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mardi, 03 février 2009

27. Dernière nuit tropicale -1-


podcast

Le soleil décline peu à peu dans le ciel plombé et la chaleur se fait plus douce. Seul le grondement violent et irrégulier des vagues déferlant sur la plage vient rompre le silence des lieux.

Alice est venue tôt car elle sait que ce soir est son ultime chance de pouvoir photographier le coucher du soleil au-dessus de la mer. La plage s’étend à l’infini, bordée de palmiers penchés de façon très irrégulière. Au loin on peut apercevoir les quelques barques des pêcheurs du village alignées sagement sur la grève.

Pour son dernier soir, Alice a revêtu sa robe noire fendue sur les côtés qui lui donne un air chic et sobre à la fois. Elle a posé son sac à dos sur un des fauteuils de la plage mis à disposition des touristes sous de larges parasols en paille. Mais les touristes de l’auberge située au bord de la plage sont repartis, hormis deux ou trois couples et une Finlandaise.

Après avoir minutieusement regardé dans le viseur et réglé tout aussi minutieusement l’objectif, elle s’apprête à appuyer sur le déclic quand soudain elle aperçoit un homme.

Flûte alors, quel emmerdeur, il ne peut pas se foutre ailleurs celui-là ? dit-elle à mi-voix tout en abaissant les bras.

L’homme est jeune, la trentaine tout au plus, élancé, l’allure sportive. Il est vêtu d’un pantalon sombre et d’un tee-shirt jaune d’or qui tranche sur sa peau couleur ébène. Il s’avance dans sa direction en arborant un large sourire :

Bonjour, je m’appelle Julien et je suis guide à l’auberge. Vous êtes en vacances ici ?

Le ton est chaleureux et la mauvaise humeur d’Alice disparait aussitôt.

Bonjour, moi c’est Alice. Oui, je suis à l’auberge avec deux amis. Mais nous partons demain. Aussi j’en profite pour faire des photos, j’aimerais avoir un beau coucher de soleil avant mon départ.

Et la conversation s’installe peu à peu. Julien lui énumère les lieux qu’il fait découvrir et Alice lui raconte son périple à travers le pays et les impressions qu’elle en retire. Ils finissent bientôt par se tutoyer.

Ce qui m’a un peu dérangée, c’est de ne pas trouver de cybercafé ici pour aller sur mon blog, conclut-elle.

Mais si, il y en a un, il est situé sur la route principale ! Si tu veux, je peux t’y conduire.

Voyons voir, quelle heure est-il ? Dix-huit heures trente. C’est loin d’ici ?

Non, il faut environ quinze minutes à scooter.

Bon, d’accord, je veux bien y aller, mais je dois rentrer au plus tard à dix-neuf trente pour le dîner avec mes amis.

Ne t’inquiète pas, tu sais, ici en Afrique, il n’y a jamais de problèmes…

Il n’y a que des solutions, je sais ! rajoute Alice en riant.

Le scooter de Julien est garé à l’entrée de l’auberge et bientôt ils s’élancent sur la piste ocre en direction de la grande route.

Alice, qui avait passé ses bras autour de la taille du jeune homme par crainte de tomber, finit par desserrer son étreinte et pose pudiquement ses mains sur ses épaules. Elle se souvient alors de la toute première fois où elle est montée sur une moto. C’était en Allemagne de l’est, à Greifswald, ville universitaire située au bord de la mer Baltique et où elle séjournait pour un mois afin de parfaire son allemand. Durant son séjour elle avait reçu la visite d’un de ses nombreux correspondants, journaliste à Berlin-est. Il avait fait le trajet aller-retour uniquement pour la revoir. Elle avait à l’époque vingt et un ans, c’était en 1970. Car Alice a bientôt soixante ans, mais elle préfère dire quarante-vingt ans, elle trouve que ces deux nombres reflètent les deux plus beaux âges d’une femme.

Le fait de penser soudainement à son âge la plonge dans une profonde tristesse…

 

A suivre

vendredi, 09 janvier 2009

12. Que se passe t-il donc en Normandie ? (2ème partie)

Je n’attendais pas une réponse aussi rapide de mon informateur accroché à son îlot du Pacifique comme une bernique à son rocher. Mais c’est tant mieux !

Comment fait-il donc pour obtenir toute cette foule de renseignements alors qu’il est si loin de tout ? Mais ce n’est pas le propos de la note.

