le regard par gêne ou par crainte d’être horrifiés par le spectacle des infirmités exposées ainsi.

Chaque soir lorsque j’allais dîner au bord de l’avenue, j’ai eu l’occasion d’en voir un certain nombre. Il y eut tout d’abord une femme avec ses deux enfants. Elle avait un bébé dans les bras et une petite fille d’à peine six ans marchait derrière elle. Au moment où elles sont passées devant le restaurant, la petite s’est approchée furtivement de la table voisine  pour quémander du pain. Lorsque le serveur l’a vue, il s’est empressé de la chasser.

Le lendemain, de l’autre côté de la chaussée, il y avait un mendiant accroupi. Il observait le va-et-vient des clients. Tout à coup, il a traversé la rue et il est venu me demander de l’eau. Il avait soif. Je n’avais encore rien sur la table, si ce n’est un verre en plastique contenant de l’’eau. Je lui ai donc donné mon verre ainsi que quelques cigarettes.

Le dernier soir, alors que j’avais fini mon repas et que je prenais un café, est apparue une masse informe, marchant sur la chaussée et traînant derrière elle un énorme sac poubelle, à moitié éventré d’où s’éparpillaient toute sortes de détritus : cannettes, bouteilles en plastique, vieux papiers, vieux chiffons, épluchures diverses. Des ordures en somme. L’homme –car il s’agissait bien d’un homme- s’est alors arrêté à mon niveau, mais il me tournait le dos. Il était vêtu de haillons, ce qui lui servait de pantalon laissant paraître tout l’arrière des cuisses. Il s’était arrêté soudainement et semblait figé. Je le voyais maintenant de profil. Il n’y avait pas la moindre lueur dans son regard, sur ce visage tout noir de crasse. Une fois de plus, je n’avais plus rien sur ma table. Je me suis levée et lui ai donné des cigarettes ainsi que quelques pièces. Il a fallu que je lui écarte les doigts pour lui mettre les pièces dans la main. Quels malheurs l’ont conduit à n’être plus qu’une chose informe ? Un jour, on le retrouvera probablement dans le caniveau, mort. Ce soir-là, son image s’est gravée à jamais dans mon esprit et j’ai eu bien du mal à trouver le sommeil.

Dans «Constantinople fin de siècle», Pierre Loti évoque le souvenir pénible d’un pauvre enfant aperçu sur le pont de Galata :

 


«Dans ma maison familiale, — dans mon logis particulier qui est comme un coin d’Orient ancien, — un soir terne et voilé de printemps, entre les rideaux sombres et presque fermés, une lueur de crépuscule se glisse, triste, dessinant une longue raie dans l’air obscur.

Des plis d’une tenture murale en velours rouge, brodée d’archaïques dessins d’or, quelque chose d’infiniment petit s’échappe, comme attiré vers cette traînée mourante de jour, et, une fois là, se met à voltiger follement : un à peine visible papillon gris, un fétu ailé, qui sans doute vient d’éclore au renouveau si pâle de cette année.

La saison d’avant, tandis que je courais les mers chinoises, il avait été quelque affreux petit ver, rongeant en sournois la trame du velours précieux dans la continuelle obscurité et le continuel silence de cet appartement.

Et, aujourd’hui, une vie toute neuve grisait cet atome, et ce peu d’espace lui semblait grand, et cette pénombre lui semblait de la lumière. C’était son heure jeune, et son heure exubérante, et son heure d’amour, et le but et le couronnement de toute son inférieure existence de larve. Vite, vite, dans le délire d’exister, il agitait ses ailes de soyeuse poussière, pour décrire ces petites courbes gaies et fantasques…

En passant, je le fis tomber d’une pichenette irréfléchie. Alors, par terre, sur le rouge pourpre d’un tapis oriental, je distinguai de nouveau son petit corps abattu, secoué du tremblement de la fin, — et, par pitié, pour replonger sans plus de souffrance ce rien dans le néant de tout, je posai le pied sur sa microscopique agonie…

Après, je restai songeur une minute … Qu’est-ce donc que cela me rappelait ? Quelque chose d’à peu près semblable, une sorte d’agitation, de papillonnement gris pareil, m’ayant causé jadis, ailleurs, une courte mélancolie de même ordre, mais plus vive… Où donc avais-je vu ça ?

