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vendredi, 13 décembre 2013

219. Les petits travaux disparus -14-


podcast

Il y eut l’étude le soir à l’école pour préparer notre certificat, puis des cours de gymnastique, c’était nouveau. En effet, le jour de l’examen, nous devions courir, sauter, marcher accroupies en canard. Nous nous sommes bien amusées à ces cours.

À la sortie de l’étude, je me dépêchais pour retrouver mes camarades et ma sœur qui jouaient dans le chemin du Clos Taku en m’attendant. Nous nous amusions encore un peu puis rentrions tous ensemble en discutant. Quel bon souvenir !

Le jour du certificat arrriva, il faisait très chaud déjà tôt le matin et je partis à pied rejoindre mes camarades, les instituteurs et les garçons. Nous avions tous rendez-vous à la gare pour prendre le tramway ; C’était toujours très amusant d’aller en tramway !

Je me revois avec ma petite robe bleue pied de poule blanche.

Nous fûmes installés dans je ne sais quelle école, tous séparés. Il y eut un orage sur Tours mais ça ne me gêna pas. Puis ce fut l’appel des reçus … Et j’entendis mon nom. Quelle joie !

Hélas, Lulu n’était pas reçue et je pleurai alors avec elle. Tous les garçons furent reçus.

Nous revînmes le  soir par le tramway, nous étions très excités. Je repris alors le chemin de la Barbinière, la joie au cœur, quand j’aperçus, en haut de la côte,  papa qui se promenait avec sa canne (il avait une crise de sciatique).

Je lui criai de loin : Je suis reçue !, en agitant les mains et courus à lui. Il me serra alors dans ses bras et m’embrassa. Il avait les larmes aux yeux …

Très vite je le laissai pour aller annoncer la bonne nouvelle à maman, ma sœur, mon frère, même à Coco. C’est que je n’avais pas encore mes douze ans !

Le jour du 14 juillet nous préparâmes la fête des prix. Chants, jeux, danses et distribution des prix où chaque élève est appelé. Les premiers avaient une couronne de lauriers posée sur la tête par un conseiller municipal. C’est papa qui me couronna.

Puis ce fut les vacances et les moissons !

Il fut alors question du mariage d’Aimé et de Madeleine pour septembre. Maman parla de nous faire faire des robes pour la noce.

Papa voulait prendre de l’avance dans les moissons pour avoir le temps de s’occuper du mariage. La faucheuse-lieuse fut préparée et mise en route. Il fallait ensuite entasser les gerbes éparpillées sur les chaumes. J’aidai alors papa, maman et mon frère à entasser ces gerbes pour faire des rangs de tas de seize gerbes : une croix de quatre gerbes –épis sur épis- et haute de quatre gerbes croisées plus une autre posée pour faire le chapeau (comme une sorte de toit) afin que l’eau ne pénètre pas et conserver les épis au sec.

Ce travail était pénible, il fallait marcher dans les chaumes, se baisser, prendre les gerbes, les placer et recommencer souvent, tout ça par une grande chaleur. Maman était très exigeante, un tas bien fait ne devait pas bouger.

Beaucoup plus tard, moi aussi j’appris à mes enfants à faire ces tas.

Quelques jours après, nous faisions « les bauges » c'est-à-dire le va-et-vient des charrettes allant recueillir ces belles rangées de tas dans les champs de blé, d’orge et d’avoine pour ensuite les entasser dans la cour de la ferme.

C’est papa qui faisait les bauges : il fallait que le tas soit bien d’aplomb, bien serrer les rangs un peu en pente et bomber au milieu afin que l’eau ne rentre pas en cas de pluie. Le dessus de la bauge devait être en forme de toit sinon c’était la catastrophe. Une bauge ratée devenait humide à l’intérieur, sentait le moisi, bourrait la batteuse.

Papa réussissait toujours ses bauges ; Je le vois encore, une fois descendu de sur le toit, en faire le tour, reculant, revenant, tapotant des gerbes ou les tirant un peu. Quel soulagement quand les bauges étaient terminées et réussies, bien d’aplomb au bout de la cour, sur le pâtis ! Cela représentait la récolte d’un an de travail …

Cette récolte est toujours problématique : va-t-on réussir les ensemencements, le ramassage ? Le temps va-t-il être favorable ? C’est toujours une attente, jamais une certitude. C’est pourquoi les paysans sont tenaces, équilibrés, ont une certaine sagesse. Ils savent que la nature impose une leçon continuelle. Une erreur, une négligence et une récolte est fichue !