En téléphonant à Alphonse hier, j’avais bien senti qu’il n’était pas à l’aise et qu’il me cachait des choses. Sa voix était tremblotante, on aurait dit qu'il avait peur. Peur de quoi ? De qui ?

Les propos de Manutara viennent confirmer cette impression. Mais plutôt que de vous en faire un résumé, je vous laisse lire,  que- dis-je, savourer la prose facétieuse de mon correspondant du Pacifique :

 

" Ce fut un bien misérable échantillon d'humanité qui débarqua aux aurores à l'aéroport de Tahiti Faaa, en cette belle journée du millénaire naissant. Elle, titubant de sommeil, ses cheveux gras emmêlés en une lutte féroce pour la conquête d'un chignon branlant auquel aucun peigne ne pourrait jamais plus donner forme humaine, sa face livide ensanglantée par un rouge à lèvre au goût amer, son corps informe engoncé dans un tailleur trop étroit dont elle s'efforçait d'extraire la partie postérieure profondément enfoncée dans la raie médiane de ses fesses en adoptant une démarche alternativement chaloupée et plongeante lui donnant l'aspect d'une hourque surchargée sur le point de sombrer, lui, tiré des vapeurs éthyliques de quelque cauchemar nauséeux, s'efforçant de plaquer sur le sommet de son crâne, aplati au-dessus d'un front en déroute, les quelques soies de porc lui tenant lieu de chevelure tout en essuyant du revers de sa grosse main poilue la sueur épaisse inondant son facies porcin où un nez aux proportions obscènes s'ouvrait sur deux narines outrancièrement dilatées humant l'air avec l'avidité d'une bouche d'égout dont les entrailles se perdaient dans les méandres d'un corps aux allures de monument aux morts qui n'aurait que très rarement connu le chemin des dames malgré l'absence d'une jambe, la droite, perdue, non dans quelque sanglante et héroïque bataille, mais par la faute d'un ongle incarné mal soigné dont la pourriture insidieuse avait fini par gagner l'ensemble du membre. Ces deux êtres, si parfaits dans leur commune laideur, s'appelaient Paul et Virginie. Bien entendu, Paul et Virginie se haïssaient. Ils se haïssaient d'une haine telle qu'elle avait fini par les rendre inséparables. C'est que tous deux nourrissaient pour la haine une passion dévorante. Et dévorer c'est ce qu'ils firent.
Le défunt mari de Virginie, un homme bon que l'absence de glandes salivaires avait fini par rendre incontinent, fit avec Virginie un mariage en double aveugle. Malheureusement pour lui, on lui refila un placebo qui s'avéra mortel. Il avait coutume de dire que sa femme était aimable comme une porte de prison mais, au bout du compte, il lui préféra la prison. Il tenta ensuite de noyer son chagrin dans le cidre mais c'est son chagrin qui le noya.
Si l'on remonte dans l'enfance de Virginie on retrouve un père et une mère, ce qui dans le fond n'a rien de bien extraordinaire, si ce n'est qu'ils se pendirent tous les deux le même jour à la même heure, l'un au grenier et l'autre à la cave, irréconciliables jusque dans la mort. Si l'œil indiscret d'une caméra s'était invité aux funérailles des malheureux parents, il aurait pu immortaliser l'étrange sourire qui illuminait le visage, déjà passablement disgracieux, de la petite Virginie. L'enfant fut placée dans divers foyers jusqu'à sa majorité. Foyer est du reste le terme qui convient, puisque la petite Virginie grandit sur les ruines fumantes des malheureuses familles qui avaient eu l'imprudence de lui ouvrir leur porte.
Quant à Paul, on ne sait pas grand chose de son enfance si ce n'est qu'il n'en eut pas vraiment. Embarqué très jeune à la morue, sur les bancs de Terre-Neuve, on dit qu'il dériva pendant plusieurs semaines sur un Doris, perdu dans les brumes de ces inhospitaliers parages. Quand on le retrouva, seul survivant d'un équipage de quatre marins, on ne s'étonna pas de l'étrange embonpoint qu'il affichait et qui ne fit que s'accroître au fil des ans. Quelques naufrages plus tard, on retrouve sa trace en 1978 sur l'Amoco Cadiz.. La perte de sa jambe droite mit fin à sa carrière de marin. Il refait surface au milieu des années quatre-vingt-dix, lorsque son destin croise celui de Virginie. Elle venait d'acculer à la ruine et au suicide un honnête fabricant de tripes et lui venait de mettre à la porte de son humble demeure sa vieille mère pour la faire enfermer dans un asile où, de notoriété publique, l'espérance de vie ne dépassait pas celle d'un prisonnier de goulag soviétique. Cette rencontre eut lieu dans le bar d'un hôtel de la rue de la Savonnerie de Rouen où, chacun de son côté, ils fêtaient leur succès. Un verre en amenant un autre, le récit d'une mauvaise action en rappelant une autre, le désir de surpasser l'autre en vilénie et en laideur fit que, très rapidement, une haine profonde cimenta leur indéfectible inimitié. C'est alors qu'ils ourdirent un plan dont l'évocation seule me fait frémir d'horreur! "