mendiants.jpgAh ! Oui ! … À Constantinople, un soir d’avril terne comme celui-ci, sur le pont de bois qui réunit Stamboul à Péra !... Je passais, à la tombée d’une journée de printemps, brumeuse comme aujourd’hui. Tous les mendiants qui hantent ce lieu étaient à leurs postes ; le long des rampes, leurs figures coutumières s’alignaient : aveugles, estropiés, idiots rongés par des plaies. Entre autres, un enfant lamentable de quatre ou cinq ans, aux mains recroquevillées, aux yeux malades, chaque jour immobile à la même place, effondré sur des loques, au bord du trottoir, apathique et lent comme une larve. Et, derrière lui, sa mère accroupie, vieille femme exhibant ses moignons rouges de deux jambes tranchées aux genoux.

Les gens passaient, affairés ou flâneurs, les cavaliers, les voitures, les hommes en fez rouge, les belles voitures des harems. Et, derrière ces foules, Stamboul échafaudait magnifiquement ses dômes dans le ciel crépusculaire.

D’une voix presque douce, la femme sans jambes appela son petit, disant en turc :

« Viens mettre ton manteau, Mahmoud ! Viens vite, voilà le vent qui froidit !»

Il se leva docile et vint. Son manteau était un vieux petit burnous sordide, grisâtre à rayures indécises, d’une forme orientale avec un capuchon. La mère lui tendait cette loque, et il présentait ses menus bras que terminaient des mains croches.

Mais, tout à coup, avant que la seconde manche fût passée, il s’échappa, dans un subit élan d’espièglerie, et il se mit à courir, à courir, décrivant des cercles fous devant les passants, s’amusant à agiter, dans le vent froid qui se levait, les manches de son burnous comme des ailes…

Un peu de l’éternelle et si fugitive jeunesse, un peu de cet enfantillage joueur du début de la vie, qui est commun aux hommes et aux bêtes, venait par hasard de s’éveiller en lui. Parmi ses ascendants, jadis il avait dû avoir, comme tout le monde, des êtres sains, connaissant les élans de la joie physique, de la simple joie d’exister et de se mouvoir ; alors quelque chose de ces disparus revivait furtivement dans sa frêle chair atrophiée.

Je le regardais, étonné, l’ayant toujours connu inerte, et je ne sais quelle impression d’infinie tristesse se dégageait pour moi de sa pauvre petite gaîté si éphémère, de sa course follette, du papillonnement de son burnous grisâtre dans le vent refroidi et dans la lumière pâlie.

La mère sans jambes s’inquiétait à cause des chevaux, des voitures ; l’appelait, se fâchait, essayant de se traîner vers lui pour l’attraper. Mais il tournait toujours, autour des groupes indifférents qui passaient ;  il tournait éperdument, semblable aux phalènes grises des soirs…

Il revint pourtant s’accroupir à son poste de misère ; il reprit son attitude effondrée et ne bougea plus. Ce fut fini, brusquement, comme cela avait commencé.

Quelque chose de plus cruel que la pichenette donnée au papillon de mite  venait d’abattre ce petit être déjà pensant : l’inquiétude du gîte et de la soupe du soir ; la conscience d’être misérable et si différent des autres, d’avoir des mains mortes et d’être un paria.

Tête baissée, il regardait maintenant par terre avec une impression sournoise et mauvaise, clignant ses paupières pleines de mal…

Entre lui et le papillon de mite, l’association qui s’est faite dans ma tête est encore plus intime que je n’ai su l’exprimer…»   

mercredi, 14 octobre 2009

364. Le petit chat Mahmoud

Avertissement : cette note risque sans doute d’émouvoir plus que de raison les personnes sensibles. Aussi je vous donne le conseil de prendre un Kleenex ou bien de passer votre chemin.

Ceci étant noté, j’en viens au sujet présent. Hier soir, avant de m’endormir j’ai lu un passage des récits de voyage de Pierre Loti, un pavé de 1664 pages, qui regroupe une petite partie des textes de son journal intime en rapport avec ses nombreux voyages de par le monde. Ainsi, en ce moment, vous ne serez pas étonnés si je m’intéresse plutôt à tous les récits ayant un rapport avec la Turquie.

D’un autre côté, je me suis aperçue avec tristesse que bien peu de gens connaissent Loti ! Et pourtant ce fut un écrivain célèbre dans son temps. Il fut même le plus jeune membre de l’Académie Française, battant Zola qui briguait la place…

J’ai rarement ressenti autant de plaisir à lire qu’en ouvrant un livre de Pierre Loti, que ce soit un de ses romans ou bien encore son journal intime –qui commence à être publié depuis peu-.