Avec les animaux c’est la même chose, il faut être très attentif et vigilant. Quelqu’un qui n’a jamais fait ce travail de la terre, qui n’a pas dépendu d’une récolte pour avoir de l’argent, ne peut pas comprendre. C’est sans doute pourquoi les gens de la campagne se sentent si souvent incompris.

Les moissons terminées et les bauges faites, nous sommes allés chez Madeleine faire plus ample connaissance. Il se trouvait qu’elle était une petite cousine de maman. Je me sentis tout de suite ne confiance avec elle, ma petite sœur aussi. Nous la considérâmes très vite comme une nouvelle grande sœur.

Nous allâmes aussi à Parçay-Meslay, mais Grand-père était décédé. Il n’y avait plus que Grand-mère à la Guillonnière. Pauvre Grand-père ! Lui qui avait tant travaillé à cette maison presque neuve, qui avait entrepris tout seul tant de choses, dont son puits. Maintenant c’est un de ses arrières-petits-fils, Daniel, qui y habite avec sa famille. La ferme où habitaient mon oncle, ma tante et mes cousines et où nous allions à travers champs par une rote longue de trois-cents mètres, est maintenant séparée par une autoroute. Les lieux changent, se transforment …  

Après avoir envoyé les invitations pour le mariage, il fallut se préparer. La couturière nous montra des catalogues pour choisir la façon de nos robes. Maman avait acheté un coupon de tissu en toile de soie rose, mais j’aurais préféré avoir une robe bleue. Je trouvais que le rose était bien pour Mimi mais pas pour moi. La façon choisie par Francine, la couturière, ne me plaisait pas non plus ; J’ergotais donc mais elles me dirent que je serais très bien et finalement j’eus une robe rose pareille que celle de ma petite sœur ! 

 

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À cette époque les enfants ne choisissaient pas, on ne les consultait pas non plus … Et pourtant ils avaient leur petite idée.

Le jour du mariage arriva enfin …

 

À suivre

jeudi, 12 décembre 2013

218. Les petits travaux disparus -13-


podcast

À l’école, Lulu et moi étions devenues inséparables. Nous étions avec quatre grandes qui redoublaient car la maîtresse faisait toujours faire deux ans à la première division. Nous n’étions donc pas très sûres de nous ! C’était la division du certificat et la maîtresse était exigeante.

Au fil des semaines du cahier de roulement et des compositions, je me retrouvai 2ème, puis 1ère, ce qui me rendit de l’assurance, mais j’avais envie de m’amuser. Avec Lulu nous avions des fous-rires incontrôlables et Madame Vallet nous sépara car elle voulait nous présenter avec les grandes pour passer l’examen du certificat. Ce qui m’avantageait, c’était les problèmes que j’aimais beaucoup résoudre ; Je m’exerçais à la maison.

Un samedi soir –c’était le 30 août 1930- il y eut un orage terrible qui dura plusieurs heures. Heureusement nous n’en avons jamais revu de pareil à Luynes.

Cela commença après la récréation de 16h , nous avions entendu le tonnerre dans le lointain sans trop y faire attention. Une fois en classe, le ciel s’assombrit comme s’il voulait faire nuit et le tonnerre devint plus fort … La maîtresse sortit, alla voir les autres maîtresses et elles décidèrent de nous faire partir avant l’heure en nous recommandant de nous dépêcher de rentrer chez nous. Nous partîmes en marchant rapidement, je tenais ma sœur par la main. Les gens regardaient le ciel avec inquiétude.

En arrivant en haut de la rue sourde, au bout du chemin appelé « Clos Taku » (où se trouve la piscine actuellement) nous vîmes mieux le ciel et là je fus effrayée : au nord-est c’était couleur d’encre avec des éclairs zigzagant sans arrêt et toujours ce roulement de tonnerre qui se rapprochait lentement. Il y avait des traces jaunes, il faisait déjà sombre. Mimi, qui n’avait que six ans et demi avait peur et se mit à pleurer … La maison me paraissait bien loin, mais je n’avais qu’une idée en tête : ramener ma sœur à maman.

