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vendredi, 27 novembre 2009

426. Célestine Chardon -7-

     LA VIE BIEN ORDINAIRE DE CÉLESTINE CHARDON

Chapitre 7

podcast
C'était Lucie Froju qui venait de sonner.

— Coucou Célestine ! Alors, comment ça va depuis hier ?

— Bien, bien, répondit celle-ci. Tu savais, toi, que nous avions de nouveaux locataires ?

Elles se tutoyaient toutes les deux depuis qu'elles avaient travaillé ensemble aux Nouvelles Galeries. Lucie Froju était une jeune femme chaleureuse, toujours prête à rendre service. Elle avait trouvé en Célestine une oreille attentive à qui elle pouvait se confier quand cela n'allait pas. Et les occasions ne manquaient pas ! Lucie était à la recherche du prince charmant, mais elle avait beau chercher, elle n'avait rencontré jusqu'à présent  que des hommes mesquins, médiocres et pantouflards. Sa peur de la solitude était telle qu'elle choisissait un peu n'importe qui.

— Les nouveaux ? Oui, je sais, Marc m'en a parlé.

Marc Legendre était un ami d'enfance de Lucie qui travaillait dans une agence immobilière située dans le vieux Tours. Il connaissait le quartier par cœur et était au courant de tous les potins.

— Marc m'a dit que c'était un couple en instance de séparation ; lui, c'est un artiste peintre. Il recherchait un petit appart' par ici car il adore le quartier. Mais apparemment il loue pour lui tout seul en attendant de trouver une maison dans la région.

— Quelle drôle d'idée de venir ici ! Et pourquoi spécialement à Tours ? ajouta Célestine très intriguée.

— Ah, il parait qu'il est né à Tours et qu'il avait envie de revoir sa ville natale. Peut-être qu'il va peindre des tableaux du quartier; ce serait amusant, non ? questionna  Julie. 

— Il est connu comme peintre ? renchérit Célestine.

— Il parait que oui, moi je n'y connais rien. Marc m'a dit qu'il faisait parfois les gros titres des journaux, mais surtout pour sa vie privée qui est assez, comment dire, déjantée !

— Comment ça, déjantée ? s'inquiéta Célestine qui imaginait déjà son immeuble envahi par une faune d'excentriques de tous poils.

— Ah, tu sais, les artistes sont des gens bizarres, il parait qu'il picole pas mal et il est souvent entouré d'une bande de gens du même acabit. Ecoute, on verra bien !...Mais je n'étais pas venue pour ça ! Ton invitation pour dix-neuf heures chez Olivier, ça tient toujours ?

— Oui, oui, tu viens, n'est-ce pas ? Je compte sur toi !

— Pas de problème ma petite Célie, je serai là. Tu as eu une excellente idée d'inviter tout le monde chez Olivier. Ça va être sympa... Tiens, au fait, pendant que j'y pense, je récupère mon aspirateur ! Ce n'est pas qu'il me manque, mais je risque de le chercher un peu partout quand je voudrai m'en servir. Allez, à plus Célie!  Et la voilà repartie d'un pas rapide.

C'est Lucie qui, un jour, avait trouvé ce diminutif de Célie pour Célestine. Cela lui allait bien et tous ses amis l'appelaient souvent ainsi. Elle regarde l'heure : dix-sept heures ! Encore deux heures à attendre avant de se rendre chez ses voisins d'en face, le café tenu par Olivier et sa femme, des gens qu'elle affectionne et chez qui elle a donné rendez-vous à tout son petit groupe d'amis pour fêter, joyeusement cette fois, son départ à la retraite. 

Elle n'a pas entendu la camionnette et la voiture partir. Ainsi donc, ils allaient avoir un artiste dans l'immeuble ! Elle réalise qu'elle a oublié de demander à son amie  comment s'appelle ce peintre. Et qu'est-ce qu'il peignait ? Du figuratif ? De l'abstrait ?...

A dix-neuf heures, Célestine poussa la porte du petit café. Quelques-uns de ses amis étaient déjà arrivés : il y avait Pierre, le jeune bouquiniste de la rue, qui depuis une dizaine d'années maintenant vivotait tant bien que mal dans sa petite boutique envahie par les livres ; on y trouvait de tout et c'était peut-être là le problème ! Célestine avait toujours pensé qu'il aurait dû se spécialiser dans un genre, la science fiction ou les B.D, par exemple. Au lieu de cela, il emmagasinait tout ce qu'il pouvait récupérer et n'avait ainsi jamais ce que ses clients recherchaient.

