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mardi, 22 décembre 2009

471. Célestine Chardon -21-

                            LA VIE BIEN ORDINAIRE DE CÉLESTINE CHARDON

 

Célestine Chardon 21 : réveil brutal

podcast

 

— Célestine, bah alors, Qu’est-ce que tu fous ? Oh ? Célestine, tu dors ou quoi ?

— Hein, qu’est-ce qu’il y a ?... Ah oui, mince, j’étais encore en train de rêver.

Il est cinq heures du matin et dans les couloirs déserts du centre administratif, les deux femmes finissent le nettoyage des trente bureaux. Au dehors, une pluie froide et drue tombe sur le bitume. La ville s’éveille peu à peu de sa torpeur tout comme Célestine qui a bien du mal à reprendre ses esprits.

— Si tu savais le rêve que je viens de faire ! J’avais fait la connaissance d’un peintre célèbre et il était tombé amoureux de moi !

— Ma pauvre fille, arrête donc de te faire ainsi du cinéma. Magne-toi plutôt car les premiers employés ne vont pas tarder à arriver et tu sais qu’ils n’aiment pas nous rencontrer. Allez, secoue-toi et active le mouvement !

Et Célestine reprend l’aspirateur qui ronflait doucement à ses pieds. Ainsi donc, tout cela n’avait été qu’un rêve, un beau rêve qu’elle avait envie de continuer. Cela lui donna du cœur à l’ouvrage, aussi rattrapa-t-elle rapidement le retard. À sept heures les deux femmes prirent congé et chacune réintégra son foyer. Personne n’attendait Célestine, elle vivait seule depuis toujours dans un petit deux pièces sous les mansardes d’un immeuble haussmannien qui avait perdu son éclat depuis fort longtemps. Un logis vétuste, au quatrième étage sans ascenseur.

Dans quelques mois elle aurait droit à une retraite dérisoire qui lui permettrait tout juste de quoi se nourrir. Aussi se réfugiait-elle le plus souvent possible dans des rêveries de petite fille ce qui lui permettait de supporter le poids d’une vie terne et sans avenir meilleur à envisager.

Dans le métro qui la ramenait à son domicile, elle s’amusa à observer les visages des autres passagers.

— Celui-là ferait un très bon Alain ! pensa-t-elle en regardant un homme qui s’agitait tout seul en tournant les pages d’un quotidien.

À la station suivante, elle aperçut un grand barbu à l’allure distinguée qui montait dans son wagon. L’homme vint s’asseoir juste en face d’elle. À un moment leurs regards se croisèrent et Célestine piqua son fard. Elle faillit lui demander s’il ne s’appelait pas Ivan, mais l’impassibilité dont il faisait preuve en la regardant la freina aussitôt dans son élan.

Elle ferma alors les yeux et décida de replonger dans ses rêveries. Elle avait le temps, elle  descendait du métro  au terminus.

— Où en étais-je déjà ? Ah oui, bien sûr, l’invitation à dîner chez Ivan !

Un sourire vient éclairer  son visage fatigué :

22 décembre 2005 : plus de trois années se sont écoulées depuis cette fameuse nuit. Dans l’avion qui la mène à Fort-de-France, Lucie s’est assoupie sur l’épaule de Marc. Dans à peine une heure ils vont atterrir à La Martinique pour leur voyage de noces. Ils ont réussi à obtenir une semaine de congé pour leur mariage.

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Pendant ce temps, Célestine vient d’arroser son jardin comme tous les matins depuis qu’elle et Ivan se sont installés dans une belle demeure située à une vingtaine de kilomètres au sud de Fort-de-France. Tous les ans ils viennent  passer l’hiver au soleil. Ivan en profite pour organiser une exposition de ses dernières toiles, de plus en plus colorées. Il n’a rien perdu de sont talent, bien au contraire ; le contact de Célestine l’a comblé au-delà de ses espérances. La passion amoureuse des premiers instants s’est transformée peu à peu en de la tendresse et une complicité totale s’est établie entre eux deux.

Tout a été si vite ! Elle se souvient avec émotion du lendemain qui a suivi leur première nuit : Ivan était allé chercher des croissants chez la boulangère. Le magasin n’était pas encore ouvert et il avait fait tout un esclandre dans la rue jusqu’à ce que le boulanger accepte de lui ouvrir la porte de son fournil. Ils ne se sont plus quittés depuis lors. Ivan a fini par divorcer. Ils ne se sont pas mariés, ils vivent ensemble, tout simplement.

Un haut-parleur vint sortir Célestine de sa rêverie :

Porte de la Chapelle !

À suivre 

lundi, 21 décembre 2009

470. Célestine Chardon -20-

LA VIE BIEN ORDINAIRE DE CÉLESTINE CHARDON

Chapitre 20 : premier rendez-vous

podcast
La porte s'ouvrit comme par enchantement et Célestine entendit une voix lui murmurer:

— Entrez, ma Belle, entrez dans l'antre de l'ogre.