Quand j’aime, j’ai envie de faire partager. C’est la raison pour laquelle je viens de créer une nouvelle catégorie, « Pierre Loti », dans laquelle je vous présenterai quelques passages qui m’ont particulièrement bouleversée. Et justement, aujourd’hui c’est le cas. Le passage suivant est tiré du livre « Suprêmes visions d’Orient (Constantinople et la Thrace, 1910-1913) ».

Si vous prenez le temps de lire cet extrait, vous constaterez que les mots qui sont employés sont simples, accessibles à tous. Pas besoin d’avoir le dictionnaire sous le coude. Et cependant… Quelle force dans le style. Je peux vous avouer que j’avais les larmes aux yeux après la lecture. J’ai aussitôt entrevu la photo suivante qui cadrait presque parfaitement avec la description du chat faite par Loti. 

Le passage n’a pas de titre. Je l’ai appelé Le  petit chat Mahmoud.

Vous comprendrez pourquoi :


podcast

 

Jeudi 11 septembre 1913.

 

Stamboul. — Longue agonie et mort de notre petit chat Mahmoud. Il avait passé avec nous les cinq ou six jours heureux de son existence, ce pauvre petit martyr.

C’était sur la place de Mahmoud-Pacha que nous l’avions trouvé, assis sur son derrière, dans une pose de résignation suprême, tout contre un mur, dans un coin d’ombre. Il ne disait rien, ne demandait rien, ne bougeait pas. Étonnamment petit, un diminutif de chat, un tout petit corps tout ratatiné par la misère et par la faim, mais un amour de petite figure, la plus jolie, la plus intelligente figure de chaton que j’aie jamais vue.

chatmahmoud.jpg

Il était angora, d’un gris foncé presque noir, avec un peu de gris clair sous le menton ; âgé de trois ou quatre mois peut-être, mais beaucoup trop petit pour son âge, la croissance retardée par la misère. La figure du petit chat était si adorable que nous nous étions rapprochés ; alors il nous avait parlé en nous regardant droit dans les yeux : « Oui, je suis bien malheureux, vous voyez, je suis un pauvre petit rien, bien abandonné.»

Après nous être assurés qu’il n’appartenait à personne, nous l’avions emporté dans notre voiture. Chez nous, tout de suite il comprit la protection, sentit la sécurité, éprouva de l’affection reconnaissante. Nous l’avions baptisé Mahmoud, parce qu’il venait de Mahmoud-Pacha, et ce nom, qui fait penser aux gros mammouths, semblait drôle, donné à une petite bête aussi chétive.

Mahmoud ne voulait plus nous perdre de vue, mon fils ou moi, acceptant tout au plus la compagnie des domestiques. Il nous suivait partout en courant sur ses petites pattes trop maigres, qui le supportaient à peine. Le bon lait, les meilleures pâtées ne lui disaient pas grand-chose ; sans doute il était trop tard, il avait trop souffert, ses intestins étaient atrophiés.

Le lendemain de son arrivée, il ne se trouvait bien que sur l’épaule de l’un de nous. Obstinément, il grimpait le long des pantalons, de la veste et s’installait là-haut, sa tête appuyée contre notre joue ; blotti comme cela, il était heureux et faisait son ronron. Où avait-il pu apprendre l’affection et la tendresse, ce petit abandonné, dont les premières pensées ne dataient que de trois mois à peine ?

Par moments, le petit malade se sentait la force de jouer un peu avec un bouchon au bout d’une ficelle ; cependant il ne se rétablissait pas, ses petits os semblaient près de percer sa peau. Un vétérinaire, appelé, ordonna de petits remèdes, dit qu’il faudrait surtout une chatte nourrice. Mon domestique Djemil découvrit la chatte cherchée dans la maison d’une vieille femme voisine. Cette vieille voisine consentit à sevrer ses petits chats et à nous envoyer leur mère, deux fois par jour, moyennant trois sous par visite — en tout six sous de lait de chat, à l’abonnement.

Le grand colosse Djemil allait chercher, dans un panier, la mère chatte, et pendant tout le temps que le petit tétait, il la tenait par les quatre pattes, car cette opération la mettait toujours dans une colère à peine contenue. Après on servait à la nourrice une pâtée, qu’elle mangeait gloutonnement, puis elle se sauvait comme si le diable l’emportait.

