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mardi, 24 décembre 2013

229. Période de guerre -1-


podcast

Je viens de terminer la lecture des nouveaux écrits d'Yvonne concernant la période 1934-1945. Certains passages qui décrivent la vie durant la guerre me semblent intéressants. Aussi je reprends la copie de ces mémoires.  mariage1.jpg

Yvonne épousa Roger en 1937. Ils s’installèrent alors à Champroux, chez les parents de Roger. Yolande naquit en février 1938, suivie de Jacques en 1939. Et soudain …

«  Le 1er septembre 1939 j’eux la visite de deux voisins qui sortirent dehors pour parler des nouvelles avec Roger qui jardinait. Cela m’inquiéta un peu, j’avais oublié le problème  Hitler !

Le 2 septembre mon amie Lucienne C., qui habitait à Créteil, vint me voir avec son oncle. Ils allaient dans le midi de la France, chez des parents :

— La Pologne est envahie par les troupes allemandes, nous allons avoir la guerre. Beaucoup de Parisiens s’en vont déjà …

Le lendemain, le 3 septembre, l’Angleterre et la France déclarèrent la guerre à l’Allemagne. Roger devait aller au Blanc, dans l’Indre, rejoindre  son régiment, le 78ème d’Infanterie. Un camarade qui avait reçu la même mutation, vint le chercher le 5 septembre. C’était l’heure de la sieste et les petits dormaient …

Quelques jours plus tard, je reçus une lettre de Roger me disant qu’il partait dans l’Aube avec son régiment. Ayant son permis moto, il avait été affecté au poste de messager de l’État Major. Il porterait les messages la nuit, sans éclairage.

Avant l’hiver, le 78ème s’installa à Forbach, tout près de la ligne Maginot. Il fit très froid cet hiver-là.

J’avais repris le travail de la ferme. Ce qui m’ennuyait beaucoup c’était la tristesse de ma petite fille qui cherchait son papa. Quand elle entendait le pas d’un cheval sur la route, elle courait vers la porte ou grimpait sur une chaise en disant :

— C’est papa !

Eh non … Je pris l’habitude de lui lire les lettres de Roger. J’écrivais le soir et lui racontais les progrès des enfants.

Un jour, je reçus une lettre me disant qu’après les manœuvres à Arcy-sur-Aube le 78ème était arrivé à Sarreguemines, tout près de la ligne Maginot, en face de la ligne Siegfried. Il m’annonça également qu’il n’aurait pas de permission avant fin janvier.

Il arriva une nuit de février … Quel moment fou de bonheur !

Ces dix jours de permission passèrent très vite. Nous arrivâmes trop tard à la gare, le train partait sous nos yeux. Nous avons passé cette journée comme deux pauvres gosses. Roger me dit qu’il ne savait pas ce qu’était une guerre comme ça, il trouvait que l’armée était mal équipée, sa moto était vieille, les habillements en mauvais état.

Le printemps 1940 fut beau ; Roger m’avait écrit qu’il aurait une permission début mai. Je lisais régulièrement le journal mais c’était toujours monotone, comme en attente d’une catastrophe …

Et soudain toutes les permissions furent supprimées, tous les mobilisés permissionnaires durent rejoindre leur régiment. Roger se trouvait alors à Massy-Palaiseau. Son régiment remonta dans la Somme en passant par l’Oise. Dans sa dernière lettre il me disait :

— Ça va bouger ! 

Mais c’était trop tard ! Le 16 mai, les Allemands avaient déjà attaqué le Danemark, la Hollande, la Belgique, avec une armada de chars stationnés derrière les Ardennes …

Puis ils passent en France, soutenus par les avions envahissant le ciel et par les chars envahissant les routes de France. En 45 jours notre armée est en déroute et la France est envahie aux deux tiers.

De début mai au 10 juin, des milliers de soldats furent faits prisonniers car ils n’avaient plus de commandements. Ce fut la HONTE pour la France et son armée, ses armées … Et c’était la panique chez les réfugiés qui quittaient leurs ville et village.

Je n’avais plus d’adresse où écrire, ni de nouvelles. Nous ne savions rien de ce qui se passait exactement.

Le 5 et 6 juin, des raids d’avions allemands vinrent pilonner le camp d’aviation de Parçay-Meslay, puis les jours suivants ce furent les gares de Saint-Pierre-des-Corps et de Tours.

