lundi, 30 novembre 2009
433. Célestine Chardon -10-
LA VIE BIEN ORDINAIRE DE CÉLESTINE CHARDON
Chapitre 10 : Célestine récupère son chat.
Marc expose alors brièvement la situation à Ivan : le chat s'est probablement introduit à l'insu de tous dans son appartement au moment de l'emménagement et il s'est retrouvé enfermé. Il faut maintenant trouver une solution pour l'en sortir!
— Vous êtes certain que le chat est bien à l'intérieur ?
— Oui, oui, aucun doute ! C'est le chat de mademoiselle Chardon qui habite juste au-dessus de chez vous. Elle l'a entendu miauler.
Ivan réfléchit quelques instants. La voisine du-dessus, celle qui était penchée à sa fenêtre et qu'il a observé la veille, intrigué par cette apparition. Il lui semblait la connaître, mais à savoir d'où, c'était une toute autre affaire pour lui qui dans sa vie avait toujours été entouré de femmes, celles qu'on aime à vouloir en mourir, celles qu'on désire dans l'espoir de les posséder un jour, celles qu'on affiche à son bras pour se mettre en valeur, celles qu'on baise et qu'on oublie dès le lendemain. Pourquoi avait-il été troublé ainsi en la voyant ? A bien y réfléchir elle n'avait rien de particulièrement remarquable, hormis ce sourire candide et ce regard insistant qu'elle avait posé sur lui.
Il finit par rétorquer:
— Les clés sont avec moi. Vous savez que j'ai récupéré mon appartement pour un certain temps. Je le louerai à nouveau dès que vous m'aurez déniché ce que je cherche. D'autre part, il est hors de question que je rentre à Tours pour un chat ! Certes j'aime les chats, j'en ai un moi-même à Paris...Voilà ce que je vous propose de faire …
Et Ivan d'expliquer à Marc qu'il n'a qu'à faire venir un serrurier ou S.T.P
— Je vous fais confiance pour que la porte soit réparée aussitôt le chat sorti et naturellement vous vous chargez des frais. Vous me rappelez pour me tenir au courant!
— Très bien, monsieur Souborovski, c'est très gentil de votre part de m'autoriser à intervenir chez vous. Ne vous faîtes aucun souci, je serai présent lors de l'ouverture et je vérifierai que tout se passe normalement. C'est mademoiselle Chardon qui va être heureuse car elle était aux quatre cents coups !
— Oui, je peux l'imaginer, fit Ivan se représentant Célestine en larmes, se tirant les cheveux de désespoir et criant à sa fenêtre comme la mère Michel. Il aurait été le père Lustucru dans cette histoire...cela le fit sourire!
Marc s'empressa de rappeler Lucie pour la tenir informée de la réponse et contacta aussitôt S.T.P. Dans l'heure qui suivit la camionnette de dépannage arriva dans la rue endormie.
Le réparateur n'eut aucune peine à ouvrir la porte ; Théo, apeuré par le bruit, était allé se réfugier à l'autre bout de l'appartement et dans la semi-obscurité Célestine eut bien du mal à le voir. L'appartement du peintre avait la même superficie que le sien mais la disposition en était tout autre. Des cloisons avaient été abattues ce qui donnait une impression de grandeur. Il n'y avait plus que deux pièces, le séjour et la chambre, mais le séjour était très vaste. Il y avait des cartons empilés un peu partout sur le plancher, des tableaux étaient posés le long des murs en attente d'être accrochés. Sur une grande table rectangulaire divers objets s'amoncelaient...
Célestine prit Théo dans ses bras et tout en se dirigeant vers la sortie, son regard fut attiré par un cadre posé sur la table. Elle jeta un coup d'œil à la photo et fut alors saisie ! Elle connaissait cette photo, elle l'avait vue si souvent par le passé, elle reconnaissait l'homme et l'enfant qui jouaient sur cette plage.
Elle était toute troublée en sortant et pendant que le réparateur changeait la serrure, elle dit à Marc:
— Comment s'appelle-t-il, ce peintre ?