Pour rassurer Mimi, je lui dis que maman allait sûrement venir à notre rencontre et qu’il fallait courir. Elle tremblait mais elle courut avec moi tant bien que mal. La peur nous coupait les jambes …

Je me revois encore arrivant dans la cour ; Maman était en train de rentrer les vaches affolées qui, sitôt rentrées, ressortaient comme des folles, énervées par l’orage. Enfin maman réussit à les attacher et ferma la porte de l’étable. Elle était soulagée de nous voir arrivées et nous rentrâmes toutes les trois dans la cuisine. Il faisait de plus en plus sombre et le tonnerre se rapprochait. Maman nous expliqua que ce serait une mauvaise nuée car le vent qui s’élevait était contre cette nuée qui montait lentement mais sûrement. Puis elle ferma les volets à cause des éclairs qui effrayaient Mimi et alluma la lampe …

Le déluge ne commença pas tout de suite, le roulement du tonnerre devint peu à peu infernal et tout à coup le vent et la pluie se déchaînèrent, la maison en tremblait.

Tout à coup je me demandai où étaient nos camarades ; J’ai su par la suite que beaucoup étaient restés dans Luynes.

Maman se tourmentait pour Grand-père qui était reparti un peu avant notre retour, sachant que Grand-mère avait peur de l’orage. Je ne savais pas où étaient papa et mon frère, mais maman n’avait pas l’air inquiet à leur sujet. D’ailleurs ils vinrent nous rejoindre peu après.

L’eau, le vent et l’orage faisaient un bruit infernal, c’était vraiment impressionnant. Je me dis qu’il fallait que je m’occupe pour ne plus avoir peur. Le matin à l’école nous avions appris les densités et la maîtresse nous avait donné deux problèmes à faire. Je m’installai donc sur la table, sous la lampe qui tremblotait, mon Coco peureux et tremblant couché sur mes pieds, et je résolus les deux problèmes.

Il y eut des dégâts considérables dans Luynes : de grands trous dans les rues où l’eau avait déferlé, des murs éboulés, des toits percés et de l’eau partout dans les champs. Les hommes disaient que ça demanderait du temps avant de mettre le pied dans les terres.

Cette mauvaise nuée alimenta les conversations pendant des années.

Un jeudi Madame Vallet vint nous rendre visite après le déjeuner. Quelle surprise ! Je me demandai bien pourquoi car tout allait bien à l’école. Mes parents la firent entrer et nous envoyèrent jouer dehors.  Mais j’étais intriguée, dévorée de curiosité : c’était ma maîtresse et il devait donc bien s’agir de moi !

Tant pis, à grands pas silencieux j’allai écouter à la porte (je revois encore l’air outré de Mimi !) et j’entendis qu’elle voulait m’inscrire pour l’examen des bourses que je réussirai, qu’elle s’occuperait de moi, que je pourrais faire une bonne institutrice …

Elle dit :

— Monsieur R, vous êtes fermier avec quatre enfants, vous n’aurez rien à payer.

J’en étais bouche-bée, toute contente, mon cœur battait !

Mais, après un silence, papa éleva la voix et dit :

— Je ne ferai pas de différences entre mes enfants ; Ses frères sont à la terre, elle aidera sa mère. J’espère qu’elle aura son certificat d’études, ensuite elle restera avec nous.  

Maman ne disait rien. Je n’écoutais plus car je savais que papa ne reviendrait pas sur sa décision … J’eus un énorme pincement au cœur, j’avais conscience que j’étais prête à apprendre … que j’aimais les enfants … que … Enfin !

Un moment après Madame Vallet s’en alla. Je voyais bien qu’elle était contrariée, maman avait l’air songeur et papa parti travailler sans rien dire.

En fin de soirée je demandai à maman ce que ma maîtresse était venue faire et elle me rapporta ce que j’avais déjà entendu, à savoir que papa ne voulait pas faire de différences entre nous, que Madame Vallet le savait et qu’elle n’aurait pas dû revenir pour insister.

Un jour la maîtresse nous fit faire ce fameux examen pour les bourses qui avait lieu à Tours. J’aurais été admise. Elle fit une lettre que je devais remettre à papa. Il eut l’air tout contrarié en la lisant et ce fut tout !

Après cet évènement, mes jeux changèrent, j’étais toujours maîtresse d’école et Mimi dut faire des pages d’écriture, de chiffres. Je crois avoir été très embêtante avec elle à cette époque.