Pierre était en pleine conversation avec Laura, sa copine qui tenait une boutique d'objets qu'elle créait  elle-même, des boîtes décoratives, des bijoux, des mobiles... Son commerce marchait assez bien car elle avait su varier ses créations et les prix étaient très abordables.

Dans la cuisine, Ahmed, l'épicier marocain de la rue, aidait la femme d'Olivier à garnir les assiettes. Ahmed, c'était le rayon de soleil de cette rue, toujours de bonne humeur, toujours chantant et blaguant. Il était marié à une Française, Françoise, qui travaillait comme secrétaire médicale. Ils avaient deux adorables petites filles dont Ahmed était très fier. Il ravitaillait en fruits et légumes tous les habitants de la rue et même du quartier. Son étal méritait qu'on en fasse un tableau !

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Marc était en train d'aider Laura à déballer les acras de morue encore tout chauds que Maria, une autre amie de Célestine, avait préparées durant tout l'après midi. Manquaient encore à l'appel Roseline et Maryse. Roseline arriverait plus tard, c'était prévu. Quant à Maryse, elle devait laisser ses enfants chez son "ex" avant de venir...

Lucie arriva en retard, à cause de ma quiche qui n'était pas cuite ! ajouta-t-elle en signe d'excuse. Olivier avait préparé un punch  à réveiller un mort comme il dit en servant chacun des convives. Puis, profitant que son dernier client venait de partir, il ferma le café et toute la joyeuse équipe continua à discuter tranquillement des nouvelles.

— Dis-donc Marc, fit Pierre, c'est qui le zigoto qui a emménagé cet après midi ? Il n'avait pas grand chose comme meubles. Au bout de deux heures, ils avaient fini de décharger. Et la nana, quelle pimbêche !

— Bof, c'est un artiste, répondit Marc. Il ne fait que passer, il recherche une propriété en dehors de la ville avec pas mal de terres autour. Côté finance, il assure ! Il est parti pour le Maroc tout le mois de juin et revient en juillet. Je suis chargé de lui trouver la perle rare, mais ça ne va pas être coton, car je ne suis pas le seul sur l'affaire, tu penses bien !

— Flûte alors, je les ai loupés, s'exclama Lucie que le punch avait rendue toute excitée. Il paraît que la nana avait une belle voiture ?

— Oui, une M.G, c'est un roadster anglais, la classe..., renchérit Marc. C'est la voiture de madame. Monsieur, lui, ne conduit pas d'après ce que j'ai pu comprendre. En attendant, c'est une affaire en or si je la réussis. Je vais me faire une commission du tonnerre si je lui dégote une propriété qui lui plait, je croise les doigts, fit-il en accompagnant le geste aux paroles. Si ça marche, je vous invite tous au restaurant !

— Oui, bravo, c'est toi le plus beau ! s'écria Lucie et tout le monde d'applaudir, de rire et de bavarder jusqu'à une heure avancée de la nuit.

Il était deux heures quand Célestine réintégra son petit appartement. Mais, en entrant, elle fut surprise de ne pas trouver Théo. Elle réfléchit pour se souvenir à quel moment de la journée elle l'avait aperçu pour la dernière fois. Bon, à midi il était là puisqu'elle lui avait donné du jambon...Et quand elle est partie à sept heures ? Elle ne se souvenait pas l'avoir vu à ce moment précis. Il se sera sauvé,  cela arrive quelquefois. Il profite d'un moment d'inattention pour se faufiler entre les jambes de Célestine et il va se balader dans le quartier. Elle n'est jamais tranquille dans ces cas-là, elle a peur qu'il se fasse renverser par une voiture ou bien encore qu'il soit kidnappé  pour servir ensuite de cobaye dans un laboratoire.