— Ivan Souborovski, pourquoi ?
— J'ai connu un Léon Souborovski qui habitait ici autrefois, quand je suis arrivée. Tu crois que c'est la même famille ?
Marc hésita puis lui répondit:
— Je ne sais pas, je sais seulement qu'il est propriétaire de cet appartement et qu'il attendait que la locataire s'en aille pour s'y installer.
— Alors, pas de doute, c'est le fils de Léon. Je ne l'ai pas connu, mais son père m'a bien souvent parlé de lui.
C'est Célestine qui régla la facture, la note était salée mais elle était trop contente d'avoir récupéré Théo et trop troublée par la photo pour y prêter la moindre attention.
Ivan était retourné à la contemplation de sa dernière œuvre. Mais ses pensées bientôt le transportèrent à Tours. Il avait hérité de cet appartement à la mort de son père, en 1999. Quand ils étaient arrivés du Maroc, c'est dans cet endroit qu'ils avaient posé leurs valises. C'était en 1955... Il y a si longtemps déjà !
La vie avec son père avait été difficile. Ce dernier ne s'était jamais complètement remis de la mort de sa femme Irena. Il avait trouvé un emploi de contremaître dans une usine de textile à Tours. Mais il était devenu taciturne, irritable.
Ivan, lui, avait poursuivi ses études au lycée Descartes. Son enfance dans le sud marocain avait développé chez lui un goût prononcé pour le dessin et la couleur. Il suivit des cours à l'école des Beaux Arts et en 1968 il fut admis à l'école des Beaux Arts de Paris. Son père n'avait pas accepté ce choix. Selon lui ce n'était pas un métier sérieux et leurs relations devinrent de plus en plus tendues jusqu'à la rupture qui intervint le jour du départ d'Ivan pour Paris. Ce fut la dernière fois qu'Ivan vit son père vivant. Bien souvent il lui téléphona, mais le vieux Léon resta intransigeant.
Célestine savait pourtant combien Léon adorait son fils, elle savait tout de la jeunesse d'Ivan. Que de fois Léon lui avait raconté leur vie là-bas, elle avait l'impression étrange d'y être allée. Et sur la photo de tout à l'heure, elle avait reconnu Ivan et Léon, lors d'un séjour à Mogador.
Tandis que Théo se remettait de ses émotions en dévorant tout le contenu de sa gamelle, Célestine prit son petit carnet pour y noter les évènements de la journée... Quel dimanche ! C'est à cet instant que la sonnerie du téléphone retentit.
— Allo Célestine, c’est Alain. J’espère que ta visite à l’hôpital n’a pas été trop pénible. Es-tu bien rentrée ?
— Bonsoir Alain, merci. Et puis j'ai retrouvé mon chat, alors je suis très contente.
— Tu sais j'ai été ravi de faire ta connaissance et j'apprécierai beaucoup que l'on puisse se revoir. Serais-tu d'accord pour un dîner au restaurant samedi prochain ?
—Euh...oui, pourquoi pas. Attends que je regarde si je n'ai rien de prévu à cette date!
Elle n'avait évidemment rien d'inscrit pour ce jour-là, mais elle voulait faire croire qu'elle était très occupée.
— Non, je n'ai rien de prévu pour l'instant, donc c'est d'accord.
— Ah, je suis très content ! Eh bien, on dit vingt heures devant la gare ?
— Parfait Alain, j'y serai...Ah, au fait, toi qui sais plein de choses, tu connais un peintre du nom de Souborovski ?
— Ah, tu veux sans doute parler du sulfureux Soubo. Il a fait la une des journaux à une époque. Pourquoi me poses-tu cette question ?
— Oh comme ça. Figure-toi qu'il va habiter en-dessous de chez moi. J'ai bien connu son père qui...
Mais Alain n'avait que faire de Souborovski et il l'interrompit:
— Je te quitte car il est presque minuit et demain je me lève à cinq heures ! Bisous Célestine, bonne semaine et à samedi donc.