Pendant ce temps, le journal La Dépêche nous racontait que nos armées repoussaient l’ennemi ! Il n’y eut bientôt plus de journaux …

Le gouvernement déménageait les archives, certaines arrivèrent même au château de Luynes.

La rumeur disait qu’il fallait partir, tout laisser. Mon beau-père était pour, mais moi, non ! 

Ce vent de panique atteignit aussi ma propre famille ; Mon grand-père paternel, mobilisé, avait conseillé à ma grand-mère de fermer le café et de fuir vers le sud. Elle partit donc en catastrophe, emmenant avec elle mon père et un petit copain de ce dernier. Ils trouvèrent une place dans un wagon de marchandises qui les emmena jusqu’à … Bayonne !

Quant à mes grands-parents maternels, ils se réfugièrent à Pont-de-Ruan, près de Tours. Là, les hommes avaient fait une barricade avec quelques charrettes, histoire d’arrêter le rouleau compresseur allemand. 

À suivre   

 

  

jeudi, 19 décembre 2013

224. Les petits travaux disparus, épilogue.


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Avec ma sœur, je repris le chemin du « Petit Verger », lieu où habitait notre frère. Nous allâmes souvent faire des petites visites à Madeleine. Un beau jour j’appris qu’elle allait avoir un bébé en octobre. Quelle émotion, quelle joie !

J’étais toute rêveuse … Je connaissais le mystère, je savais qu’il fallait un père, que la mère se prépare, qu’il fallait un certain temps pour que tout se trouve à point et qu’ensuite elle avait son petit. J’avais fait le rapprochement avec les animaux, c’était tellement naturel et évident que je ne m’étais pas tourmentée à ce sujet. J’allais donc devenir tante, ma sœur aussi, et maman se réjouissait à l’idée d’être bientôt grand-mère.

Ce doit être à cette époque que les électriciens commencèrent à installer des poteaux avec des fils sur le bord des routes et dans les champs ; Nous trouvions que ce n’était vraiment pas beau !

Et pourtant, cela ne faisait que commencer. Toute une équipe d’électriciens vinrent installer les fils et les lampes à la ferme. Quelle différence de lumière ! Tout était clair et il n’y avait qu’à appuyer sur un bouton.

Maman parla d’acheter un fer à repasser que l’on brancherait ; un des électriciens avait fait valoir cette commodité. Maman rangea les lampes à pétrole et les chiffons dans un coin et l’on s’habitua vite, très vite …

Elle avait eu beaucoup de travail avec ma maladie, elle en avait fait des tours dans ma chambre avec toujours la cour à traverser. Elle n’avait pas pu aider à faire les tas de gerbes au moment des moissons ; Elle était fatiguée et avait un tas de soucis.

Elle avait donc pris un homme de journée, le père Henri, qui avait trois filles d’environ mon âge. Il aida Roger et Aimé à faire les moissons chez nous et au Petit Verger. C’était un homme sérieux et consciencieux. Il vint pendant des années chez nous et m’apprit à travailler.

Les vendanges se firent et Mimi reprit le chemin de l’école ; elle était devenue beaucoup moins craintive et se mettait bien à ses études. Moi, j’avais beaucoup de chagrin de ne plus aller à l’école …

Je faisais apporter des livres de bibliothèque par ma sœur et je lisais en cachette car maman ne voulait pas me voir inoccupée. Je me dépêchais de faire ce qu’elle me disait puis je lisais un peu.  J’avais trois livres en route : un dans le cellier, un dans la laiterie et un autre dans ma chambre, bien cachés. Personne n’a jamais trouvé mes livres ! C’était pour moi une sorte de liberté !

Et ce fut la naissance tant attendue. Le 14 octobre 1931 ma première nièce vint au monde au Petit Verger. À cette époque les naissances avaient lieu dans la maison familiale. Nous allâmes voir Madeleine et son bébé quelques jours plus tard. Nous étions muettes d’émotion : un bébé dans une famille, quoi de plus beau ?

J’en fis des visites à cette petite Rolande, maman ne savait pas toujours que j’étais partie, je faisais vite, je courais bien à l’époque !