Hésitante à ces mots, elle s'avança cependant et la porte se referma derrière elle. Elle se sentit alors prise par la taille et un souffle chaud effleura sa nuque.

— Hum, parfum délicat et envoûtant que le vôtre !

Ivan se saisit du gâteau qu'elle tenait toujours à la main et tout en la maintenant de son autre bras, il avança vers la table pour y déposer le paquet enrubanné. Elle sentit ses lèvres dans son cou. Un léger frisson la parcourut. Elle se dégagea alors de l'étreinte et se tournant vers lui dit en souriant:

— Vous prenez des risques ! Imaginez si cela avait été le facteur à la porte ?

— Pas de danger, Célestine, à cette heure il y a belle lurette que le facteur a fini sa tournée et puis je vous ai entendue fermer votre porte, monter doucement l'escalier, attendre un moment...j'ai même perçu les battements de votre cœur, dit-il d'un air malicieux.

— Tenez, je vous ai apporté une spécialité de Tours, fit-elle en désignant le gâteau. C'est un nougat de Tours, vous connaissez ? répondit-elle pour changer de conversation.

— Non, je ne crois pas, mais je te..., enfin je vous..., on se tutoie Célestine ?

— Oui, d'accord Ivan, lui répondit-elle en rougissant légèrement.

— Bon, alors je te fais visiter mon repaire ! dit-il en la saisissant par le bras et en l'entraînant dans la vaste pièce qui lui servait de salon, de salle à manger et de cuisine d'où montaient des effluves d'épices.

La fenêtre était largement ouverte et de la rue on pouvait entendre le gazouillis des hirondelles parties en chasse avant la tombée de la nuit. Il l'invita ensuite à prendre place sur le canapé, elle s'installa près de la fenêtre et le temps qu'il s'affairait à sortir des verres et poser des ramequins sur la table basse, elle l'observait discrètement. Il portait une chemisette blanche fendue à l'avant laissant entrevoir un torse bronzé et poilu. Sa chemise provenait probablement d'Egypte car des hiéroglyphes y étaient brodés. Il avait mis un pantalon noir et était pieds nus. Le sol de son appartement était recouvert de divers tapis orientaux aux tons chauds de rouge et d'ocre.celestine20.jpg 

Il lui demanda ce qu'elle voulait écouter comme musique et elle le laissa choisir. Elle le remercia vivement pour le magnifique bouquet de roses et il sourit. Puis la conversation s'engagea très rapidement sur le quartier, les gens qui y vivaient. Célestine lui traça un rapide portrait de certains d'entre eux, des commerçants qu'elle aimait tout particulièrement. Elle se sentait à l'aise et Ivan l'écoutait avec attention, posant parfois quelques questions pour obtenir davantage d'informations. A son tour, il lui parla de son adolescence à Tours, des souvenirs qu'il gardait de cette époque. Ils n'abordèrent pas le délicat sujet de Léon, Célestine se réservant le droit de lui en parler uniquement s'il lui en faisait la demande.

Ils passèrent ensuite à table. La nuit était tombée et Ivan alluma des bougies qu'il avait disposées ça et là. Les reflets des flammes faisaient briller les yeux de Célestine et, l'alcool aidant, une légère coloration rose avait envahi son visage. Ivan avait lui-même préparé un tajine d'agneau aux fruits secs et en dessert une salade d'oranges à la cannelle. Durant le dîner, il lui parla longuement de sa vie dissolue, de son besoin de tranquillité et du coup de foudre qu'il avait ressenti à la vue de l'abbaye. Il avait déjà commencé à tracer des plans de rénovation, il lui montra les croquis et en discuta avec elle. L'idée d'installer une piscine dans un tel lieu semblait incongrue pour Célestine, surtout qu'on n'était pas dans une région où le climat s'avérait particulièrement propice à un tel projet.

Ils s'étaient de nouveau installés dans le canapé. Célestine avait enlevé ses chaussures et plié ses jambes sur un coussin. Ivan prépara un thé à la menthe, puis il sortit une boîte en fer dans laquelle se trouvait ce qu'elle prit pour du tabac. Il roula deux cigarettes et lui en proposa une. Très rapidement Célestine se sentit envahie par une douce torpeur, une sensation étrange qui la déconcerta quelque peu. Mais dans le même temps elle éprouvait un tel bien-être qu'elle s'allongea entièrement sur le canapé. Ivan était parti mettre de la musique. Il revint près d'elle et se mit à lui chuchoter des paroles en arabe. Elle ne comprenait rien à ce qu'il disait mais sa voix était tellement chaude et douce qu'elle fut transportée, elle détourna son visage vers lui et leurs regards se croisèrent. Il avait un air sombre, son visage était très sérieux, triste même... Elle eut soudain pitié de lui et lui caressa la joue doucement. Il était à genoux près d'elle et il posa sa tête sur son ventre. Elle continuait à l'effleurer de sa main, doucement, dans le cou, puis sur les épaules, introduisant les doigts sous la fine étoffe blanche. Il continuait à parler , on aurait dit une chanson. Elle ferma les yeux et écouta. Il parlait maintenant en français, il lui disait sa lassitude, son dégoût de la vie, sa recherche du bonheur...