Presque minuit ? Célestine n'en revenait pas, elle qui d'habitude se couchait vers vingt et une heures. Vite elle se glissa sous la couette et se remémora les instants forts de cette journée:
Il est amusant cet Alain ... Léon Souborovski, ce vieil homme taciturne dont elle s’était occupée quand il était tombé malade… Le regard d’Ivan qui l’avait troublée …
Elle s'endormit bientôt, Théo entre ses bras.
À suivre
05:02 Publié dans Petites nouvelles de rien du tout | Lien permanent | Commentaires (1)
dimanche, 29 novembre 2009
432. Une nuit à Las Vegas
Cela remonte au mois d’avril 2002. Je travaillais encore et je venais juste d’emménager dans ma nouvelle maison. Durant les vacances de Pâques je pars alors toute seule aux États-Unis suite à l’invitation de mes amis Jean-Paul et Clarisse, un couple de Tourangeaux installés à Frémont, près de San Francisco, depuis les années quatre-vingt.
Je ne suis pas et je n’ai jamais été une admiratrice du pays des Mickeys. Mais l’occasion ne se reproduira pas toujours et de plus j’ai la possibilité financière à ce moment-là.
Le dimanche 1er avril, me voici donc à la gare de Saint-Pierre-des-Corps. C’est mon deuxième voyage en avion. J’ai pris un billet sur un vol d’Air France et l’avion décolle de Roissy en début d’après-midi.
Une petite dizaine d’heures plus tard, je sors de l’aéroport. Clarisse est là. Je suis chargée comme un bourricot, valise-coque, énorme sac de voyage, sac à main et banane autour de la taille.
Jean-Paul a préparé un circuit d’une petite semaine durant laquelle nous irons à Hollywood, Las Vegas et dans le grand Canyon.
Départ le mercredi 3 avril. Nous passons la première nuit à Ventura, petite ville située entre Santa Barbara et Los Angelès.
Le lendemain matin, arrêt à Hollywood, balade sur Hollywood boulevard, puis passage éclair dans le quartier de Beverly Hills et après la traversée de la banlieue de Los Angelès, nous prenons la route 15 en direction de Las Vegas.
Des heures interminables sur une route traversant un paysage aride, désolé, sans habitation. On roule, on roule toujours. Le soir tombe, on roule encore…
Soudain Clarisse demande à Jean-Paul :
—Comment cela se fait que tu roules aussi lentement ?
—Je n’ai pratiquement plus d’essence. J’ai peur de tomber en panne d’ici peu !
Il faut savoir que sur cette route les stations sont peu nombreuses et on a déjà passé la dernière avant Las Vegas depuis déjà longtemps. Or à cette station, Jean-Paul n’a pas voulu s’arrêter car il trouvait que c’était trop cher !
La nuit est maintenant tombée. Nous roulons toujours, mais à 60km/h… Bientôt dans le lointain on aperçoit de temps à autre des éclairs illuminer le ciel.
—Tiens, il y a un orage !
—Non, me répond Clarisse. Ce sont les lumières de Las Vegas que tu vois au loin !
Au volant Jean-Paul est de plus en plus stressé, il est maintenant dans la zone rouge du réservoir. Finalement nous arrivons à Las Vegas. Dans la voiture le climat est soudainement plus détendu.
— Regarde sur ta droite Jean-Paul, il y a une station !
— Oui, je l’ai vue, mais dans la station d’en face, l’essence est moins chère… Et il file pour aller tourner un peu plus loin sur la gauche afin de rattraper la route en sens contraire. Et là, je ne sais pas trop ce qui s’est réellement passé, mais Jean-Paul a loupé l’entrée de la station et nous nous sommes alors retrouvés de nouveau sur la route 15 en direction de la montagne sans possibilité de faire un demi-tour !
Une demi-heure plus tard, nous voici de nouveau à l’entrée de Las Vegas.
— Cette fois-ci, tu t’arrêtes à la première station, pas de blague hein !
Après avoir fait le plein, Jean-Paul va téléphoner à son fils pour savoir dans quel hôtel il nous a réservé des chambres. Finalement nous serons logés au HILTON.