 

Voilà donc ce que fut mon enfance, nous vivions avec la nature qui commande tout et que les hommes ne savent pas beaucoup écouter. J’ai écrit l’histoire de ma jeunesse pour ceux que j’aime, pour mes petits-enfants, afin qu’ils respectent toujours tout ce qui touche à la nature que j’aimais déjà toute petite. J’ai été heureuse dans ma famille, en toute simplicité, sans le confort, mais ne manquant de rien, élevée avec le sentiment de participer à la vie de la ferme, de la maison. Cette participation est importante pour un enfant, c’est une préparation à la vie …

Pendant des années je rêvai de ma chère Barbinière et il y avait toujours papa. Puis, un jour, j’en suis partie pour venir vivre à Champroux que je me suis mise à aimer ! Mais c’est une autre histoire …

 

FIN  

Je referme le cahier toute songeuse. Yvonne m'avait donné ce texte en 1978. À cette époque j'avais trente ans et j'étais bien trop occupée par mon travail, ma vie de couple et l'éducation de ma fille pour trouver le temps de lire ces souvenirs. Et puis, il y a quelques semaines en faisant un peu de rangement, j'ai retrouvé ce document. Je l'ai donc découvert en même temps que vous , au fil des pages ...

Aujourd'hui, je ne vois plus les choses de la même façon. Ma vie professionnelle est achevée, ma fille n'a plus besoin de moi depuis longtemps . J'en suis maintenant à l'heure du bilan. J'ai la certitude que le temps passé chez cette femme m'a profondément marquée à jamais. Grâce à elle, j'ai appris à regarder la nature et à l'aimer ; J'ai aussi appris qu'il faut des fois peu de choses pour être heureux ; que l'argent, s'il est nécessaire pour vivre, n'en est pas pour autant  source de bonheur. Être ou avoir ? La question ne se pose même pas ! 

Hier, j'avais rendez-vous avec Jacques, le fils d'Yvonne. Je ne l'avais pas revu depuis 1963 ... Autant dire qu'on ne risquait pas de se reconnaître ! Il a hérité de la douceur de sa mère. Il m'a confié la suite des écrits d'Yvonne, période 1934-1945. 

Sans doute, vous confierai-je quelques extraits ultérieurement. Mais avant, je vous propose de lire (ou relire peut-être) une nouvelle que j'ai écrite il y a quelques années et qui retrace mes vacances chez "tante" Yvonne, comme je l'appelai. Il s'agit de La mauvaise étoile, vous comprendrez mieux le titre à la fin de cette nouvelle !   

" Il n’a jamais demandé à venir au monde Jean-Elie. Mais voilà, il a fallu qu’un homme et une femme se rencontrent, un jour, qu’ils aient envie l’un de l’autre et toc…notre petit bonhomme est arrivé. Seulement personne n’était là pour l’accueillir. Les autres, pour des raisons qu’il ne connaîtra jamais, ne voulurent pas de lui.

Alors il se retrouva placé dans des foyers, de ci, de là, au gré des places et des humeurs des assistantes sociales. Le temps passa doucement, semant son lit de tristesse dans le cœur de cet enfant petit et malingre.

Un jour, il fut décidé qu’il irait vivre à la campagne. Il n’était pas associable et cela libérerait une place pour un autre enfant en attente.

C’est ainsi qu’à la veille de la rentrée des classes de mille neuf cent cinquante huit, Jean Elie fit la connaissance de son futur lieu de vie.

Construite sur le plateau, cette petite ferme toute en longueur était exposée plein sud face à la Loire, bien plus loin en contrebas. Tout autour il n’y avait que des champs, pas d’arbres pour se protéger du soleil ou du vent. Elle aurait pu s’appeler «  Les hauts de Hurlevent », mais elle portait un nom plus poétique, «  Champroux ».

Les propriétaires de ce lieu étaient deux paysans, Yvonne et son mari Roger. Ils avaient une cinquantaine d’années et vivotaient des ressources assez maigres de leur exploitation. La mère de Roger habitait une petite maison toute décrépie située un peu plus loin. Elle y vivait, indépendante, ne s’occupant que des lapins de la ferme pour lesquels, chaque jour avec sa faucille, elle allait couper de l’herbe dans les prés voisins. Elle prenait également ses repas avec le couple.