Mais la chatte nourrice avait beau venir matin et soir, le pauvre petit Mahmoud ne grossissait pas. Sa tendresse et son besoin de protection augmentaient de jour en jour. Il pleurait dès qu’on le laissait seul et il ne voulait plus quitter son poste, sur mon épaule, la tête contre ma joue ; là, il oubliait son mal et tout …

Maintenant son poil était tout dépeigné, tout englué par les drogues que l’on essayait de lui faire prendre, il en arrivait à être une pauvre petite chose repoussante. Mais sa tête, trop grosse pour son corps de malade, était toujours aussi jolie et il avait ses mêmes yeux qui imploraient et remerciaient. Il était perdu et il avait l’air de le savoir ; il nous regardait bien en face, avec une expression intense de tristesse et de prière.

Et ce matin, il n’eut plus la force de se lever ; mais tout de même, quand on s’approchait, il dressait encore la tête, pour remercier du regard, et faisait son petit ronron affaibli. Ce soir, il s’allongea dans la pose des chats qui vont mourir. Nous nous sommes relayés, mon fils et moi, pour lui tenir compagnie ; il avait très bien conscience de notre présence et le petit ronron, que l’on n’entendait plus maintenant qu’en s’approchant tout près, nous remerciait encore.

Mon fils l’a gardé sur les genoux jusqu’à une heure du matin, jusqu’au moment où, après deux ou trois crispations d’agonie, il ne fut plus qu’une petite chose froide et inerte, dégoûtante à toucher, un rien pitoyable. Sa petite pensée, sa petite connaissance, sa petite tendresse, qui dira où tout cela était parti ? …

Vendredi 12 septembre 1913.

Le matin, au beau soleil, nous avons fait un trou dans le jardin de notre maisonnette, sous une treille, pour enfouir le petit chat Mahmoud. Cinq ou six enfants du voisinage étaient venus pour assister gravement à cette inhumation.»  

363. Carnet de voyage à Istanbul -16-

Lundi 28 septembre, première partie.


podcast
 

Ce matin j’ai prévu d'aller à Eyüp, ce faubourg d’Istanbul situé au fond de la Corne d’Or, là où l’écrivain Pierre Loti aimait à se rendre pendant ses séjours dans la ville. Comme je vous l’ai dit précédemment, je me suis renseignée pour savoir où prendre le bateau qui mène à Eyüp ; c’est en effet le moyen le plus rapide pour se rendre à cet endroit.

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Les départs ont lieu toutes les heures et le trajet dure environ une demi-heure.  Le bateau s’arrête sur les deux rives six ou sept fois avant d’atteindre le terminus.

Pour cette visite, je laisse ma place de guide à Pierre Loti lui-même. En effet, qui, mieux que lui, peut décrire cet endroit si surprenant ? Hum ? Je vous le demande…

 

«Mardi 13 mai 1890.— Je prends le récit de cette deuxième journée à cinq heures seulement — pour l’arrêter avant la nuit.

À cinq heures donc, en caïque, tournant le dos toujours aux quartiers neufs, je remonte vers le fond de la Corne-d’Or, me rendant au faubourg d’Eyoub. (Pour qui ne connait pas Constantinople, les caïques sont ces espèces de périssoires longues et minces, arquées en croissant de lune, où l’on navigue couché — et que l’on trouve sur tous les quais par centaines, comme à Venise les gondoles.)

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Aujourd’hui il en subsiste un nombre infime, richement décorées et destinées à promener les riches touristes sur la Corne-d’Or.

Cette Corne-d’Or devient plus paisible à mesure que l’on s’éloigne de l’entrée, encombrée de paquebots, et la partie de Stamboul que je longe à présent est de plus en plus antique, délabrée, morte :ce sont les très vieux quartiers, d’où la vie s’est retirée peu à peu, pour se porter ailleurs sur l’autre rive. Jamais, du reste, je ne leur avais tant trouvé cet air de ruines envahies par les arbres ; leurs toits noirâtres disparaissent presque sous la fraîche verdure de mai. Et Eyoub est au bout, touchant aux rideaux de cyprès noirs, aux grands bois funéraires.

Un vent très vif et presque froid se lève, comme chaque soir à l’heure où baisse le soleil ; sur toute la surface de l’eau remuée, de petites lames se forment.