Avant de rejoindre l’hôtel, Jean-Paul nous balade sur l’avenue principale, bordée de casinos. Ça clignote de partout, la musique est amplifiée par des hauts parleurs. Les trottoirs sont envahis par une foule de badauds en tongs et T shirt.
Dans un périmètre assez réduit on passe des pyramides égyptiennes à Big Ben puis la tour Eiffel, la statue de la Liberté après avoir longé les canaux d’Amsterdam et entre-aperçu le vaisseau fantôme. Serions-nous à Disneyland ?
Il est environ minuit. Nous allons alors poser nos bagages à l’hôtel et nous rafraîchir un peu avant de ressortir.
— Welcome ! dit le voiturier en prenant les clés de la voiture de Jean-Paul, tandis que plusieurs employés se saisissent de nos valises. Derrière nous arrive une énorme limousine blanche.
Nous voici maintenant dans l’immense hall de l’hôtel qui ressemble plus à un hall de gare qu’à autre chose. Il y a foule à la réception et on est obligé de faire la queue. La première chose qui me frappe est le négligé des gens qui attendent d’avoir leur clé. Ils sont débraillés, parlent fort, ont des taches de sueur sur leurs vêtements.
Ah mais c’est maintenant notre tour ! Apparemment on n’était pas attendu. Le réceptionniste nous fait poireauter un long moment. Il va chercher un responsable. Au bout d’une petite heure nous finissons tout de même par obtenir les deux clés de nos chambres. Je suis au 26e étage et mes amis au 27e.
— Bon, on se retrouve en bas, près de l’ascenseur dans une petite heure ? me dit Jean-Paul avant que je sorte de l'ascenseur au niveau 26.
— OK, à tout à l’heure.
Je me retrouve dans un couloir sans fin. La chambre est immense, la salle de bain aussi. Ce qui m’impressionne surtout, c’est la baie vitrée donnant sur la ville. Les fenêtres ne s’ouvrent pas et c’est à cet instant précis que m’est revenu en tête le film « La tour infernale ». Je sens une certaine angoisse m’envahir peu à peu.
À l’heure convenue, je suis au rez-de-chaussée mais personne ! J’attends un peu, puis je décide de monter chercher mes amis directement dans leur chambre. Arrivée devant la porte, je constate qu’ils ont quitté leur chambre. Je redescends donc. Toujours pas de Jean-Paul et de Clarisse ! Peut-être ont-ils eu la même idée que moi ? Je remonte alors dans ma chambre. Impossible de les joindre car ils n’ont pas de portable. Je téléphone alors à la réception.
— Allo, ze roume tou séveune oine tou, plize !
Le téléphone sonne bien, mais personne ne répond. Mais où diable sont-ils passés ?
Cette chasse à l’homme va durer plus d’une heure ! Finalement nous finissons quand même par nous retrouver au moment où je descendais de l’ascenseur et qu’ils s’apprêtaient à y monter.
Il est plus de deux heures du matin. Nous dînons rapidement dans un des restaurants du Hilton avant de sortir au-dehors. À ce moment là je sature complètement, j’ai surtout envie de dormir et tout ce que je vois me parait tellement factice. Nous entrons dans un casino. Les gens s’affairent aux machines à sous, autour des tables de jeux, ça crie, ça rigole, ça picole, ça fume… Je m’installe à une machine à sous sans aucune conviction. D’ailleurs je ne dépenserai pas plus de 10 dollars. À côté de moi, une petite vieille vient de faire banco. Elle crie, s’affaire à ramasser sa mise et placer les jetons dans un petit panier.
Nous ressortons peu après. Il doit être quatre heures du matin et il y a toujours autant de monde dans les rues. J’ai un terrible mal à la tête.
— Bon, si on allait se coucher ? Tu dois être fatigué mon pauvre Jean-Paul.
À huit heures je me réveille. Un œil par la baie vitrée. Mon Dieu, que cette ville est laide.