Yvonne était mince, grande, un visage toujours souriant et un caractère à toute épreuve. Elle avait été une excellente élève à l’école primaire où elle avait obtenu sans aucune difficulté son certificat d’études.  Son institutrice aurait souhaité qu’elle puisse continuer ses études, mais à la campagne, c’est la terre qui compte avant tout et les deux bras d’Yvonne furent jugés indispensables pour les travaux des champs. Alors Yvonne s’est résignée, elle a épousé un gars du coin, un paysan comme elle et deux enfants sont nés de leur union. Tout d’abord Yolande, puis vint ensuite le petit Jacques. Tout aurait pu continuer ainsi, dans une relative douceur de vie, même si la vie de la campagne était dure en ces temps peu éloignés de nous.

Mais un beau jour Roger dut partir à la guerre…Il ne revint que cinq ans plus tard.

À suivre

mercredi, 18 décembre 2013

223.Les petits travaux disparus -17-


podcast

Un jour mon parrain et ma marraine vinrent avec la bicyclette neuve, rutilante, de couleur bleue et de marque Peugeot. Quelle joie ! Toute fière je montai aussitôt dessus pour faire des tours dans la cour. Maman n’en revenait pas !

Je garai mon vélo dans ma chambre au pied de mon lit … Maman n’était pas d’accord mais je tins bon ; Je ne voulais pas qu’il attrape la poussière.

Ma première visite fut pour Grand-père et Grand-mère ; Je partis par un chaud après-midi. Au bout de l’allée il y avait un virage bref pour prendre la route. Je le ratai … Et ce furent les orties qui me reçurent ! J’avais les bras et les jambes qui me dévoraient. Je revins en pleurs à la maison et maman me frictionna avec du vinaigre. Je repartis bientôt, en faisant attention cette fois-ci. Je me sentais heureuse de pédaler sur la route, mais à cette époque les routes n’étaient pas goudronnées, il y avait des pierres et il était donc facile de tomber.  J’arrivai aux Doguins, mes grands-parents étaient heureux de ma joie et me firent des recommandations de prudence. Je pensai alors à papa, j’aurais voulu qu’il sache …

Combien de fois je pleurais, seule, surtout jamais devant maman. Elle avait assez de sa peine, elle n’avait pas besoin de la mienne en plus.

Malheureusement ce grand chagrin de perdre un être cher, proche, je devais le revivre plusieurs fois dans ma vie. Que les choses de la vie, c'est-à-dire des petits ennuis, ont peu d’importance à côté de la  mort qui, elle, est irrémédiable.

Il faut aimer ceux qui restent pour s’en sortir.

Les premiers jours des vacances coïncidaient toujours avec les moissons. Nous nous réjouissions, ma sœur et moi, d’être ensemble, j’avais encore très envie de jouer à la balle, au palet, faire un peu de gymnastique apprise à l’école.

Roger allait souvent le matin faucher de la luzerne pour les vaches. J’allais avec lui, je ratissais les petits rangs de luzerne pour en faire des tas qu’il mettait ensuite avec sa fourche dans le tombereau. Quand le chargement était fait, je grimpais sur l’herbe, lui aussi, et nous revenions tous les deux sur le tombereau de luzerne. J’étais moins timide, je bavardais, mais lui n’était pas très causeur … Que dire à une gamine de treize ans ?

Ce jour-là, Aimé était venu pour aider Roger à aller chercher la faucheuse-lieuse remisée dans une cave à Vaugareau pour la préparer en vue des moissons. Il fallait la graisser soigneusement, monter les toiles, affûter les scies. Maman nous donna la permission d’accompagner les hommes et les chevaux à Vaugareau. Il faisait très beau,  pourtant je ne me sentais pas en forme comme à l’habitude … En revenant derrière la lieuse, je me sentais très lasse et j’avais très mal à la tête. Je dus m’asseoir plusieurs fois au bord de la route, mais pourtant je ne pouvais pas rester là. Mimi avait l’air inquiet. En arrivant chez nous, alors que les hommes étaient déjà en train de préparer la lieuse, les mains pleines de cambouis, Mimi courut chercher maman en s’écriant :

— Yvonne est malade !

J’allai vite au lit, maman mit sa main sur mon front brûlant –nous n’avions pas de thermomètre-  et dit que j’avais beaucoup de fièvre, que j’aurais sûrement la rougeole, Mimi l’ayant eue quelques semaines auparavant. Puis elle envoya chercher le docteur Boisdron.

Il me dit de rester au lit très sagement sans prendre froid.