— Chut ! fit-elle doucement... Ils se regardèrent dans l'obscurité. Il ne la reconnut pas, il fut surpris du regard qu'elle avait à cet instant précis, ce n'était plus cette petite bonne femme naïve et rigolote, mais une femme à l'air sauvage, les yeux sombres, la bouche entrouverte. Le combat fut rude pour Ivan car elle résista longtemps, farouche, se débattant telle une tigresse, le griffant, le mordant, le couvrant aussi de baisers. Rarement il avait eu affaire à une telle violence lors d'une relation sexuelle, habitué qu'il était aux filles faciles. Cela n'en prenait que plus d'intérêt à ses yeux. Plus elle résistait, plus il avait envie d'elle. Au bout du compte il sortit vainqueur, ils ne firent bientôt plus qu'un et Célestine étouffa ses cris en mordant le coussin à pleines dents. Ils s'endormirent l'un contre l'autre.

Au petit matin Célestine s'éveilla la première. Le jour n'était pas encore levé, les rayons de la lune éclairaient une partie de la pièce  et elle pouvait le voir dormir. Elle le contempla ainsi, en silence. Elle effleura doucement ses épaules  et y déposa un baiser. Il émit un léger grognement.

Sans bruit elle quitta le lit, enfila prestement ses vêtements disséminés ça et là sur le sol et sortit de chez lui. Pour la première fois de sa vie elle venait de rencontrer l'homme, celui dont elle avait toujours rêvé et qui hantait si souvent ses nuits.

À suivre

samedi, 19 décembre 2009

467. Célestine Chardon -19-

                  LA VIE BIEN ORDINAIRE DE CÉLESTINE CHARDON

Chapitre 19 : l’invitation

podcast
Le lendemain matin au réveil, la première pensée de Célestine fut pour Ivan. Elle repensait au baiser, pudique certes, mais baiser tout de même qu'il lui avait déposé sur le front la veille au soir et elle se demandait où il voulait en venir et comment la situation allait évoluer. Elle n'était pas insensible à son charme mais craignait de ne pas être à la hauteur. Pas une question de taille, mais intellectuellement. Elle s'imaginait qu'il était d'une intelligence supérieure et elle, elle avait toujours eu tendance à se prendre pour quelqu'un sans grand intérêt pour les autres. Que pouvait-elle bien lui apporter qu'il ne connaisse déjà ? La réponse à toutes ces questions ne tarda pas à venir ; peu avant midi elle eut la visite d'un fleuriste qui lui apportait une énorme gerbe de roses ; jamais  elle n'en avait vu autant à la fois ! Le fleuriste lui confirma qu'il y en avait exactement cent une. C'était impressionnant !

 celestine19a.jpgDès qu'elle fut seule, elle se précipita sur la carte jointe au bouquet. C'était un mot d'Ivan:

« Ces quelques fleurs pour une Muse,

Cueillons dès aujourd'hui les roses de la vie !

Etes-vous libre demain soir ?

Je serais si heureux de passer la soirée en votre douce compagnie !

De grâce, ma Belle, dites-moi  OUI.

C'était signé " un malheureux peintre privé de sa Muse" et un numéro de téléphone figurait au bas de la carte.

Célestine était très troublée : elle était ravie de ce bouquet, mais elle avait peur de se retrouver face à Ivan. Qu'allait-elle pouvoir lui raconter d'intéressant ? Elle avait une vie tellement ordinaire ! Après tout, c'était peut-être cela qui plaisait au peintre.

Bon, mais comment allait-elle s'habiller ? Son côté féminin prenait le dessus: elle voulait plaire, c'est évident ! Elle cogita pendant un certain temps puis elle appela Ivan en le remerciant pour le magnifique bouquet et lui confirmant qu'elle acceptait l'invitation. Il poussa un cri de joie :

— Si vous saviez comme je suis heureux ! Je vous attends chez moi vers vingt heures si cela vous convient bien sûr. Nous dînerons sur place.

— Bon très bien Ivan, vous permettez que je vous appelle Ivan ? fit-elle soudainement enhardie par le ton chaleureux de son interlocuteur.

—  Oui Célestine...Vous serez ma nouvelle Muse, je ferai de vous une Reine !

Elle raccrocha en se disant qu'il en faisait peut-être un peu trop. On verrait bien demain !

Dans l'après midi, elle alla faire les magasins à la recherche d'une tenue pour le lendemain. Comme à chaque fois qu'elle sortait pour un achat précis, elle ne trouva rien à son goût et finalement rentra chez elle bredouille et de fort méchante humeur. En montant l'escalier, elle entendit de la musique qui provenait de chez Ivan. Elle reconnut l'air, c'était un Nocturne de Chopin. Ce choix musical lui plut, elle trouva ainsi un premier point commun entre eux deux.