19:32 Publié dans Voyages | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : voyage, états unis, las vegas
431. Le roi du burger
Savez-vous qui est le roi du burger aux États Unis ? Contrairement à ce que l'on pourrait supposer, ce n'est pas un Américain, mais un... Français ! Je vous présente Hubert Keller d'origine alsacienne qui est arrivé à San Francisco dans les années soixante-dix. Après avoir ouvert un restaurant haut de gamme dans cette ville (Fleur de lys), il s'est tourné vers Las Vegas. Là, il a eu l'opportunité d'ouvrir un burger-bar dans un des multiples casinos et ce fut un succès immédiat.
Il faut dire que son burger est pour le moins surprenant : un pavé de bœuf de Kobé (ville japonaise) surmonté d'un sauté de foie gras entre deux tranches de pain brioché, le tout accompagné d'une sauce aux truffes. N'oublions pas quelques frites autour. Et si en plus vous prenez une bouteille de Petrus 1990, il vous en coûtera la bagatelle de ... 5000 dollars et sans doute en prime une bonne crise de foie !
Ce burger est en photo sur le site à la rubrique "Sleek".
Il envisage maintenant de s'implanter en Chine.
Un p'tit tour dans le monde de la frime, ICI.
Et puisqu'on parle de Las Vegas, je vais vous raconter prochainement mon rapide passage dans la ville du jeu et du sexe !
05:05 Publié dans Gens peu ordinaires | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : hamburger, états unis
430. Célestine Chardon -9-
Chapitre 9 : un dimanche mouvementé.
Pendant ce temps, à Tours, Célestine se préparait pour se rendre au rendez-vous fixé à onze heures et où elle devait faire connaissance des membres de l'association "Loisirs en Touraine". Elle n'avait pas le cœur à ça, trop préoccupée par l'absence prolongée et inexpliquée de son chat. Avant de quitter l'immeuble, elle alla frapper à la porte de chez Lucie pour l'informer de cette disparition.
— Si des fois tu le voyais, prends-le chez toi en attendant mon retour ! dit-elle à son amie.
— Ne t'inquiète pas Célie, ce n'est pas la première fois qu'il fugue, il aura trouvé une copine dans le coin ! rajouta Lucie en riant.
Le rendez-vous était place Jean Jaurès au Continental. Quand Célestine arriva, il y avait déjà une vingtaine de personnes en train de se congratuler et de bavarder assez bruyamment. Béatrice, la directrice de l'association vint au devant de Célestine et la pria de se joindre aux autres en faisant brièvement les présentations.
— Chut.... Un peu de silence, s'il vous plaît ! Merci bien. Je vous présente une nouvelle adhérente, Célestine et je ne doute pas que vous l'accueillerez chaleureusement !
Tous les regards se tournent alors vers Célestine qui se sent d'un coup fort mal à l'aise. Les femmes présentes sont majoritairement des trentenaires, les hommes itou et elle se trouve alors bien âgée. Elle cherche du regard les rares présents qui sont dans sa tranche d'âge. Ouf, elle aperçoit en arrière-plan un petit groupe d'hommes et de femmes qui sont de sa génération. Elle les rejoint donc. Il y a là trois femmes et deux hommes en grande discussion à propos de leurs prochaines destinations de voyage.
Puis tous passent bientôt à table. Les quinquagénaires se regroupent, Célestine laisse les gens prendre place et un des hommes du groupe lui propose alors de venir se mettre à côté de lui.
— Nous pourrons ainsi faire plus ample connaissance, dit-il en avançant la chaise au moment où Célestine s'asseyait. Je m'appelle Alain. Vous c'est Célestine je crois ...Un bien joli prénom pour une femme qui a de si beaux yeux verts!
Il n'est pas très grand, assez rond et semble surtout très bavard. Il engage tout de suite la conversation et au bout d'une demi-heure a fait le tour complet de sa vie. Il est divorcé depuis peu, ayant eu deux enfants. Une enfance dorée passée à l’étranger avec des parents diplomates, un retour en France, une scolarité débridée puis l'opportunité d'entrer dans une grande société de commerce où il exercera des responsabilités importantes. Une vie professionnelle particulièrement stressante qui l'amène à faire un infarctus, puis la dégringolade... Le chômage, la rupture familiale. Actuellement il avait retrouvé un bon job à Paris.