J'en reste un peu abasourdie et parallèlement assez inquiète. Bonie et Clyde sont des enfants de cœur à côté de ces deux-là. virginie.jpg

De mon côté, j'ai donc rappelé Alphonse. Il ne m'a pas caché plus longtemps la frousse que lui inspirait Virginie à chaque fois qu'il la rencontrait. D'ailleurs il m'a fait parvenir une photo d'elle, photo datant de plus de dix ans déjà et prise à l'improviste. C'était bien avant qu'elle ne commence le régime Wheigt Watcher qui devait lui faire perdre par la suite une bonne vingtaine de kilos.

Une question vient immédiatement à l’esprit : mais quel est donc ce plan diabolique qui fait ainsi frémir l’audacieux marin ? Lui seul semble savoir… Cela attise ma curiosité tout de même !

 

 

jeudi, 08 janvier 2009

11. Que se passe t-il donc en Normandie ? (1ère partie)

Suite au message plutôt brumeux reçu sur mon blog « portrait » ( voir la note n°9), Manutara me fait remarquer-à juste titre d’ailleurs- qu’il n’y a jamais de fumée sans feu et qu’il doit se passer de bien drôles de choses au pays des tripes et du cidre. Il n’en faut pas plus pour attiser ma curiosité naturelle. Menons l’enquête ! pensai-je aussitôt.

Oui, mais par quel bout commencer ?

La chose la plus importante est de savoir ce qui a bien pu se passer en Normandie en 1996 pour déchaîner une telle hargne chez la personne qui m’a écrit.

Aussi, je me suis empressée de décrocher le téléphone et d’appeler Alphonse. Alphonse est un cousin de mon amie Roselyne qui habite à Rouen, mais qui a travaillé comme gardien de nuit dans les entrepôts du port du Havre. C’est d’ailleurs comme ça que j’ai appris la filière des fausses tripes à la mode de Caen produites par les Chinois à partir de chiens malades. Mais ceci est une autre histoire.

Alphonse est marié avec Monique, une belle brune qu’il avait connu à Saint-Claude lors de son service militaire. Elle exerçait à l’époque la noble profession de tailleuse de pipes, profession qui bénéficie d’une réduction d’impôts ( je le précise pour ceux qui seraient intéressés). Or Monique a un frère, Eugène Portebœuf, qui fut gardien à la prison de Caen entre 1990 et 1997. Ce pauvre Eugène – je dis « pauvre » car il fut retrouvé ivre et noyé  dans sa baignoire sabot remplie de cidre frelaté. Sa femme pourrait sûrement nous en dire plus, mais, mais… et c’est là le hic ! Elle disparut mystérieusement peu de temps après.

marin30.jpg

Toujours selon Alphonse, elle avait un amant, un marin qu’elle retrouvait fréquemment dans un hôtel de la rue de la Savonnerie à Rouen. Le bougre était facilement reconnaissable car il avait une jambe de bois ! Il s’en servait régulièrement pour assommer ses acolytes dans les bouges infâmes. Mais je m’égare…

La femme d’Eugène sait des choses, des choses secrètes qui l’ont évidemment forcée à quitter brusquement la métropole. Toujours selon Alphonse, on aurait aperçu son amant du côté de Papeete au début des années 2000.

Donc, si nous voulons en savoir plus sur ce mystère normand, il faut retrouver la trace de La Belle et de la Jambe de bois. Manutara,  je te refile le bébé…

vendredi, 26 décembre 2008

Le mystère de la bobine enfin dévoilé ?


podcast

Rien n’est moins sûr. L’enquête avance peu à peu, le décalage horaire entre les intervenants ralentissant largement l’enquête en cours. Mais reprenons l’histoire à son début.

blanche28.jpgLa semaine dernière, je mettais en ligne une photo que je croyais parfaitement anodine, celle de ma tante flânant dans la rue Nationale, par une belle après-midi d’hiver.