Le lendemain, plus l'heure du rendez-vous approchait et plus Célestine était sur les nerfs. Elle en oublia totalement Théo qui pourtant faisait tout pour qu'elle le remarque. Ce n'est que lorsqu'il s'engouffra dans le réfrigérateur qu'elle s'aperçut qu'elle avait complètement oublié de le nourrir depuis la veille!

— Mon pauvre Théo, je perds complètement la boule, si tu savais comme je suis excitée.

Elle fila dans la salle de bain et s'y enferma plus d'une heure. Là, tout en écoutant de la musique, elle prit un bain relaxant, puis une fois sortie de l'eau, elle se massa tout le corps avec une huile parfumée. Sa peau devenait toute lisse et sentait bon ! Elle ne se maquilla pas, mit simplement quelques gouttes de son parfum, Mitsouko de Guerlain, derrière les oreilles. Elle avait finalement opté pour une tenue légère, en raison de la chaleur, et simple puisque la soirée se déroulait dans l'intimité. Elle choisit une lingerie fine en dentelle écrue, mit  un petit caraco et une jupe de couleur noire, puis elle enfila  une paire de sandales en cuir naturel. Elle était fin prête et il était dix-neuf heures. Soudain elle songea avec effroi qu'elle n' avait pas prévu d'apporter quelque chose. Paniquée, elle se dépêcha de se rendre chez sa boulangère dans l'espoir d'y trouver un bon dessert. Son vœu fut exaucé car il restait un nougat de Tours !

 Il était maintenant dix-neuf heures cinquante, Célestine se regarda une dernière fois dans la glace derrière la porte d'entrée et fit une moue de contentement. Bon, ce n'était pas trop mal ! Elle vérifia que Théo avait à boire puis sortit de son appartement. Son cœur commençait à battre un peu plus vite. Comment allait-il la recevoir ? Qu'allait-elle dire quand il ouvrirait la porte ? Devait-elle lui tendre la main ?

Elle se posait toutes ces questions tout en descendant l'escalier qui la séparait de la porte de son voisin. Arrivée sur le palier, elle s'immobilisa un court instant, prit sa respiration très fort et appuya sur la sonnette...

À suivre

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jeudi, 17 décembre 2009

464. Célestine Chardon -18-

                        LA VIE BIEN ORDINAIRE DE CÉLESTINE CHARDON

Chapitre 18 : première rencontre


podcast

celestine18b.jpgIvan arriva à Tours le lundi dans la matinée. Il se rendit à pied jusqu'à chez lui, empruntant pour le plaisir la rue Bernard Palissy, longea la place François Sicard, là où les belles à l'occasion attendent le client, puis il atteignit la rue Colbert. Il avait une affection toute particulière pour cette rue qui, bien que faisant partie de ce qu'on appelle « le vieux Tours », avait su conserver une certaine authenticité. Elle gardait encore ce côté populaire si cher à son cœur et il retrouvait un peu l'atmosphère de ses années d'adolescence. Il repensa à la réplique d'Arletty dans "Hôtel du Nord" :

— Atmosphère ? Atmosphère ? Est-ce que j'ai une gueule d'atmosphère ?  Il se disait que Royer avait eu une bonne idée d'implanter la faculté de Lettres en plein cœur de la ville car la présence des étudiants apportait un peu d'oxygène et d’animation à cette belle bourgeoise endormie qu'était Tours.

C'est ainsi qu'il arriva bientôt dans sa rue. Tout était calme, le calme du lundi où la plupart des magasins sont fermés. Des fenêtres ouvertes s'échappaient  des musiques, des voix, des bruits de placards qu'on ouvre et qu'on referme. Il trouva la lettre de Célestine et la lut tout en grimpant l'escalier le menant au deuxième étage. Il était très impatient de se rendre sur les lieux de la propriété qui, selon les indications fournies par Marc Legendre, correspondait tout à fait à ce qu'il recherchait. L'agent immobilier lui avait donné fort peu de détails au téléphone, lui indiquant simplement que l'endroit était situé entre Azay-le-Rideau et Chinon.

Il ouvrit les volets et le soleil inonda alors toute la grande pièce. Lors de son emménagement, il avait apporté peu de choses de Paris, juste le nécessaire pour demeurer un temps relativement court. Dans la chambre, il posa son sac de voyage sur le matelas à même le sol. Une chaise et une petite table étaient les seuls autres objets dans cette pièce. Le salon était encombré de cartons remplis d'ouvrages. En effet il avait jugé préférable de rapporter les objets auxquels il tenait de peur que par vengeance Simone ne les vende ou, pire, ne les saccage. Il fallait s'attendre au pire avec elle !

Un grand canapé d'angle en cuir brun remplissait tout un coin de la pièce. De l'autre côté il y avait une table ronde avec ses quatre chaises. La table du salon était un grand plateau marocain posé sur un trépied bas, en bois sculpté, à incrustations d'ivoire. Enfin, le long des murs étaient posés des tableaux, les uns contre les autres , châssis tournés vers l'extérieur. 