Célestine a bien du mal à trouver le sommeil ce soir-là. Avant de se coucher, elle a pris soin de laisser la fenêtre ouverte, des fois que son chat  serait grimpé sur les toits... Durant la nuit, d'étranges rêves viennent la harceler : elle voit la pimbêche au volant de sa voiture. Théo est sur la route, immobile. La voiture fonce alors à vive allure, mais au moment où elle va écraser le chat, un homme apparaît brusquement, il prend le chat dans ses bras. La voiture fonce sur l'homme, mais au fur et à mesure qu'elle se rapproche elle devient plus petite et elle disparaît mystérieusement dans le corps de l'homme qui reste impassible. Plus de voiture ! Célestine est au bord de la route, assise sur un banc. Elle a assisté à la scène sans bouger. Elle reconnaît le peintre qui s'avance vers elle. Théo se met alors à parler:

— Tu vois Célestine, j'ai un nouvel ami, il s'appelle Ivan, il m'a sauvé la vie. Tu dois te montrer très gentille avec lui car c'est un homme malheureux.

Elle se réveille brusquement, en sueur. Sa première pensée est pour Théo. Elle se lève précipitamment et va dans la cuisine. La gamelle du chat est intacte. Il n'est pas venu manger !   

Ivan ! D'où sort-elle ce prénom ? Elle a oublié de demander à Marc le nom du peintre. S'appellerait-il Ivan ? Ce serait bien étrange quand même ! Mais sa préoccupation première est Théo. Elle regarde l'heure à sa montre: six heures.

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Pour sûr qu'elle ne va pas se recoucher maintenant. Elle jette un coup d’œil par la fenêtre ; au dehors tout est silencieux et sombre. C’est dimanche…

À suivre

jeudi, 26 novembre 2009

425. Célestine Chardon -6-

                    LA VIE BIEN ORDINAIRE DE CÉLESTINE CHARDON

Chapitre 6

podcast
C'est avec une certaine appréhension que Célestine attendait l'arrivée de ces nouveaux voisins. Elle savait, pour l'avoir vécu précédemment, que parfois des conflits peuvent apparaître, engendrés bien souvent par une incompréhension mutuelle. Ainsi, quand elle était arrivée tout au début dans l'immeuble, le rez-de-chaussée était occupé à cette époque par un homme seul qui, n'ayant rien à faire, prenait un plaisir sadique à enquiquiner tous les locataires. Il guettait le matin de bonne heure le départ du locataire du premier qui partait de chez lui vers cinq heures pour se rendre à son travail situé à plus de cent kilomètres de là... Au moment où ce dernier passait devant la porte de l'acariâtre, il sortait brusquement de chez lui en gueulant comme un putois qu'il était insupportable d'être réveillé à une heure pareille tous les matins. Il avait même tenté de lancer une pétition visant à renvoyer ce pauvre homme, mais Célestine avait toujours refusé de la signer. Ce qui lui avait valu de devenir la nouvelle tête de turc de ce forcené. Forcené ? Le mot n'est pas trop fort car, l'alcool aidant, le rustre devenait de plus en plus violent et un matin il avait même tiré un coup de pistolet dans la cage d'escalier. C'en était trop ! La police fut aussitôt prévenue et notre homme se retrouva en psychiatrie durant quelques temps. A sa sortie, il était métamorphosé, ce n'était plus qu'un zombie. Il faut dire qu'il avait reçu un traitement médical de choc. A partir de ce moment, l'immeuble retrouva une certaine quiétude. 

Sitôt rentrée, Célestine se précipita à la fenêtre pour l'ouvrir en grand de façon à entendre toute voiture ou camion se garant en-dessous. Puis elle prépara tranquillement son repas, repensant à son abonnement et à la sortie qui était prévue pour le lendemain et où elle devait, en principe, se rendre. Cela la stressait un peu d'avoir à rencontrer plein de nouvelles têtes, elle qui était toujours très discrète et qui n'aimait pas être le point de mire dans un groupe. Elle hésitait encore sur la décision à prendre. Irait-elle ou pas ? Et comment s'habillerait-elle ?

C'est à cet instant précis qu'une camionnette vint se garer tout contre le mur de son immeuble ; deux jeunes hommes, la trentaine environ, en sortirent et ouvrirent aussitôt les portes à l'arrière. Une autre voiture vint se garer juste derrière. C'était une belle voiture de sport, vert anglais avec une capote beige. Attirée par le bruit, Célestine alla jeter un coup d'œil sur son balcon. Une femme était au volant, elle manœuvrait de façon à se mettre le plus près possible du mur. A côté d'elle un homme, manifestement agacé par la manœuvre, essayait de tourner le volant dans l'autre sens.

A ce moment, elle entendit les cloches tinter ; il faut dire que Célestine avait supprimé la sonnerie de sa porte d'entrée et l'avait remplacée par des clochettes qu'elle avait rapportées d'un séjour en Forêt Noire.