Je pensai alors que ça ne serait pas mal non plus d’être fermière. J’aimais tant notre Barbinière. Maman était la patronne dans sa ferme et moi aussi je serai patronne dans ma ferme.

Trente ans plus tard, quand j’ai connu Yvonne, ce pincement au cœur qu’elle avait ressenti ce jour-là avait fait place à d’énormes regrets. À coup sûr, elle eût été une excellente institutrice. Mais bon, la vie en a voulu autrement … Certes, elle fut patronne dans sa ferme, mais elle ne sut jamais ce qu’est le repos.

Doit-on blâmer pour autant ce père ? J’avoue ne pas savoir …

 Ce cas était très fréquent à cette époque.

À suivre 

mercredi, 11 décembre 2013

217. Les petits travaux disparus -12-

Tout commença à changer lorsqu’on parla d’installer l’électricité dans les campagnes. Que de commentaires là-dessus … Et d’espoir aussi. On en ferait des choses avec l’électricité !

Jusqu’à maintenant, il fallait tout faire tourner à la manivelle, à la force des bras : coupe-racines, coupe-paille, concasseur. Je vois encore mes frères concasser de l’avoine, de l’orge, pour faire la farine des chevaux et des vaches. Moi aussi j’ai tourné la manivelle, c’était dur.

Tous les printemps c’était la naissance des chevaux, des petits de nos chiens. Nous en étions folles de tendresse ; Quoi de plus adorable, de plus gracieux que ces petits cabris. Pourtant un jour il fallait s’en séparer et c’était toujours un gros chagrin …

Mes parents allaient au marché à Tours tous les samedis en carriole tirée par Cocotte. Ils portaient des lapins, des légumes, et les petits biquets.

Maman faisait des fromages du lait des chèvres et cette année-là elle décida que je porterais des fromages deux fois par semaine chez ses clients à Luynes en allant à l’école. J’étais un peu inquiète, j’avais déjà ma sœur à surveiller. Je ne pouvais plus courir à ma guise et en plus je devais transporter un panier rempli des petits pots blancs recouverts d’une feuille d’oseille. Non, je n’étais pas enchantée du tout !

Je devais d’abord aller chez deux dames, ensuite à la gendarmerie où maman avait des clientes jeunes et gentilles qui me donnaient soit une pièce, soit des gâteaux. Les deux dames étaient assez revêches et pas généreuses du tout : jamais rien pour moi.

Je décidai donc que je n’irais qu’à la gendarmerie, cela me gagnerait du temps et avec les pièces je pourrais acheter des caramels.

Mais un jour ces deux dames délaissées rencontrèrent maman et lui demandèrent pourquoi elles n’avaient plus de fromages ! Ce fut toute une histoire, maman me gronda un peu mais ne m’obligea pas à retourner chez ces dames.

Le jour des fromages, il fallait partir plus tôt et Mimi trottait à mes côtés. J’étais quand même assez contente de mon petit commerce.

Comme nous étions heureuses le soir de rentrer chez nous, à notre Barbinière. Du haut de la « rote » nous apercevions maman aller et venir dans la cour ou en train de préparer les lampes.

En mai-juin c’était la rentrée des fourrages (sainfoin, luzerne). Les hommes déchargeaient ensuite les charrettes dans la cour, ça sentait bon partout !

Maman faisait son travail toujours très tôt le soir : elle devait traire les vaches, soigner la cochon, les lapins, les biques, ramasser les œufs. C’est vite devenu mon occupation, j’aimais dénicher les œufs, dans les cachettes un peu dans tous les coins de la ferme.

En fin d’année scolaire il y avait la distribution des prix, des chants et des danses et c’était les  vacances ! Nous allions pouvoir rester chez nous, c’était la joie …

Nous participions alors aux moissons, mais pour nous c’était encore un jeu. Nous allions en charrette, notre grand plaisir. Puis c’était la collation avec les hommes ; Nous avions le droit de bavarder, ce repas n’était pas sérieux.

Quand il faisait très chaud, nous faisions la sieste dans notre chambre au frais ou sous un cerisier auprès du puits.  Avec Mimi je m’amusais à toutes sortes de jeux.