Il prit son portable et appela :

— Allo Marc ? Ici Souborovski. Je suis à Tours. Quand peut-on aller visiter ? Je suis assez impatient !

— J'ai un problème de voiture actuellement mais je vais arranger ça. Cet après midi vous convient ? Le notaire m'a prêté les clés samedi ; on peut donc y aller quand vous le souhaitez.

— Eh bien disons aujourd'hui, oui, quatorze heures ?

— Le temps de contacter mon chauffeur et je vous rappelle pour confirmer.

Aussitôt Marc appela Célestine :

— Ton nouveau voisin vient d'arriver, il voudrait visiter la propriété aujourd'hui même. Peux-tu nous y conduire ? Seulement on prendra ma voiture, elle est plus confortable.

— C'est quoi comme voiture ? fit elle, inquiète.

— Une Peugeot 407, tu n'as aucun souci à avoir, ça roule tout seul ! répondit-il en sentant qu'elle était hésitante.

— Bon d'accord, mais je te préviens, je ne suis jamais à l'aise avec une nouvelle voiture ! il me faut toujours un certain temps d'adaptation. Il faudra que tu sois patient !

— Ne t'inquiète pas, tout ira bien. Bon alors je passe chez toi à quatorze heures.

Elle est fébrile, Célestine, elle n'avait pas prévu de servir de chauffeur à son voisin. Et puis il l'intimide, elle n'arrive pas à s'en expliquer la raison, peut-être parce que c'est un artiste, peut-être également parce qu'elle sait tant de choses sur sa vie que cela fausse le premier contact.

Marc rappela Ivan pour confirmer le rendez-vous et à l'heure dite, il était chez Célestine. Elle était prête, elle l'avait vu arriver de sa fenêtre. Il habitait juste à côté et était venu à pied. Célestine avait mis une robe verte à petites fleurs blanches, des chaussures blanches et elle portait un petit canotier en paille tressée entouré d'un ruban vert.

Quand Marc la vit, il s'exclama:

— Mazette ! Tu te rends à un mariage ?

— Pourquoi ? Ça ne va pas ainsi ? fit-elle, inquiète.

— Si, si, au contraire, tu es ravissante comme ça ! Ne change rien surtout.

Quand Ivan ouvrit la porte, elle fut impressionnée par sa prestance et sa carrure. Même avec ses talons elle lui parvenait à peine au niveau de la poitrine ! Il avait une voix assez grave, douce mais autoritaire. On sentait qu'il avait l'habitude de donner des ordres. Il serra la main de Célestine sans lui prêter d'attention particulière, engageant aussitôt la conversation avec Marc. Puis ils se rendirent chez ce dernier afin de récupérer la voiture . Célestine prit le volant, Ivan s'installa à côté d'elle.

Durant le trajet Célestine fut silencieuse, trop occupée à regarder la route et le compteur de vitesse. Elle ne roulait pas vite mais personne ne lui fit la moindre remarque ; le temps était agréable, la campagne verdoyante et chacun appréciait la promenade. Deux fois de suite Ivan reçut un appel téléphonique auquel il répondit longuement en anglais. Célestine était très anxieuse de voir quelle serait sa réaction à la découverte des lieux. Elle avait envie que cela lui plaise. Comme lors de la précédente visite, elle arriva doucement et les avertit au moment de s'engager dans le dernier virage:  attention, on arrive !

Silence...Elle observe discrètement le visage du peintre. Il est comme pétrifié. Au bout de quelques minutes enfin, il ouvre la bouche :

—Tout à fait ce que je voyais en rêve ! C'est inouï, incroyable ! Mon petit Legendre, je vous tire mon chapeau !

— Ce n'est pas moi qu'il faut remercier, c'est plutôt mademoiselle Chardon. C'est elle en effet qui m'a fait découvrir cette petite merveille.

Il se retourne vers elle, étonné, et la dévisagea. Elle, cette petite bonne femme bizarre avec son drôle de chapeau et ses larges lunettes de soleil ? Elle  pique alors son fard et bredouille quelques mots inaudibles. Marc l'interrompt aussitôt en proposant de faire le tour complet des lieux avant de visiter l'intérieur. La vue de l'étang fait pousser des cris de bonheur à Ivan:

—Mais dites-moi, ma chère, vous avez lu dans mes pensées, ce n'est pas possible autrement. Je ne pensais plus trouver un tel lieu...Magique, vraiment ! Ça relève du miracle.celestine18c.jpg

 Marc ouvrit la petite porte sur le côté et tous les trois pénétrèrent à l'intérieur de l'imposant édifice. Il y faisait très frais, cela était dû à l'épaisseur des murs. A chaque niveau il y avait deux grandes pièces largement éclairées par de hautes fenêtres qui se faisaient face. Le sol était couvert de tomettes ocres. En visionnaire, Ivan se représentait déjà les lieux une fois la restauration réalisée. Elle l'écoutait, subjuguée par son discours. Il avait l'intention d'aménager son atelier dans l'édifice et d'installer ses œuvres dans une des pièces pour des expositions temporaires. Il était las à présent de se déplacer dans le monde pour présenter son travail. Désormais le monde viendrait à lui ! Comme une enfant, Célestine buvait chacune de ses paroles. Il s'en aperçut et lui dit en souriant:

— Vous semblez de mon avis, n'est-ce pas ?