Je restai donc au lit avec la fièvre qui ne me lâchait pas. Je dormis beaucoup et je perdis la notion du temps. Le docteur revint plusieurs fois … J’avais toujours soif et ne mangeais presque rien. Un jour, j’entendis le docteur dire à maman qu’il faudrait me mettre en observation à l’hôpital car il ne savait pas ce que je couvais : soit la rougeole, soit la scarlatine, soit la diphtérie … Maman était bien ennuyée.

Je rêvais beaucoup que je discutais avec la mort qui m’avait pris papa mais qui ne me prendrait pas, que j’étais trop jeune.

À cette époque il n’y avait pas encore d’antibiotiques, ni de pénicilline, ni d’assurances sociales. La pharmacie était chez le docteur, sa femme s’en occupait.

Et puis, un matin, après avoir ouvert les volets, maman s’écria en me regardant :

— Mais, tu as la rougeole !

Effectivement j’eus une belle rougeole. Quelques jours plus tard je me sentai beaucoup mieux et voulus me lever, mais j’étais encore très faible. J’allai à la fenêtre ; Au-dehors, il y avait du soleil, c’était l’été.

Ma bicyclette était là, au pied de mon lit, et je me demandais si je saurais encore en faire. Rien que d’y penser me donnait le vertige !

Et puis le mal à la tête revint, maman s’inquiéta à nouveau et … J’eus les oreillons !     

Le docteur revint et je dus rester encore au lit. Je me tourmentais car je savais que ma maladie coutait cher à maman.

J’étais restée au lit un mois, je n’en revenais pas. Bientôt je pus me lever dans ma chambre pour prendre l’air, appuyée à la porte basse et un jour je sortis pour aller déjeuner avec tout le monde dans la cuisine. J’étais si heureuse ! Mais je ne me reconnaissais pas : j’avais beaucoup maigri, grandi, je me sentais maladroite, ce n’était plus vraiment moi.

Les bauges étaient faites, les poussins étaient devenus des poulets et mon chien pleurait de joie, il ne me quittait plus.

Je repris assez vite mes forces et mes jeux avec ma sœur qui avait maintenant huit ans.

À suivre  

 

   

mardi, 17 décembre 2013

222. Les petits travaux disparus -16-


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Je repartis à Vallières. J’appris à raccommoder des chaussettes et des bas gris ou noirs, c’était d’un triste ! J’appris aussi à monter un poignet.

Le soir après dîner ma marraine voulait encore me faire coudre. Heureusement mon parrain se mit de mon côté car je voulais lire des prix d’école qui étaient sur une étagère.

Ils me parlèrent de la bicyclette qu’ils avaient commandée. Pour moi c’était une grande joie mais aussi un tracas car je ne savais aller en bicyclette ! Chez nous il n’y avait que des vélos d’hommes. Maman n’avait jamais appris.

Je pensai alors que je demanderais à Madeleine de me prêter le sien pour que je puisse apprendre. À l’époque peu d’enfants savaient aller en bicyclette, c’était toujours un problème pour apprendre.

Ce mois de janvier 1931 fut froid et il y eut une épidémie de grippe qui provoqua plusieurs décès. Fin janvier je reçus une lettre de maman qui me disait que papa avait eu la grippe, compliquée d’une congestion pulmonaire, et qu’il fallait que je revienne à la maison. Je fus épouvantée, bouleversée car je savais que c’était très grave. Mon parrain essaya de me rassurer, mais rien n’y fit et je partis immédiatement prendre le tramway, traverser Luynes. J’arrivai chez nous et allai directement dans la chambre voir papa. Je restai alors clouée auprès de la porte : il était méconnaissable, ravagé par la fièvre. J’ai tout de suite compris qu’il allait mourir. Il me fit un petit signe ; J’approchai et l’embrassai en tremblant. Maman arriva et me dit d’aller voir Raymond qui était venu voir papa et qui était malade également. Il avait un phlegmon dans la gorge. Je courus à la cuisine retrouver mon frère et là je me mis à pleurer avec lui. Papa mourut dans la nuit.

Je ne vous parlerai pas de mon chagrin d’enfant, c’est inexplicable. Il faut se mettre à genoux devant le chagrin d’un enfant qui ne sait pas s’exprimer, qui a la pudeur de ses sentiments  mais qui est désespéré, qui est enfermé avec sa douleur mais qui continue à vivre le moment présent. Les grandes personnes ne sont plus les mêmes, elles sont tristes, elles pleurent, elles ont des soucis ; Il faut alors se faire tout petit … C’est ce que j’essayais de faire. Ma sœur était si jeune ; Je la faisais jouer en silence.