— Ils viennent chercher la clé, se dit-elle en se dirigeant vers la porte et en saisissant au passage la clé qui était posée sur la table.

—- Bonjour, fit le plus grand des garçons, nous sommes les nouveaux locataires du premier et nous venons chercher la clé. Il parait qu'elle est chez vous.

— Oui, c'est exact, l'ancienne locataire me l'a confiée tout à l'heure en me précisant que vous passeriez la prendre. Tenez, la voici !  fit-elle en leur tendant l'objet.

— Bien, nous vous remercions. Nous allons encombrer un peu la cage d'escalier, j'espère que le bruit ne vous dérangera pas trop ! ajouta le deuxième garçon tout souriant. Mais nous ne devrions pas en avoir pour bien longtemps. Mon père a peu de meubles en fait !

Son père ? Il s'agissait de l'emménagement de son père ?  Et alors, c'est qui ce père ? Peut-être celui qui était dans la voiture verte...

Dès qu'ils furent redescendus, Célestine se précipita de nouveau sur son balcon pour voir ce qu'il en était. La femme était assise sur le capot de la voiture, elle avait allumé une cigarette et observait l'homme qui commençait à décharger des caisses du camion. Il était d'une carrure assez impressionnante, il devait bien mesurer un mètre quatre-vingt quinze au bas mot, assez corpulent, pas loin du quintal se dit Célestine. bouche.jpg

C'était un barbu, mais une barbe très courte ainsi que ses cheveux, coupés presque à ras. L'ensemble était cependant harmonieux et d'emblée il fit une bonne impression à Célestine, qui lui donna environ une cinquantaine d'années. Elle l'imagina très bien déguisé en Père Noël et cela la fit sourire.

La femme, quant à elle, semblait beaucoup plus jeune ; c'était ce genre de femmes que Célestine classe dans la catégorie des poupées Barbie, c'est à dire ces femmes insipides qui se ressemblent toutes et qui n'ont pour rôle essentiel que de mettre en valeur l'homme qu'elles accompagnent et cette Barbie-là semblait visiblement de fort mauvaise humeur. Elle était vêtue de vêtements moulants et aux couleurs criardes que Célestine jugea très vulgaires. Et cette tenue n'allait pas avec la couleur de la petite voiture de sport.

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Ah, si c'était elle, Célestine, qui était l'heureuse propriétaire d'un si bel engin, elle assortirait assurément ses vêtements avec le ton de vert de l'auto ! Et la voilà qui se met à imaginer un instant qu'elle est au volant, la capote est baissée, elle file à vive allure sur une autoroute, direction le sud, le soleil... À son passage, les routiers font des appels de phares et klaxonnent, elle leur répond par un geste de la main.... Un moment où l'on se sent libre comme l'air ! 

La jeune femme leva les yeux à ce moment et un bref instant son regard caché derrière des lunettes de soleil se posa sur Célestine qui se sentit fautive. Fautive de quoi au juste ? D'être aussi curieuse ? Après tout, il n'y avait rien de méchant à observer de nouveaux arrivants, mais toutefois, pour se donner une contenance, elle fit mine d'enlever les fleurs fanées de ses pots de géraniums.

— Coucou Célestine !... C'était la petite d'en face, installée à une table à la terrasse du café de ses parents, qui venait de l'interpeller. Elle avait étalé devant elle ses crayons de couleur, des feuilles blanches et s'apprêtait à se livrer à sa passion favorite : le dessin.

—  Ne bouge pas Célestine, je vais faire ton portrait, dit l'enfant.

A ces mots, les gens du bas levèrent les yeux en direction du balcon. L'homme qui jusqu'alors se contentait de sortir des cartons du camion s'était arrêté dans son élan et Célestine sentait peser sur elle un regard. Elle baissa les yeux et leurs deux regards se croisèrent. Le cœur de Célestine se mit à battre à tout rompre, elle sentit le rouge lui monter au visage. Le temps semblait s'être arrêté d'un seul coup. En bas, l'homme continuait à la dévisager avec insistance et un certain étonnement. Célestine soutint son regard, elle eut l'impression que cet instant durait une éternité.