Mais quand le trèfle, le sainfoin et la luzerne avaient repoussé, il fallait conduire les vaches dans les champs et les garder. Alors tous les soirs je prenais mon sac contenant des livres de bibliothèque, mon chien me suivait et, mon bâton à la main, j’allais devant en appelant les vaches. Maman les suivait et une fois la route traversée, je me retrouvais sur le lieu où je devais les garder, aux Mortiers, où se situe le domaine de Vaugareau. Je crois que ce champ se trouvait exactement où est construit maintenant l’institut médico-éducatif. À cette poque il y avait aussi quelques vignes, dont une qui appartenait à Grand-père et deux autres à papa.

Maman revenait me chercher environ une heure et demie après. J’ai bien souvent entendu dire :

« juste bon ou bonne qu’à garder les vaches », en parlant dédaigneusement de quelqu’un qui n’a pas l’air très malin. Cette réflexion m’a toujours hérissée car je ne suis pas d’accord … Faîtes donc garder des vaches en liberté auprès des vignes ou d’un champ de betteraves ou de citrouilles par quelqu’un qui se croit très malin mais qui n’en a pas l’habitude. Ce n’est pas si facile que ça !

J’avais six mères vaches à surveiller. Quand elles paraissaient bien calmes, engouffrant la luzerne d’un coup de langue à gauche, à droite, je m’installais alors pour lire, mon chien surveillant le troupeau.  Quelques fois, il se couchait près de moi et s’endormait …

Tout à coup c’était le désastre ! Coco partait à toute allure pour leur faire faire demi-tour.  Quand elles étaient dans les citrouilles ou les betteraves, c’était vite fait, mais allez donc faire faire demi-tour à une vache dans une vigne ! C’était les fils de fer et des ceps cassés et une future réprimande pour moi !

J’aurais bien aimé emmener ma sœur avec moi, mais elle n’aimait pas, elle avait peur. Je réussis pourtant à la décider car je me rappelle nos jeux auprès des vignes : nous enlevions l’intérieur des feuilles, ne laissant que les nervures ce qui faisait de la dentelle.

Un samedi matin, maman étant partie au marché à Tours, j’entrepris de laver la cuisine à grande eau. Je savais depuis peu tirer de l’eau au puits. Je n’épargnai pas l’eau et j’en mis trop. Je n’arrivais bientôt plus à l’envoyer dehors, c’était une vraie inondation ! Cela me prit une partie de la matinée. Quand mes parents arrivèrent du marché, la cuisine était propre et fraîche, mais j’étais exténuée !  Maman m’embrassa très fort.

J’aimais beaucoup notre cuisine : il y avait deux fenêtres, l’une à l’ouest, l’autre à l’est. C’était une pièce claire avec une table, des bancs, quelques chaises, une maie, le lit de mes frères (des rideaux qui faisaient alcôve le cachaient un peu), une petite armoire, des placards. La porte donnait sur la cour d’où nous entendions tous les bruits de la ferme : le chien, les chats, les poules, les vaches remuant leurs chaînes, les chevaux grattant d’un pied impatient pour avoir leur foin.  Cocotte connaissait l’heure exacte à ce sujet.

Fin septembre nous ramassions le maïs à graines, nous épluchions les épis qui avaient des chevelures blondes ou brunes et même rousses. C’était nos poupées !

L’école reprenait le 1er octobre, c’est pourquoi je ne me souviens pas beaucoup des vendanges car nous allions en classe. Je sais seulement l’absence de papa et de mon frère le soir. Ils étaient à la cave qui était située à Luynes, là où habite actuellement mon frère, pour mettre le raisin dans la cuve. Maman nous faisait manger avant leur retour.

Joséphine se maria et nous quitta ; elle nous manqua beaucoup.

Je rentrai alors en 1ère division avec ma meilleure amie Lulu qui habitait aux Lapidaires où son père travaillait sur les pierres précieuses. C’était une petite parisienne qui connaissait un tas de choses. Nous étions devenues inséparables. ..

 

À suivre

mardi, 10 décembre 2013

216. Les petits travaux disparus -11-


podcast

Joséphine avait fait la connaissance d’un jeune homme de Saint-Étienne-de-Chigny, elle parlait de se marier. Nous aimions bien Joséphine, elle était gentille mais elle se fâchait quelques fois après les vaches ou les poules et elle jurait en breton, ce qui nous amusait beaucoup.

À cette époque, il y avait des couturières qui allaient coudre à la journée chez les gens. Chez nous venait Francine, une personne de Vaugareau. Maman nous fit faire des chemises de nuit longues en tissu rose douillet, nous en étions heureuses !