Notre vie familiale était bouleversée. Mon frère Aimé devait s’occuper de sa ferme, mon frère cadet devait partir au régiment en avril. Maman se retrouvait seule avec nous deux, les petites, et cousine Marie. Qui allait soigner et travailler avec les chevaux ? Qui allait pouvoir s’occuper des gros travaux ?

Il fallut un conseil de famille pour nous donner un tuteur, la loi était ainsi à l’époque. Ce fut notre oncle et notre frère aîné.

Ma petite sœur reprit le chemin de l’école mais moi je ne retournai pas  à Vallières car je voulais aider maman.

Grand-père venait souvent voir maman. Il était très tourmenté, lui qui avait habité la Barbinière où maman était née et avait pris sa succession lorsqu’elle s’était mariée avec papa. Il chercha une solution : il fallait trouver quelqu’un pour un an, le temps que Raymond fasse son service militaire.

Après bien des conversations, ils pensèrent à un copain de Raymond qui avait un an de moins que lui. C’est Grand-père qui fit la démarche et ce projet fut accepté.

C’est ainsi que Roger vint chez nous pendant un an. Le soir de son arrivée, j’étais loin de penser que ce grand jeune homme brun qui nous intimidait, ma sœur et moi, deviendrait un jour mon mari …

Roger s’occupa donc des chevaux, Cocotte et Mouton. Aimé emmena chez lui Papillon, le poulain qu’il avait dressé mais qui restait toujours très difficile.

Pour aider maman, je voulus apprendre à traire. Maman me dit d’essayer sur Drôlette, une vache douce, et elle m’expliqua comment faire, mais ce n’est pas facile, il faut attraper le coup de main ! Il faut serrer les trayons avec le bout des doigts tout en faisant pression avec la paume de la main. Ce fut seulement au bout de trois jours que j’y arrivai convenablement mais j’avais mal aux poignets !

Puis je me mis à lâcher les vaches dans le pré, à les faire rentrer à l’étable puis à les attacher. J’avais un peu peur, elles redressaient parfois la tête avec de grands mouvements brusques pour chasser les mouches. Je m’aperçus alors qu’en tripotant les vaches, je sentais « la vache » ; ça me déplaisait et pourtant … Je n’avais pas fini puisque je fis ce travail pendant quarante trois ans ! C’est une servitude aussi tenace que celle de se mettre à table trois fois par jour.

Raymond venait quelques fois en permission. Il était soldat à Angers, au 6ème génie. Il nous racontait des histoires de chambrées, le travail pour faire des ponts de bateaux sur la Maine. Il discutait aussi avec Roger. La vie devenait alors plus gaie.

Je pris l’habitude d’aller souvent chez Aimé et Madeleine, ma jeune belle-sœur âgée de vingt ans. Elle était toujours accueillante, très soignée malgré son travail. Je crois qu’elle me fut d’un grand réconfort. J’avais perdu papa, personne ne pouvait le remplacer et mon cœur en était bloqué, mais j’avais trouvé une grande sœur que j’ai encore et au fil des années ce sentiment ne s’est jamais atténué.  

J’essayai d’apprendre à tenir l’équilibre sur sa bicyclette : quelle joie lorsque j’y arrivai enfin ! Je m’entends encore crier :

— Madelon, ça y est, je sais aller à bicyclette !

 

À suivre

dimanche, 15 décembre 2013

221. Les petits travaux disparus -15-


podcast

Petit rappel :en 1978, Yvonne, une fermière de Luynes chez laquelle j'allais en vacances étant enfant, décida d'écrire ses souvenirs d'enfance dans un petit recueil qu'elle intitula "Les petits travaux disparus". L'histoire se déroule entre 1923 et 1931. 

Le jour du mariage arriva. Maman mit son bonnet de Tourangelle, comme elle avait un visage fin et bon ! Ce n’était pourtant déjà plus la mode, mais pour toutes les cérémonies de mariage de ses enfants et petits enfants elle se coiffa de son bonnet.

Papa mit son chapeau haut de forme, mes frères étaient très beaux.