— J'ai pris un appartement tout près de la gare pour des raisons de commodité. J'ai une vie qui me laisse peu de temps pour les loisirs. Je pars le matin à six heures et je ne rentre à Tours que le soir vers vingt heures trente. Ces rencontres du week-end me permettent de m'évader un peu...Mais je parle, je parle ! Et vous, Célestine, que faites-vous dans la vie, allez racontez-moi un peu, j'ai envie de mieux connaître qui se cache derrière ce regard si envoûtant !
— Regard envoûtant, vous ne croyez pas que vous en rajoutez un peu trop, non ? Bof, ma vie est un long fleuve tranquille. Je vis seule avec mon chat. Je suis à la retraite depuis un jour seulement. Auparavant je travaillais comme vendeuse aux Galeries Lafayette.
— Tu permets que je te tutoie ? Ici, c'est la règle. Tiens je propose qu'on porte un toast à ta venue parmi nous !
Et, le verre à la main, il se tourne vers les autres tables en disant:
— Mes amis, je vous invite à lever vos verres et à trinquer avec moi en l'honneur de notre nouvelle amie ici présente !
— A Célestine ! répondirent en chœur les autres convives.
Après le repas, une balade digestive et culturelle à la fois se déroule dans le quartier de la cathédrale Saint Gatien.
Alain ne quitte pas Célestine d'un pouce, il la saoule complètement avec ses bavardages à un point tel qu'elle a oublié ses préoccupations matinales. Vers dix-sept heures quelques personnes viennent à partir. Elle voit là l'occasion rêvée de quitter tout ce petit monde. Elle prétexte alors une visite à rendre à une parente hospitalisée pour mieux s'éclipser. Alain parait déçu.
— Tu nous quittes déjà ? C'est dommage, j'aurais bien aimé te montrer mon appartement, c'est juste à côté. Peut-être accepterais-tu de me donner ton numéro de portable afin que l’on reste en relation ? J'aimerais bien encore discuter avec toi.
— Oui, si tu veux, tu as de quoi noter ?
Il sort un petit agenda et y inscrit le numéro. Puis il embrasse Célestine en lui pressant légèrement le bras.
Ouf ! Enfin seule...
Célestine n'a jamais apprécié les réunions de plus de six personnes. Au delà de ce nombre, cela devient confus, tout le monde parle en même temps et il y en a toujours un ou deux qui veulent se faire remarquer en monopolisant la parole. Alain a l'air gentil, il a même réussi à la faire rire, ce qui est rare. Il ne lui plait pas physiquement mais il a un côté gamin et une telle spontanéité que cela le rend sympathique. Oui, elle aimerait quand même bien le revoir.
C'est en tournant le coin de la rue qu'elle repense subitement à Théo. Elle presse le pas. Par chance Julie est chez elle:
— Hélas, je ne l'ai pas vu ! J'en ai parlé à Olivier pour qu'il se renseigne. Allez rassure-toi Célie, fit-elle en lui tapant amicalement sur l'épaule, ton Théo connaît bien sa maison et il ne s'est jamais perdu.
Célestine monte lentement l'escalier vers le troisième étage tout en imaginant le pire. Au moment où elle atteint le palier du deuxième il lui semble entendre comme un léger miaulement. Surprise, elle se retourne en regardant dans l'escalier. Non, il n'y a rien. Le miaulement se reproduit, plus perceptible cette fois. On dirait qu'il provient de l'intérieur de l'appartement. Elle s'approche de la porte et colle son oreille sur le bois... Oui, c'est bien ça ! C'est la voix de Théo qu'elle entend. Pas de doute possible, son chat est bien là, enfermé à l'intérieur de l’appartement.
Elle s'accroupit et appelle sous la porte: Théo ! Théo !