— Oui, oui ! bredouilla t-elle.

La visite se poursuivit, à chaque nouvelle pièce Ivan poussait des exclamations de joie. Célestine trouva la salle de bain très à son goût. Cette pièce avait été refaite par les précédents propriétaires dans le style Art Déco. Tous les murs et le sol étaient couverts de mosaïque en pâte de verre dans les tons de bleu et de vert.

 Une frise représentant des nuages et des oiseaux en vol faisait le tour complet de la pièce. La lumière pénétrait par deux fenêtres qui donnaient sur le parc et la forêt tout proche. Ivan remarqua surtout qu'on pouvait se mettre à plusieurs dans la baignoire et cette évocation fit passer dans ses yeux un reflet malicieux. Le libertin qui sommeillait en lui prenait le dessus.

Le soir tombait quand ils se décidèrent enfin à rentrer sur Tours. Tout le long du chemin Ivan ne cessa de faire l'éloge des lieux. La voiture atteignait Joué-les-Tours quand soudain il dit :

— Avez-vous quelque chose de prévu pour maintenant ? Il est déjà vingt heures et j'ai envie de vous inviter à dîner.

Marc et Célestine étaient disponibles.

— Alors chauffeur, trouvez-nous un endroit digne de ce nom où nous puissions nous sustenter! dit-il à l'attention de la conductrice.

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Ivan n'était pas homme à aller dans un "Buffalo-grill" ou un "Courte Paille". Célestine les conduisit au château de Beaulieu. En pénétrant dans la cour de ce lieu ravissant, Ivan se tourna vers elle en disant:

— Décidément vous avez du goût, mademoiselle la découvreuse de beauté !

Le dîner fut très convivial. Ivan et marc firent honneur à la table et à la cave. Célestine qui conduisait ne but qu'une gorgée. Elle les écoutait parler, heureuse d'être là, avec eux. Mais c'est surtout le discours du peintre qui retenait le plus son attention. Il venait d'un autre monde que le sien, un univers qui lui semblait tellement irréel par ses extravagances.

Ils rentrèrent vers vingt-trois heures. Marc était aux anges : Ivan était littéralement tombé amoureux de la propriété qu'il venait de visiter et tout laissait présager que l'affaire se réaliserait. Ivan et Célestine firent ensemble le petit bout de chemin qui les séparait de leur immeuble. L'air frais avait redonné du sérieux au peintre et sa compagne était silencieuse. Arrivés sur le palier du deuxième étage, ils se dirent bonsoir en se serrant la main. Elle sentit une légère pression et dégagea aussitôt sa main de l'étreinte. Elle s'apprêtait  à grimper l'escalier quand il la rappela :

— Au fait, je ne vous ai pas demandé votre prénom ; quel est-il ?

Elle se tourna pour lui répondre, il s'était avancé et elle dut lever la tête pour voir son regard. Il se pencha et posa délicatement un baiser sur son front.

— J'ai envie de mieux vous connaître, dites-moi que l'on se reverra bientôt...

— Oui, peut-être... au revoir !  fit-elle en se sauvant.

Cette nuit-là Ivan dormit très mal. Il revoyait l'abbaye, un orage éclatait dans la nuit. Seul sous la pluie qui s'était mise soudain à tomber en trombes, il avançait dans l'allée conduisant au bâtiment. Une lumière lui indiquait le chemin à suivre. Cette clarté venait d'une des fenêtres où l'on apercevait une femme tout de blanc vêtu qui  semblait lui faire signe. Sous les traits de cette apparition, il reconnut Célestine.

De son côté, dans la pièce située juste au dessous de la chambre d'Ivan, Célestine dormait paisiblement. Son sommeil était rempli d'images chaudes et sensuelles. Elle était dans cette grande baignoire , on ne voyait que sa tête qui émergeait d'une mousse bleutée et, tout à coup, une autre tête surgissait à l'autre bout de la baignoire. C'était Ivan !

À suivre

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mardi, 15 décembre 2009

462. Célestine Chardon -17-

           LA VIE BIEN ORDINAIRE DE CÉLESTINE CHARDON
Chapitre 17 : la mort de Léon
podcast
Avant de sortir pour acheter le pain, Célestine se mit en tête d'écrire une lettre à son futur voisin. Elle voulait lui présenter ses excuses après l'incident survenu à propos de Théo :

Bonjour,

Je suis la propriétaire du chat qui s’est retrouvé enfermé dans votre appartement. Je vous prie de bien vouloir accepter toutes mes excuses pour le désagrément causé. La serrure de votre porte a dû être changée. Tous les travaux ont été effectués en présence de Monsieur Marc Legendre, votre agent immobilier. D’autre part j’ai réglé tous les frais occasionnés. Vous trouverez les nouvelles clés dans cette enveloppe.