Il y eut une belle cérémonie à la mairie et à l’église suivie de la séance photo et du repas avec toute la famille accompagné de chansons de tous genres. Nous étions éblouis par cousin Émile qui chantait gaiement et mettait tant d’entrain. Après le dessert ce fut le bal, c’était amusant pour nous d’essayer de danser avec tous les cousins et les cousines. Il me semble que nous sommes rentrés durant la nuit ; Papa avait mis une lanterne à la carriole et nous avions très envie de dormir.

Mon frère et sa jeune femme s’installèrent dans une ferme située à environ sept-cents mètres de chez nous. J’espérais aller les voir souvent.

Il me semble que c’est à cette époque que cousine Marie, qui se trouvait seule,  vint chez nous. Elle était plus âgée que maman mais restait très active.

Puisque Marie était là, mes parents décidèrent alors que j’irais apprendre à coudre chez Augustine, ma marraine. J’avais le cœur gros de ne plus aller à l’école …

Ma sœur avait repris le chemin de l’école toute seule mais elle était toujours assez craintive.

Ça m’ennuyait de m’en aller de chez nous. Mon parrain et ma marraine n’avaient pas d’enfants, ils habitaient Vallières. Ils m’avaient promis une bicyclette neuve pour mon certificat.

Les quinze premiers jours, je m’ennuyai beaucoup ; Ma marraine allait coudre en journée chez les cultivateurs des environs pour raccommoder et faire des chemises d’hommes et elle m’emmenait. Je devais être assise à côté d’elle et bâtir, coudre, faire de beaux petits points sans parler ni regarder par la fenêtre. C’était très dur pour moi qui avais l’habitude d’aller et venir à ma guise. Je pensais à la Barbinière, à ma famille, à mon chien qui devait me chercher … Finalement je m’habituai, je regardai le côté amusant d’aller chez les gens. Ce n’étaient jamais les mêmes.

Mon parrain était très gentil ; Le soir il me faisait raconter ma journée et il riait de mes réflexions. Je revenais tous les quinze jours à la maison par le tramway que je prenais à Vallières. Ensuite je traversais Luynes à pied pour monter jusqu’à chez nous. C’était une vraie fête de revenir à la maison, de retrouver mes parents et ma sœur qui ne me quittait pas … Mais le soir je devais repartir et je pleurais en allant reprendre le tramway.

Enfin je jour de l’An arriva et je pus rester quelques jours à la maison.

Tous les ans, le premier janvier, nous allions déjeuner chez Grand-père et Grand-mère G, les parents de maman qui habitaient aux Doguins. Ma sœur et moi partions assez tôt, mes parents arrivaient ensuite à pied car il faisait trop froid en carriole et mes frères venaient à vélo. 

Il nous fallait passer devant une ferme où il y avait des chiens à l’air féroce qui se jetaient sur le portail en nous montrant les crocs !

Nous arrivions chez nos grands-parents en leur souhaitant la Bonne Année, mais Grand-mère nous envoyait aussi chez les voisins. Nous détestions ça, ces vieilles femmes que nous trouvions curieuses, qui nous questionnaient sans cesse et c’est toujours moi qui devais répondre. Mais je répondais ce qui me plaisait ! Heureusement, nous ne restions pas longtemps et quel soulagement quand la corvée était faite … Nous retrouvions alors Grand-père qui était en train de chauffer un drôle de fourneau. Je ne sais comment il faisait, mais il arrivait à faire cuire dans le four un gigot de mouton qui était toujours un délice. Grand-mère préparait des pruneaux cuits au vin et saupoudrés de sucre. Elle était toujours très coquette, Grand-mère ; elle portait un bonnet gaufré et elle était fraîche là-dessous.

Grand-mère mettait la nappe blanche et les couverts, elle ne voulait surtout pas que nous touchions à quelque chose ! Enfin la famille arrivait et nous nous mettions à table joyeusement. Grand-père adorait nous faire parler et réciter des poèmes au dessert. Puis il nous donnait nos étrennes : un billet rose c’était cinq francs et un billet bleu c’était dix francs à l’époque. Grand-mère nous donnait aussi un billet, en cachette de Grand-père.

 

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Pour mon certificat, j’eus un billet rose et un billet bleu. Mon autre grand-mère m’avait donné un collier en or.

Nous repartions avec papa et maman tandis que mes frères allaient au bal. Cette année-là Madeleine était venue avec nous. Ce  jour de l’An 1931 fut le dernier heureux de mon enfance …

À suivre