Aussitôt un miaulement lui répond. Célestine se redresse. Elle est à la fois soulagée de le savoir vivant mais en même temps paniquée à l'idée qu'il soit prisonnier. Elle redescend l'escalier en quatrième vitesse et frappe chez Lucie.
— Ça y est Lucie, je l'ai retrouvé ! il est enfermé au deuxième chez le peintre. Comment on va faire pour le récupérer ?
Lucie n'entrevoit que deux solutions: soit on a la clé et alors pas de problème, soit on n'a pas la clé et il ne reste plus qu’à forcer la porte.
— Mais personne n'a la clé à part le locataire. Et Marc nous a dit qu'il était parti au Maroc !
— Attends, ne t'affole pas ainsi, rentre et assieds-toi. Je vais téléphoner à Marc et on va trouver une solution. De toute façon ton chat il ne va pas mourir comme ça. C'est résistant les chats, ils peuvent être plusieurs jours sans manger et sans boire, rajoute-t-elle pour essayer de rassurer Célestine.
Par bonheur Marc est chez lui. Malheureusement il ne possède pas de double. Par contre il a le numéro de téléphone du peintre à Marrakech et il veut bien essayer de le contacter.
Marrakech, vingt heures... Ivan est monté sur la terrasse de sa maison. De cet endroit, il peut contempler une partie de la médina et les montagnes qui se profilent dans le lointain. Il vient de mettre une touche finale à son dernier tableau et se dit qu'il n'y a qu'en ce lieu qu'il réussit à peindre bien. Il est heureux, paisible.
La sonnerie de son portable vient soudain rompre le charme :
— Oui, allo ?
—Monsieur Souborovski ? C’est Marc Legendre de l’agence immobilière de Tours. Nous avons un problème à résoudre.
À suivre
04:29 Publié dans Petites nouvelles de rien du tout | Lien permanent | Commentaires (0)
samedi, 28 novembre 2009
429. Célestine Chardon -8-
Chapitre 8 : Ivan Sergueï Souborovski.
Il était un peu plus de minuit quand l'avion atterrit à Marrakech. Comme à chaque fois Mohamed attendait Ivan sur le parking face à l'aéroport. Il le conduisait ensuite jusqu'à la Médina. C'est à cet endroit, tout proche de la place Djemaa-el-Fna que l'artiste aimait à venir pour se ressourcer. Il y retrouvait ses racines, des odeurs qui ne l'avaient jamais quitté, qui hantaient ses rêves, les couleurs criardes et violentes de cette ville, la population grouillante des ruelles.
C'est ici qu'il était né, voilà plus de cinquante ans. Il aurait tout aussi bien pu naître à Varsovie ou encore à Paris, mais le destin en avait décidé. Le destin !
Le père d'Ivan, Léon, était d'origine russe. Il avait vécu à Tours où son père exerçait la profession de tailleur depuis 1920, dans une petite boutique située dans une rue du vieux Tours. A sa majorité, Léon avait repris le commerce familial. Puis la guerre était survenue et Léon et sa famille, d'origine juive, avaient dû se cacher. Ils avaient été recueillis un certain temps dans une ferme du Lochois, jusqu'au jour où leur présence fut repérée et les parents de Léon furent arrêtés par la police française. Ce fut le départ pour Drancy puis Buchenwald. Ils ne revinrent jamais. Léon, quant à lui, avait réussi à échapper à l'arrestation. Traqué un temps, il put rejoindre un réseau clandestin dans le maquis et bientôt devint un meneur actif dans la résistance. Il avait tout juste vingt-quatre ans.
En janvier mille neuf cent quarante quatre le réseau fut démantelé car parmi ses membres un mouchard s'était infiltré et les arrestations s'amplifièrent soudain de façon anormale. Cette fois-ci Léon fut arrêté. Il séjourna quelques temps à Tours, dans les locaux de la Gestapo rue George Sand, puis fut expédié vers Auschwitz.