Heureusement car le douze février 1929 il y eut une tempête de neige pendant la nuit, comme nous n’en avons jamais revue en Touraine depuis. Ce soir-là, le temps était gris, bouché, mais un vent glacial s’éleva et dans la nuit il se mit à siffler lugubrement. Mais nous étions au lit, bien au chaud et nous dormîmes …

Au matin, quand  papa se leva, nous l’entendîmes pousser des exclamations ; il ne pouvait ouvrir la porte, bloquée par la neige. En effet, le vent s’était apaisé mais il était tombé énormément de neige ; elle s’était entassée par endroit. On ne distinguait plus les champs ni la route ni les chemins. Il y en avait presque un mètre par endroit, tout était d’un calme impressionnant. Papa, mon frère et quelques voisins se mirent à repérer, tâter et marquer les fossés. Cette neige n’a pas fondu, elle s’est minée petit à petit, elle est restée environ un mois. Pourtant il faisait du soleil, mais l’air était trop froid pour qu’elle fonde.congere.jpg

Au bout de quelques jours je suis retournée à l’école seule, ma petite sœur n’avait que cinq ans et demi. Je me revois partir avec ma cape en coton, mon bonnet de laine, mes galoches (tiges de cuir montées sur des semelles de bois) non fourrées. De chaque côté de la route enfin dégagée, il y avait une bordure de neige plus haute que moi ! C’était extraordinaire pour nous.

Je retrouvais quelques camarades, nous faisions des batailles de boules de neige. Nous nous sommes aventurés en pleine neige, pourtant papa nous l’avait interdit car dessous il pouvait y avoir un trou. C’est ce qui est arrivé à une personne venue chercher du lait chez nous : elle s’était trompée et elle est tombée dans un fossé profond. Elle avait très froid. Par chance papa était remonté sur la route pour voir s’il ne voyait pas quelqu’un et il entendit ses plaintes. Il chercha et trouva cette pauvre femme qui voulait rester là et dormir. Il dut la relever et la faire marcher de force pour finalement la reconduire chez elle. Cette histoire m’avait beaucoup impressionnée et donnée à réfléchir.

Quand nous arrivions à l’école, il fallait allumer le poêle à tour de rôle. Ce n’était pas toujours une réussite ! Il fallait pourtant arriver à le faire ronfler si nous voulions qu’il fasse chaud dans la classe. Il fallait aussi faire le ménage et balayer la classe. Certains jours de pluie, nous rapportions de la boue avec nos galoches. Nous devions également épousseter les bureaux, laver les tableaux, aller chercher du charbon à la cave qui se situait sous le logement de la maîtresse.

Dans la cour il y avait des tilleuls et au printemps un homme venait les tailler. Nous, les élèves, nous devions ramasser le petit bois.

J’étais en 2ème division, l’école me plaisait beaucoup et j’aimais Madame Vallet, notre maîtresse.

Le matin nous avions une leçon de morale puis calcul. J’aimais surtout les problèmes, je n’en ratais pas beaucoup. J’aimais beaucoup moins les dictées mais j’adorais les rédactions ! Je trouvais toujours de quoi raconter, mais parfois je sortais du sujet ce qui m’enlevait des points.

Le samedi, couture et lecture à haute voix. Quelle patience pour nous faire faire un cahier de couture (que j’ai encore) et de tricot. C’est Laurence, une grande, qui montra à toute la classe comment tricoter ; elle faisait des points « fontaine », c’était extraordinaire.

Assez souvent l’hiver j’avais mal à la gorge et j’avais peur de manquer l’école. Maman me faisait alors boire une tasse de lait chaud et sucré avec quelques gouttes de teinture d’iode, le soir avant d’aller au lit. Elle me badigeonnait aussi la gorge avec la teinture d’iode ; ce n’était pas beau, surtout lorsque la peau se mettait à dépouiller.

C’est peut-être cette année-là que papa, qui était au conseil municipal, proposa de faire installer une bascule publique pour peser les grosses charges, comme des charrettes de fourrage ou bien encore les bêtes à livrer aux bouchers. Il trouvait que c’était plus juste pour le vendeur et l’acheteur. Que de discussions entre les hommes ! Finalement la bascule fut installée auprès de notre école. Je trouvais que papa était un homme formidable !