Mes sincères salutations

Célestine Chardon

Un peu plus tard, elle glissa l'enveloppe dans la boite à lettres située à l'entrée de l'immeuble. C'était la seule boîte sans nom d'inscrit. Elle songea alors à son vieil ami Léon Souborovski et pensa avec nostalgie que bientôt le même nom figurerait de nouveau au même endroit. Les choses sont souvent un éternel recommencement, se dit-elle en refermant la lourde porte cochère et en se dirigeant rapidement vers la boulangerie.

Il y avait foule, comme d'habitude le dimanche matin et elle dut faire la queue sur le trottoir. Mais qu'importe, elle était partie dans ses souvenirs et avançait peu à peu, machinalement. Elle revoyait Léon dans son appartement. Quand elle était arrivée à cet endroit, il vivait déjà là tout seul et Célestine n'avait jamais eu l'occasion de rencontrer son fils. Tout ce qu'elle savait de lui, elle l'avait appris par Léon et c'était fort peu de choses en fait. Léon avait fait un trait sur son fils, il l'avait rayé de sa vie et comme c'était une vieille tête de mule, il n'avait jamais voulu revenir sur sa décision. Ce que Célestine ignorait c'est qu'Ivan avait fait plusieurs tentatives pour revoir son père. Mais le vieil ours raccrochait le téléphone dès qu'il reconnaissait la voix de son fils. A deux ou trois reprises Ivan était venu jusqu'à la porte du logement qui était restée close...Et puis le tourbillon de la vie l'avait entraîné vers d'autres horizons, il avait fini par oublier peu à peu son père, sa voix, son visage seul restait gravé dans sa mémoire et il en rêvait parfois la nuit.

C'est le notaire qui l'avait prévenu du décès. Il était à ce moment-là pris par une exposition à New York et il lui était impossible de se décommander; Il avait donc chargé le notaire, qui était un ancien copain de lycée,  de toutes les formalités. Il passerait le voir à son retour.

C'était par un glacial après-midi de janvier 2000. Le convoi funèbre avançait lentement dans l'allée principale du cimetière Lasalle...Quatre personnes suivaient la voiture. Tout d'abord le notaire, emmitouflé dans son grand pardessus noir, qui discutait politique avec le voisin du premier. Juste derrière Célestine donnait le bras à la femme de ce dernier. Elle avait les yeux rougis par le froid mais aussi par le chagrin. La voisine répétait comme un leitmotiv:

— Quand même ! Vous parlez d'un fils, vous ! Il ne se déplace même pas pour l'enterrement de son père.

Léon aurait tout aussi bien pu être le père de Célestine, elle avait appris à le connaître et elle l'aimait beaucoup. Des fois elle l'invitait à venir partager son dîner le soir et elle l'écoutait raconter ses histoires de guerre, sa vie dans les camps. Elle se souvient encore du matricule qui était tatoué sur son avant-bras gauche. Quelquefois Léon apportait des photos. C'est ainsi qu'elle avait vu le petit Ivan sur la plage à Mogador et puis le visage troublant d' Irena, la femme de Léon. Un soir Léon arriva avec un paquet à la main, enrobé dans du papier journal. Il le tendit à Célestine en disant:

— Tiens, Célie, reçois ce petit cadeau en souvenir de moi. J'y tiens beaucoup car cela vient de mon épouse. Regarde, fit-il en défaisant la ficelle qui attachait le paquet, voici le portrait de la grand-mère de mon épouse; elle s'appelle Tatiana Polanska, c'était une vieille paysanne polonaise. Je trouve que par certains côtés tu lui ressembles, pas physiquement bien sûr ! fit-il alors en riant et en lui montrant le tableau.celestine17.jpg

Célestine était toute émue. Elle voulut refuser mais Léon insista tellement car elle finit par accepter et trouva tout de suite l'endroit où accrocher le tableau : dans son salon, près de la fenêtre. Léon profita de l'instant présent pour lui installer aussitôt. Ainsi quand on entrait dans la petite pièce, le regard se posait tout de suite vers ce visage austère de femme slave au regard inquisiteur.

Les années s'écoulaient doucement dans cet immeuble de la rue des Trois-Pucelles. Léon s'affaiblissait peu à peu. Quand elle en avait l'occasion, Célestine allait se promener avec lui à travers la ville et sur les bords de la Loire. Ils marchaient de plus en plus lentement. Puis les promenades se firent de plus en plus rares et les trajets devinrent de plus en plus courts jusqu'au jour où Léon n'eut plus la force de se lever. Les retraités du premier ainsi que Célestine se relayaient pour lui faire ses courses. Célestine possédait un double des clés ce qui lui permettait d'intervenir en cas de maladie...Elle ne se servit de cette clé qu'une seule fois. C'était un dimanche matin, fin décembre, Noël était passé depuis peu. Elle avait préparé un bœuf bourguignon et en apportait une part à son ami. Quand elle frappa à la porte, personne ne répondit. Elle pensa alors qu'il dormait peut-être encore. Elle ouvrit donc la porte avec sa clé, frappa assez fort et entra en criant:

— Monsieur Léon, c'est moi ! Où êtes-vous ? Mais Léon ne répondit pas, elle le trouva dans son lit, il haletait, les yeux dans le vague. Il avait vomi du sang et un mince filet coulait entre ses lèvres. Prise de panique, Célestine se précipita hors de l'appartement et alla sonner chez les voisins. Ils prévinrent aussitôt les pompiers et Léon fut transporté aux Urgences de l'hôpital Trousseau. Célestine avait accompagné les pompiers dans l'ambulance. Elle resta plusieurs heures dans la salle d'attente pour obtenir des nouvelles. Puis enfin un interne s'approcha d'elle:

— Vous êtes la personne qui accompagnait Mr Souborovski ?

— Oui fit-elle, très anxieuse. Comment va t-il ?

— Nous avons fait tout ce que nous pouvions, mais je crains que ce ne soit pas suffisant. Actuellement il est dans le coma et nous sommes plutôt pessimistes quant à l'avenir.

— Ah bon, fit-elle en n'arrivant pas à ravaler ses larmes qui dégoulinaient tout le long de son visage.

— Je suis véritablement navré ...fit l'interne. Je dois vous ennuyer encore avec la paperasserie. Vous devez passer au secrétariat pour remplir le formulaire d'admission. Vraiment je suis désolé mademoiselle....

Mais Célestine avait déjà fait demi-tour, prise par une crise de sanglots qu'elle ne pouvait maîtriser. Elle sortit dehors prendre un peu l'air. Elle revivait la même scène qu'elle avait vécue quelques années auparavant à la mort de son père. Tout se mélangeait dans sa tête à cet instant. Elle crut être retournée dans le temps...

Un peu plus tard, elle se présenta au guichet. Elle donna son numéro de téléphone pour qu'on la prévienne en cas de décès, indiqua qu'elle ne lui connaissait qu'un fils mais elle ignorait son adresse.

Il était fort tard quand elle rejoignit son appartement. Mais elle se rendit quand même chez Léon, nettoya le sol sur lequel gisaient  les restes froids du bourguignon, ôta les draps salis et refit le lit afin de laisser tout bien propre et en ordre. Elle savait Léon très méticuleux et voulait en cela que tout soit comme il aurait souhaité. Puis elle consulta le répertoire posé près du téléphone. Peut-être trouverait-elle un numéro, une adresse ?  Le petit carnet était pratiquement vierge ! Seuls y figuraient deux numéros de téléphone. Le premier était inscrit à la page des I: Ivan, n° 01........ et le deuxième était à la lettre N: notaire M......02.47.....

Elle connaissait le notaire, c'était le sien. Elle se dit qu'elle appellerait le lendemain matin à la pause de dix heures. Quant au premier numéro, il s'agissait certainement du fils de Léon, Ivan. Elle devait appeler pour en être certaine. Elle prit le calepin dans sa poche, éteignit la lumière et referma doucement la porte.

Elle était très anxieuse à l'idée d'avoir à prévenir quelqu'un pour lui annoncer que son père, qu'il n'avait pas vu depuis belle lurette, était sur le point de mourir. Mais si elle ne le faisait pas, personne aurait pu le faire à sa place. C'est l'importance de cet acte qui la rendait nerveuse. Elle regarda l'heure : vingt-deux heures ! C'était un peu tard pour appeler ! Oui, mais la situation était grave ...

— Allo, oui ? Oui vous êtes bien chez Ivan Souborovski, c'est à quel sujet ? En arrière-fond Célestine percevait des bruits confus de musique, de rires. C'était une femme qui parlait, elle parlait fort, elle avait une voix rauque, la voix de celles qui fument ou ont fumé beaucoup.

— Je m'appelle Célestine Chardon, je suis la voisine de Mr Léon Souborovski à Tours. Je voulais prévenir son fils que son père a eu un...

— Ah , mais mon mari n'est pas là, il est en ce moment à New York et quand bien même le voudrais-je, je suis dans l'incapacité de vous dire où il est exactement ! Désolée de ne pouvoir vous aider!  Et elle raccrocha.

Célestine était stupéfaite ! Elle ne s'attendait pas du tout à ça...Il ne lui restait donc que le notaire à prévenir.

Léon Souborovski ne sortit pas du coma dans lequel il était plongé. Il mourut trois jours plus tard, au petit matin. Entre temps, Célestine avait informé le notaire qui lui confirma qu'il prenait les choses en mains et préviendrait son fils qu'il connaissait très bien.

— Alors mademoiselle Chardon ? Encore en train de rêvasser ? Je vous mets quoi ce matin ?

Brusque retour à la réalité. La boulangère la regarde en rigolant.

— Oh, oui, pardon c'est à moi ! Donnez-moi une baguette s'il vous plaît ! Et rajoutez un croissant aux amandes.

À suivre