Léon survécut à l'enfer. Lorsque le camp fut libéré, il fit la connaissance d'une jeune polonaise, Irena Gradalska, d'une beauté saisissante malgré son extrême maigreur et son regard vide. Elle semblait ne plus exister, ne savait plus où aller...Léon tomba amoureux d'elle et la prit sous sa protection. Ensemble ils rejoignirent la France, puis Tours.
Lorsque Léon et sa protégée se retrouvèrent devant sa maison d'enfance, celle-ci était occupée par d'autres gens, le commerce avait disparu. Tous les biens de la famille de Léon avait été réquisitionnés. Il ne possédait plus rien !
Il décida alors de quitter ce pays où plus rien ne le retenait désormais. Léon épousa Irena et ils prirent un grand bateau qui les emmena vers le soleil, la lumière, la vie... C'est ainsi qu'ils se retrouvèrent à Marrakech. Là, Léon reprit son ancien métier et en mille neuf cent quarante sept Irena mit au monde un petit garçon auquel ils donnèrent les prénoms de ses deux grands pères : Ivan, le père de Léon, et Sergueï, le père d'Irena qui avait été un très grand architecte avant, avant que ... Le ghetto de Varsovie ! Il ne fallait jamais prononcer le nom de cette ville devant Irena. Elle avait vu trop d'horreurs et subi tant d'outrages pour rester en vie ! Tous les siens étaient morts de faim au début de la construction de l’enclave juive dans cette ville. Elle n’avait dû sa survie qu’à sa beauté. Léon ne sut jamais ce qui s’était réellement passé à cette période, mais il s’en doutait un peu.
Irena ne se remit jamais de la disparition de tous les siens. Elle sombra peu à peu dans un état léthargique. Le petit Ivan était confié à une arabe, Fatma, qui vivait avec le couple et s’occupait des tâches ménagères. Fatma apprit l'arabe au jeune garçon et lui fit découvrir tous les coins et recoins de cette ville labyrinthique.
Et puis, un jour de mille neuf cent cinquante cinq, Fatma retrouva Irena endormie sur son lit. Son visage si pâle paraissait serein, un léger sourire venait l'illuminer. Elle était morte sans bruit comme pour ne pas troubler l'ordre de cette maison.
Dés lors, tout s'accéléra : Léon, fou de douleur, décida de quitter le Maroc et de revenir en France. Les évènements politiques semblaient le conforter dans cette idée. Un autre bateau emmena Léon et le petit Ivan de l'autre côté de la Méditerranée. Les adieux à Fatma furent déchirants. Elle promit de s'occuper de la tombe d'Irena.
Le deux mars mille neuf cent cinquante six le Maroc proclamait son indépendance. Ce jour là, Léon venait de trouver un appartement à louer dans le vieux Tours. A cette époque le quartier faisait un peu penser aux ruelles de la Médina, la population y était tout aussi bigarrée...Seul, le soleil avait perdu de son éclat.
C'est ainsi que le père et le fils se retrouvèrent dans la rue des Trois Pucelles, à cet endroit précis où ce matin même Ivan avait emménagé. Un retour aux sources, pensa t-il tout en regardant les lumières de la ville au loin, tandis que Mohamed conduisait silencieusement.
(Changement de décor, changement de musique).
Il était donc heureux de revenir à Marrakech, il avait à chaque fois l'impression de rajeunir et même si la ville avait beaucoup changé depuis l'arrivée des charters de touristes, il y avait encore tant de recoins qui restaient vierges de toute invasion occidentale.
Mohamed laissa Ivan au coin d'une ruelle et partit garer la voiture un peu plus loin. Ivan s'engouffra dans un dédale de petites rues sombres.
Au bout de quelques minutes il s'arrêta devant une grande porte en bois de cèdre. Comme par enchantement la lourde porte s'ouvrit alors en laissant entrevoir une cour intérieure où seul le clapotis d'une fontaine faisait entendre sa douce musique.
— Enfin chez moi, murmura-t-il dans un profond soupir. Dans le lointain on percevait le bruit d'une étrange mélopée.
À suivre
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