Eyoub, le saint faubourg, est toujours le lieu rare du suprême recueillement, de la suprême prière. À l’entrée de l’avenue exquise qui longe les saints tombeaux, je mets pied à terre sur des dalles verdies par les siècles : l’avenue, devant moi, s’enfonce en profondeur, toute blanche à travers l’espèce de bois sacré plein de sépultures, blanche de ce même blanc verdâtre que prennent à l’ombre les marbres très vieux ; elle s’en va finir là-bas à l’impénétrable mosquée, dont on aperçoit confusément le dôme, sous un bouquet de platanes et de cyprès immenses. Elle est bordée, de droite et de gauche, par des kiosques, en marbre blanc ajouré, remplis de catafalques et de morts, ou par des murs percés d’arceaux en ogives à travers lesquels on aperçoit les cimetières : étranges tombes aux dorures fanées, apparaissant dans la nuit verte de dessous bois, mêlées à des fouillis d’herbes, de rosiers sauvages, de ronces…

Les passants sont toujours très rares dans cette avenue des morts : quelques derviches qui reviennent de prier, ou quelques mendiants qui vont s’accroupir là-bas aux portes de la mosquée.» Extrait de «Constantinople fin de siècle».

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Ce que j’avais donc pris de loin pour des rochers, n’étaient en fait que des tombes de marbre à perte de vue ! Des stèles par milliers qui s’entassent les unes contre les autres comme si elles semblaient vouloir se réconforter entre elles. C’est un lieu qui reste assez surréaliste malgré la disparition d'une bonne partie de ce cimetière, qui a laissé la place à de hideuses batisses modernes. Progrès oblige ! 

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Plus on grimpe et plus la vue sur la Corne-d’Or devient grandiose. Quelque part dans le cimetière se trouve la tombe de la belle Circassienne qui lui avait inspiré son premier roman, « Aziyadé ». En 1905 Pierre Loti fit enlever la stèle originale de la tombe pour la remplacer par une réplique fidèle. En 1981 la stèle disparut, il ne subsiste plus que la dalle. La vraie stèle, quant à elle,  se trouve dans la maison natale de Loti à Rochefort

L’avenue débouche bientôt sur le haut de la colline. Un peu plus loin sur la droite un panneau indique Le café de Pierre Loti.

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C’est très émue (oui, je suis très émotive parfois) que je découvre alors la petite terrasse d’où la vue sur la Corne- d’Or est sans doute la plus belle qui soit. Je m’attarde un long moment, assise devant un café, à observer le spectacle qui m’est offert. Quelle vue avait Loti quand il venait dans cet endroit ? J’ai retrouvé une image de l’époque :cimetiere.jpg

 

Avant de quitter les lieux je fais un tour à la boutique de souvenirs. Il n’y a personne et j’ai ainsi tout le loisir de farfouiller dans les livres. Finalement mon choix se porte pour quatre ouvrages :

Il me manque cependant deux ouvrages, « Fantôme d’Orient » et «Suprêmes visions d'Orient».

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téléph.jpgPour redescendre la colline, j’emprunte le téléphérique et dix minutes plus tard me revoici sur les rives de la Corne d’Or. Je retraverse le large pont peint en bleu et interdit à la circulation et je m’en vais attendre le bateau de 11h20…

Ah, j'oubliais : les stèles des femmes sont ornées de motifs floraux tandis que celles des hommes sont coiffées d'un turban ou d'un caftan.

 

mercredi, 16 septembre 2009

325. Le Grand-Bazar


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« Sortant de la Sublime-Porte, je me réfugie, pour m'y abriter jusqu'à la fin de la journée, dans le labyrinthe du Grand-Bazar  (car Stamboul, suivant l'usage d'Orient, a son "bazar" qui est comme une ville dans la ville, que des murailles entourent, et qui, le soir, ferme ses épaisses portes ).