Raymond étant à Parçay-Meslay venait quelques fois nous voir le dimanche en bicyclette. Il nous racontait ses sorties au bal ; il disait qu’il avait un succès fou avec les filles. J’écoutais de toutes mes oreilles …

Un dimanche il est même venu avec une Geneviève, très gentille ; une autre fois il nous parlait d’une certaine Simone ; Je ne prenais pas mon frère au sérieux, c’est vrai qu’il n’avait que dix-neuf ans ! Je haussais les épaules, je crois même m’être moquée de lui avec toutes ses conquêtes.

Il taquinait Aimé qui était beaucoup plus calme et  posé.

Un beau jour j’appris qu’Aimé « fréquentait » une petite cousine, Madeleine, de Saint-Étienne-de-Chigny en vue de mariage … Je regardais mon frère Aimé avec considération, le trouvant vraiment un grand jeune homme.

Papa était sévère avec mes frères ; Ils devaient beaucoup travailler, n’avaient pas de loisir à part le dimanche après-midi, ne devaient pas discuter les décisions de papa. Je voyais bien, malgré mes onze ans, qu’ils avaient envie de protester. J’entendais parfois  maman faire quelques reproches à papa à ce sujet.

Moi aussi je craignais papa, il ne fallait pas parler à table ni trop remuer ; Ce n’était pas toujours facile !

Nous disions « vous » à nos parents, nous y étions habitués et cela ne nous arrêtait pas dans nos élans de tendresse.

Je me demande parfois quelle éducation est la meilleure. À cette époque le désir des enfants n’était pas consulté, on devait obéir et faire ce que nos parents trouvaient bon pour nous. Nous n’avions pas la parole … Finalement nous pensions tout bas et nos parents nous connaissaient à peine.

Aujourd’hui les enfants s’expriment, leurs désirs sont pris au sérieux, on leur laisse faire beaucoup de choses, surtout des études que nous n’avons pas eu la possibilité de faire ; Ils vont en vacances à la mer, à la montagne, en pays étrangers et pourtant ils ont l’impression de ne pas se sentir compris, trouvent leurs parents vieux jeu.

Tout est difficile, c’est toujours le même problème à chaque génération.

Ils ont en plus le confort : pas besoin de penser au chauffage, à l’éclairage, à l’eau. Il n’y a rien à faire de ce que nous devions assurer, nous les enfants. Nous participions aux choses indispensables de la vie de la maison, nous devions être attentifs ; cela nous occupait et nous rendait satisfaits d’avoir fait notre ouvrage.

Tout commença à changer lorsqu’on parla d’installer l’électricité dans les campagnes.

 

À suivre      

lundi, 09 décembre 2013

214. Les petits travaux disparus -10-

Quand tout était terminé, il y avait un coup de sifflet assez prolongé pour avertir le prochain cultivateur de venir avec ses chevaux chercher le matériel. Avec ma sœur nous regardions ce déménagement, nous ne voulions rien perdre des opérations.

Quelques fois les chevaux avaient un mal fou à démarrer ; Ils s’élançaient, les traits se tendaient et il leur fallait recommencer …

Nous étions fière de Cocotte, elle ne se rebutait jamais, elle était franche comme disait papa, si belle parmi les autres. Elle formait un bon attelage avec Mouton, un brave cheval.

Et puis, tout à coup, la machine était partie … Il fallait alors tout remettre en ordre, vaisselles, table, bancs, pour l’année prochaine. Maman était contente, elle avait tellement cuisiné : pot au feu, râgouts, poulets, œufs au lait, salades, fromages. Tout y passait, ces hommes jeunes avaient bon appétit.

Maintenant les moissons sont bien changées ! Vers 1955 il y eut des tracteurs pour remplacer la chaudière. Il fallait bien savoir mettre en place ce gros tracteur dans la cour des fermes pour installer juste à point la batteuse afin que tout fonctionne parfaitement en branchant le système électrique.

Jacques, mon fils, en rentrant d’Algérie en 1963, fit lui aussi une campagne de chauffeur-conducteur du tracteur de « La 24 ». Il était responsable de l’installation. Il fallait faire des manœuvres pour tomber juste, c’était une bonne expérience !

Maintenant, depuis quelques années ce sont des grosses moissonneuses-batteuses bleues, rouges, tout est fait sans travail manuel, ce sont les vacances ! Qui pense encore aux moissons ?