Et soudain, voilà qu’un de mes lecteurs, vivant sur une île quasi déserte au milieu de l’Océan Pacifique, reconnaît deux personnes figurant en arrière-plan sur cette photo :

Manutara : tu aurais aussi pu ajouter que la première photo a été prise un jour férié, un dimanche sans doute. La rue nationale étant orientée Nord-Sud on peut en donc conclure que nous sommes l'après-midi puisque le soleil éclaire les façades orientées à l'ouest. La lumière est encore assez forte, bien que nous soyons manifestement en période hivernale. Je dirais que la photo a été prise entre trois heures et quatre heures de l'après-midi. Les passants ont l'air de flâner et le dimanche, on flâne plutôt l'après-midi que le matin. Pour le mois c'est plus difficile. J'exclue décembre (pas de décorations de Noel). Disons fin janvier.
L'homme que l'on entrevoit en arrière plan, à droite, mérite de retenir toute notre attention. Il ne faut pas se laisser abuser par son air nonchalant, son béret basque et ses mains derrière le dos. C'est un agent du KGB.Il se fait appeler Eugène Masbeuf mais son vrai nom est Piotr Igrichev. Natif d'Omsk. Nous sommes en pleine guerre froide. Il ne fait aucun doute qu'il file la jolie (fausse) infirmière qui s'apprête à dépasser Blanche. Elle se fait appeler Germaine Brioche et s'appelle effectivement Germaine Brioche. A l'époque, les services secrets français, en pleine restructuration, n'ont pas les moyens de se payer le luxe d'une fausse identité. Son air de biche aux abois peut nous laisser supposer qu'elle a repéré son suiveur. Dans sa main gauche, elle tient le microfilm (oui, à l'époque les microfilms étaient encore d'une taille assez respectable) qu'elle s'apprête à glisser, subrepticement, dans le sac à main de Blanche.
Accessoirement, on peut préciser que le chien est un caniche nain et qu'il souffre de constipation chronique.

Tinou :Bien vu ! Sauf, peut-être, pour le choix du jour. Il y a trop de monde dans la rue pour que ce soit un dimanche. Les rues de Tours sont vides le dimanche.
D'autre part Germaine Brioche, qui était catholique pratiquante, ne travaillait donc JAMAIS ce jour-là : repos dominical oblige !
Maintenant, venons-en à la suite de l'histoire que tu ne connais probablement pas et que je vais te narrer :
Effectivement la belle Germaine -dont le nom de code était Gerboise- s'était aperçue qu'elle était suivie par l'affreux Eugène Masbeuf, alias Piotr Igrichev, surnommé "Le bigleux" car il était myope comme une taupe.
Arrivée à hauteur de Blanche, Germaine fit mine de perdre l'équilibre et se rattrapa à la manche du manteau rouge de Blanche. En deux temps trois mouvements ( plutôt quatre que trois d'ailleurs), elle fit glisser la bobine non pas dans le sac qui était fermé mais dans la poche droite du manteau. Blanche bien sûr ne s'aperçut de rien.
À seulement quelques mètres derrière, le Bigleux n'avait pas repéré le manège. Il faut dire que le matin même il avait cassé un des verres de ses lunettes. Et sans lunettes, le Bigleux était incapable de mener à bien une filature. Mais avec Germaine Brioche, c'était différent. Il la suivait au flair car la belle ne se parfumait qu'avec "La tente du bédouin", un parfum exotique de la maison Benladen. Au pif, il continua donc à suivre Germaine et dépassa Blanche sans se douter que la précieuse pellicule était dans sa poche. QUEL SUSPENSE !
Attends la suite : le soir même, Germaine Brioche qui avait rencart avec son chef de réseau dans un estaminet de la rue des Trois Pucelles s'étouffa avec une arête en mangeant un brochet au beurre blanc. Par chance, elle avait eu le temps de dire :
" La bobine est dans la poche d'une petite dame à manteau rouge. Elle est facilement repérable car elle porte des bottines en peau de crocodile du Nil et traîne en laisse un caniche nain noir péteur."
Pauvre Germaine ! Ce jour-là, elle ne pouvait pas prévoir que c'était le début des soldes et que Blanche allait changer sa garde-robe. Elle acheta en effet un manteau blanc cassé assorti d'une paire de mocassins couleur olive verte, et le lendemain de ce jour maudit pour Germaine, le chien allait changer de couleur pour devenir blanc !
Comment allait pouvoir faire le chef des services secrets français pour retrouver Blanche, la bobine et qu'allait devenir Eugène Masbeuf après son échec ?
Manutara : Hé hé...Oui, tout cela ne m'étonne pas. On sent bien en voyant son visage fermé, que Germaine était porteuse d'un destin tragique. Elle portait également le tout premier modèle de gilet pare-balles, qui, discrètement enfilé sur sa blouse, pesait tout de même une cinquantaine de kilos, ce qui peut, en partie, expliquer son air contrarié
.