Il y fait sombre et triste, aujourd'hui, sous ce ciel plein d'eau et sous ces toitures de bois qui couvrent toutes les petites rues, laissant des gouttières suinter ; à travers une espèce de buée, de brouillard crépusculaire, on voit briller les étoffes dorées, les milliers de bibelots accrochés aux échoppes — et fourmiller les foules : femmes tout de blanc voilées, hommes coiffés de bonnets rouges. Dieu merci ! il n'a guère changé encore, ce bazar. Dans des recoins connus, je retrouve les mêmes obscurs petits cafés, qui sont revêtus de leurs vieux carreaux de faïence persane aux étranges fleurs, et où servent depuis des années les mêmes vieilles petites tasses. On peut y faire les mêmes rêves qu'autrefois, en regardant, par la porte ouverte, la foule turque s'agiter dans le demi-jour fantastique des avenues. Du fond de ces retraites d'ombre, où l'on fume le tabac blond qui grise, tout ce mouvement, tout ce bruit semble, dans le lointain, comme un immense brouhaha de fantômes.

Je m'attarde à marchander de vieux bibelots d'argenterie — tandis que dehors le jour baisse et la pluie tombe toujours. De plus en plus désolé, ce bazar qui se vide, les affaires finies : le long des ruelles couvertes, si vieilles, les boutiques se ferment ; les marchands s'en vont comme les acheteurs, et l'obscurité grise descend dans ce labyrinthe, qui, la nuit, ne sera plus qu'un désert noir.»

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Voici la description que fait Pierre Loti du Grand-Bazar d'Istanbul en 1890. Tout a bien changé depuis. Certes le bazar existe encore, mais il s'est considérablement modernisé. Les échoppes sont largement éclairées. Cependant l'endroit est toujours grouillant d'activité et garde un cachet très authentique. J'y serai dans quelques jours...

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samedi, 24 novembre 2007

Les jours se suivent ...

monotones et tristes sous cette pluie froide de novembre. Plus que 18 jours, encore 18 jours d'attente avant mon départ vers d'autres cieux, ensoleillés ceux-là... Je commence à me mettre peu à peu en condition.

be251ca391e381eaf7b487a2f0f6c2a9.jpgProfitant d'un rayon de soleil jeudi, je suis allée à Tours me procurer une carte du pays ainsi que le livre de Pierre Loti, "Le roman d'un spahi". Loti séjourna au Sénégal en 1873 et 1874. Une aventure amoureuse avec la femme d'un haut fonctionnaire le força à quitter le pays. 

D'emblée, je suis transportée par les descriptions, je m'y vois déjà :

« Et puis enfin apparaît au-dessus des sables une vieille cité blanche, plantée de rares palmiers jaunes ; c'est Saint-Louis du Sénégal, la capitale de la Sénégambie.

Une église, une mosquée, une tour, des maisons à la mauresque. Tout cela semble dormir sous l'ardent soleil, comme ces villes portgaises quif fleurissaient jadis sur la côte du Congo, Saint-Paul et Saint-Philippe de Benguéla. »

Aurai-je la même impression d'endormissement ? Je ne pense pas, mais le parallèle entre ces deux époques est intéressant en soi. Le Sénégal de Loti n'existe  plus, hormis dans les paysages et l'architecture.

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« On s'approche, et on s'étonne de voir que cette ville n'est pas bâtie sur la plage, qu'elle n'a même pas de port, pas de communication avec l'extérieur ; la côte, basse et toujours droite, est inhospitalière comme celle du Sahara, et une éternelle ligne de brisants en défend l'abord aux navires. (...)

Cet isolement de la mer est pour ce pays une grande cause de stagnation et de tristesse ; Saint-Louis ne peut servir de point de relâche aux paquebots ni aux navires marchands qui descendent dans l'autre hémisphère. On y vient quand on est forcé d'y venir ; mais jamais personne n'y passe, et il semble qu'on s'y sente prisonnier, et absolument séparé du reste du monde. »

dd908597f374b5bb434a209b44791adf.jpgLe fleuve sert de frontière naturelle avec la Mauritanie. J'ai repassé en bleu le trajet que le bateau va effectuer sur le fleuve.

S'occuper l'esprit jusqu'au départ ! Ce matin, je vais faire un tour au Louroux dans une ferme qui vend ses produits en direct. J'en avais déjà parlé ICI.

La semaine prochaine je suis interviewée sur "France Bleu Touraine" dans l'émission consacrée aux passionnés. Passionnée ? Je me le demande parfois. Je me fais plutôt l'impression d'être un papillon qui voltige de-ci, de-là, sans but bien précis si ce n'est celui d'oublier que je suis seule, que le compteur des ans défile trop vite vers la case d'arrivée. Oui, je sais, c'est notre lot commun, mais des fois, cela m'effraie... Je retourne à ma lecture.