Donc mon frère Aimé porta les sacs, je crois, et apprit à faire des tas de paille, les bauges de paille. C’est tout un savoir faire, il faut que tous les rangs de bottes de paille soient bien serrés afin que l’eau ne rentre pas à l’intérieur du tas, il faut respecter une pente et toujours bien tasser les bottes. Ces tas de paille seront là tout l’hiver car nous n’avions pas de hangar.

Roger, mon mari, fit lui aussi des campagnes de machines en tant que porteur de sacs. Il fallait être fort et adroit, avoir le coup de rein pour placer le sac de 80, 90 ou 100 kilos et le monter à l’échelle pour le vider ensuite au grenier. J’ai souvent admiré l’aisance et la souplesse des porteurs de sacs, marchant tranquillement, leur sac sur l’épaule.

Tous les étés dans quelques communes des environs on essaie de reconstituer ce travail de la batteuse. Mais nous sommes en 1978, bientôt on oubliera complètement. C’est pour cela que je vous le raconte …

2013 : la tradition se poursuit toujours.

Comme Aimé était revenu, Raymond partit travailler chez mon oncle pour gagner de l’argent à son tour. Papa acheta un poulain non dressé ; Il était vraiment beau avec un poil brillant bien foncé, mais il avait un sale caractère. On l’appela Papillon, son dressage ne fut pas facile !

Il fallait lui apprendre à être attaché au tombereau, à la charrue dans les vignes, au brabant avec les autres. Quelle victoire quand on observait des progrès. Aimé s’occupa beaucoup de Papillon, il le félicitait et le caressait quand il avait bien travaillé.

C’est moi qui fis le dressage de Coco qui grandissait et devenait un beau chien, genre épagneul, roux très foncé. Je l’habituais à me suivre, à m’obéir. Souvent, en arrivant de l’école, je gardais les vaches. Je l’emmenais avec moi, tenu par une ficelle. Je lui appris à connaître chaque vache par son nom. Petit à petit il apprit à leur faire faire demi-tour lorsque l’une ou l’autre s’écartait. Après un certain temps je n’eus plus besoin de ficelle. Ce n’est pas croyable ce que je faisais faire à ce chien ! Mais quand je partais à l’école, il savait qu’il devait rester à garder la cour. Je le lui disais et :

À ce soir Coco !

Il remuait alors sa belle queue touffue tristement, il boudait.

Quand il y avait une chienne an amour dans les environs, surtout une certaine Mirza qu’il aimait, il partait et me laissait en plan … Quand il revenait et essayait de se faire pardonner, je le boudais à mon tour.

J’avais aussi essayé de l’atteler à une brouette. Pauvre chien, il en faisait une tête ! Il n’aimait pas ça du tout et j’y ai renoncé.

Le soir aussi à partir du printemps je gardais les chèvres auprès de la maison. Coco courait autour d’elles pour jouer. Mimi n’aimait pas les chèvres, je crois qu’elle en avait peur.  C’est vrai que c’était quelque chose de garder les biques !

Il y avait Quiqui, une grande et forte chèvre noire avec des cornes, une barbiche et des petits barbillons. Elle avait des yeux extraordinaires, sa tête était noire et feu. Elle courait en traversant la cour pour aller croquer les géraniums posés sur la fenêtre de la cuisine et je devais la prendre de vitesse pour éviter un désastre.

Quand le linge était étendu dans le petit pré où je les gardais, elle fichait des grands coups de tête dans tout ce qui flottait au vent ou lorsque je voulais les faire revenir elle se cachait derrière les tas de paille où elle me faisait jouer à cache-cache.

Sa camarade Fauvette, une chèvre blanche un peu bête, suivait ainsi que sa fille Rosette. Elles m’ont fait piquer des colères ces trois biques !

Quand elles étaient enfin rentrées et attachées, j’avais parfois envie de flanquer une raclée à Quiqui, mais elle prenait un air indifférent et très sage, elle secouait sa barbiche et marmonnait ses réflexions. Je suis sûre qu’elle se moquait de moi … Elle donnait beaucoup de lait, ainsi que les autres et maman faisait des fromages.

J’apprenais mes leçons tout en les gardant. Quand elles étaient sages, je grimpais sur le siège du rouleau et là-dessus j’étais comme un prince sur son trône parlant à son peuple. Je déclamais mes leçons à haute voix. J’étais heureuse et je m’amusais …

 À suivre