Tinou : Petite question : comment se fait-il que la pellicule que Germaine Brioche avait placée dans le manteau rouge de Blanche se retrouve maintenant dans la poche intérieure du manteau pelucheux d'une couleur indéfinissable de Krakoukass ?

( Vous trouverez tous renseignements concernant ce personnage au nom effrayant en cliquant ICI).

Manutara : Je crois que j'ai la réponse. Blanche, n'ayant plus l'usage de son manteau, qui à l'époque, on s'en souvient, était rouge, en a fait cadeau au secours catholique, sans se rendre compte que le microfilm pas si petit que ça, mais sa vue avait considérablement baissé, que le microfilm, disais-je, se trouvait dans la poche gauche du dit manteau. A l'époque, le colonel Krakoukass n'était qu'un jeune sous- lieutenant sans le sous mais pas encore lieutenant, en poste à Saumur. Il courtisait la belle (enfin bon, c'est une clause de style parce qu'à y regarder de plus près, elle était pas terrible) Adrienne Bertaupieux. Son anniversaire approchant et ne sachant que lui offrir, il se rendit à Tours et là, dans la vitrine d'une succursale du secours catholique, il le vit. Le manteau rouge qui semblait lui tendre les bras, enfin les manches. Il l'acquit donc pour une somme symbolique, l'emballa élégamment dans du papier kraft usagé et entoura le paquet informe d'un bout de ficelle trouvé dans une poubelle. Le jour venu, il se rendit chez sa promise, qui, bien que vivant modestement de travaux de couture dans un meublé, n'en avait pas moins la notion très précise de la valeur des choses. Elle envoya donc le manteau rouge en travers de la gueule déjà passablement de traviole du Krakoukass qui bien entendu ne s'appelait pas encore ainsi, le créateur de l'identité qui allait le faire entrer dans l'histoire n'étant, probablement, pas encore en état de donner des surnoms douteux à ses contemporains. Donc exit l'Adrienne. De retour chez lui, le Krakoukass ne se résolut point à jeter la loque. Après avoir tiré les rideaux et s'être assuré qu'il était seul dans l'humble pièce qu'il ne partageait avec personne, il passa le manteau. Il minauda un instant devant le miroir fixé à la porte d'une armoire si laide qu'elle aurait pu avoir été achetée chez Conforama, si cette noble enseigne avait existé à l'époque. De petite taille, le manteau lui allait parfaitement. Se rappelant brusquement d'une chose, il se mit à fouiller dans une vieille cantine en fer et en exhiba une perruque rousse, faite en poils d'orang-outang, le seul bien que lui avait laissé sa défunte mère. L'ayant mise sur la tête, il se laissa aller à quelques entrechats grotesques et d'une voix outrancièrement contrefaite s'écria...Je suis le petit chaperon rouge!...Ce jour là, l'armée fut proche de perdre un de ses plus brillants éléments et le monde interlope de la vie nocturne saumuroise (?) faillit s'enrichir d'un nouveau membre. Mais le Krakoukass sut raison garder. Ne se résolvant pas à se débarrasser du manteau, pas plus qu'il ne pouvait se résoudre à se promener dans les rues de cette ville, engoncé dans un manteau de femme rouge, il décida de lui donner une coupe plus virile et une couleur plus conforme à ses convictions politiques. Il confia donc le manteau à un ami taxidermiste et c'est ainsi qu'un quart de siècle plus-tard, nous le retrouvons négligemment jeté sur une cantine de fer à l'aéroport de Nice-Côte d'Azur. Et au fond de la poche gauche...

HILTON (2).JPG

 

Tinou : ne me dis pas que la bobine y est encore ? C’est une véritable bombe à retardement qu’il transporte avec lui, le pauvre Krakoukass ! Il paraîtrait –mais ce ne sont que des rumeurs- que Germaine Brioche aurait filmé les débats amoureux entre Joseph, le petit Père du Peuple avec une actrice américaine du nom de Marylin M., alors qu’il était allé secrètement jouer l’argent du Plan Quinquennal à Las Vegas, déguisé en Mickey …Il était descendu incognito au Hilton quelques mois avant sa mort. Tu imagines bien que si cela avait été révélé au monde, le Mur de Berlin n'aurait jamais été édifié et il n’y aurait pas eu la répression de Budapest, ni celle de Prague. M’enfin bon…On ne va pas refaire l’histoire.

Pour en revenir à Germaine Brioche, j’ai appris il y a peu de temps que sa mort n’avait rien eu de naturel. Confirmation d’Adolphe, cousin de la nièce de ma concierge, madame Quintal, et qui, à l’époque, fréquentait la fille naturelle du patron des Trois Pucelles, un restaurant glauque dans les bas-fonds du vieux Tours où Germaine avait donné rendez-vous à son supérieur hiérarchique des services secrets. Un individu suspect se serait introduit dans la cuisine du restaurant et aurait versé le contenu d’une fiole dans l’assiette de la pauvre Brioche ! Sa mort n’était donc pas le fait d’une malencontreuse arête coincée dans la gorge, mais bien un empoisonnement au cyanure.

A suivre ?

Peut-être…tinou1960.jpg

Tiens au fait, j'ai retrouvé par hasard une photo d'Adrienne Bertaupieux à l'époque où elle faisait parler d'elle dans les soirées branchées de Saumur. Effectivement, elle ne casse pas trois pattes à un canard !

samedi, 06 décembre 2008

En partance (fin)


podcast

Barcelone 327a.jpg

Je suis cuistot  et je cherche justement un job en ce moment !

Le marin à qui il s’adressait le dévisagea un instant puis répondit :

C’est peut-être la chance de ta vie. On doit lever l’ancre d’ici peu de temps et il nous faut absolument trouver quelqu’un. Suis-moi, on va aller voir le commandant.

Et les deux hommes s’engagent rapidement sur la passerelle du bateau tandis que les badauds s’éparpillent peu à peu sur le quai.

Le commandant du porte-containers finissait de discuter avec les policiers. Il était passablement irrité par cet imprévu qui risquait de retarder le départ. Il n’avait pas besoin de ça, c’était déjà suffisamment difficile de faire régner l’ordre à bord avec un équipage hétéroclite, composé d’Indiens et d’Indonésiens qui à la moindre occasion se tapaient dessus comme des chiffonniers. 

Quand son second lui présenta enfin Marc, il se dit que c’était une aubaine tombée du ciel.

OK mon gars, tes papiers sont en règle. Je te prends à l’essai. Il te reste une heure avant que nous levions l’ancre. Sois là car nous ne t’attendrons pas !

Marc était fou de joie mais il se retint de le montrer. Ce n’est qu’en dévalant la passerelle qu’il laissa son bonheur exploser. Il s’élança sur le quai, il ne marchait pas, il courait, il sautait, il volait, il virevoltait, il filait vers la pension, la tête pleine d’images de bateaux, de mer, de paysages lointains. Il ne vit pas…

rueBarcelone4.jpgTrou noir. Marc ne voit rien, il entend confusément des voix qui parlent autour de lui. Il n’a pas mal, non, il ne sent rien. Il revoit le visage de sa mère.

T’es là maman ? Tu diras à Pedro que j’ai réussi ! Dans quelques semaines, je serai à Valparaiso. Valparai…so, Val…pa…

L’infirmier lui ferme les paupières en soupirant.

Tu peux ralentir, c’est trop tard pour lui ! dit-il alors au chauffeur de l’ambulance.

Sur le quai, la foule des badauds s’est de nouveau agglutinée autour du camion à l’arrêt. Les policiers prennent la déposition du chauffeur qui, très agité, explique :

Je n’ai rien pu faire, il s’est carrément jeté sous mes roues ! Pourtant j’ai klaxonné, mais c’est à croire qu’il était sourd.

A bord du bateau, le commandant fou de colère donna l’ordre d’appareiller.

Au moment où l’ambulance arrivait à l’hôpital, le bateau quittait le port de Barcelone.

Barcelone 354a.jpg

FIN