— Bon, tu te magnes un peu, on ne va pas passer la journée ici !...C'était l'autre, la poupée Barbie qui perdait patience. Elle venait de rompre le charme. Il reprit un carton et le passa à un des jeunes qui faisaient la navette entre le camion et le premier étage.

Célestine avait quitté son poste d'observation. Elle était très troublée par ce sentiment étrange qui l'habitait à présent. Elle n'arrivait pas à s'expliquer pourquoi ce simple échange de regards l'avait à ce point perturbée. Les cloches de la Forêt Noire retentirent à nouveau. Elle alla ouvrir la porte : c'était mademoiselle Froju.

À suivre

mardi, 24 novembre 2009

419. Célestine Chardon -5-

Chapitre 5


podcast

Mentalement elle fit un rapide tour d'horizon des locataires de son immeuble. La Froju, comme elle l'appelait, habitait au rez-de-chaussée, donc ce ne pouvait pas être elle. D'autre part, elle l'avait vue la veille et cette dernière n'avait pas parlé de déménagement. Au premier étage vivait un couple de retraités. Ils étaient partis un mois auparavant voir leur fils qui travaillait à La Martinique. Célestine avait d'ailleurs reçu la semaine précédente une fort jolie carte qu'elle avait aussitôt mise sur son réfrigérateur.

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Ne restait plus que la voisine du dessous. Effectivement elle vit la porte du deuxième étage grande ouverte quand elle arriva sur le palier. Une jeune femme était en train de passer l'aspirateur dans l'appartement vidé de tous ses meubles à présent. Célestine frappa trois petits coups à la porte:

— Je peux entrer ? Alors, vous nous quittez ?

 Ah, c'est vous mademoiselle Chardon ! Oui, je me dépêche car l'appartement est repris de suite et le nouveau locataire arrive cet après-midi. Il faut que je laisse les lieux dans un état à peu près correct quand même!

 Et ce n'est pas indiscret de vous demander où vous allez ? renchérit Célestine.

 Ah, je ne vous ai pas dit ? Eh bien j'ai été mutée dans la région parisienne. Ce n'est pas que cela m'enchante mais le travail va y être intéressant et je ne dois pas laisser passer une telle occasion. Et puis vous savez, plus rien ne me retient maintenant ici depuis que....

 Oui, oui, je sais, s'empressa d'ajouter Célestine.

Oui Célestine savait, elle se souvenait de l'arrivée de ce jeune couple trois ans auparavant. Ils avaient un petit garçon d'à peine un an. Lui, son mari, travaillait comme représentant dans une firme automobile et elle était employée dans un bureau. Ils étaient, jeunes, beaux, et tout semblait s'annoncer sous les meilleurs auspices, sauf qu'un jour il est sorti et a omis de rentrer. La jeune femme s'est retrouvée seule avec son petit garçon. Au fur et à mesure qu'il grandissait le bambin devenait de plus en plus coléreux et capricieux. Célestine n'avait plus besoin de mettre son réveil à sonner le matin car elle était régulièrement réveillée vers sept heures par les cris du petit monstre refusant de se lever, de s'habiller, de manger, d'aller à l'école. Et tous les matins c'était la même comédie, les cris, les injonctions de la pauvre mère qui voyait l'heure passer et qui devait encore le conduire chez la nourrice avant de partir à son travail.

Célestine avait bien tenté de lui expliquer qu'elle devait se montrer plus ferme avec lui, mais la jeune femme ne réagissait pas:

 Il est encore si petit, il ne comprend pas!. Le gamin, caché derrière sa mère, en profitait pour faire des grimaces à Célestine.

Décidément, Célestine n'aimait pas ce petit, encore un enfant-roi, un futur bourreau de parents. Puis après tout, cela ne la regardait pas, chacun balaie devant chez soi, se disait-elle en soupirant.

 J'ai un service à vous demander, reprit la jeune femme en s'arrêtant deux secondes dans son nettoyage.

— Oui, si je peux, sans problème.

 Eh bien voilà, comme j'ai fini le ménage, je voudrais partir tout de suite avec mes amis afin que nous ayons le temps de poser les meubles dans mon nouvel appartement ; je ne peux donc pas attendre le nouveau locataire pour lui remettre les clés comme nous en avions convenu. Pouvez-vous le faire à ma place ?

 Euh...à vrai dire, je ... Elle est bien embarrassée, Célestine. Elle n'aime pas qu'on lui force ainsi la main, surtout qu'elle ne connait pas ce nouveau venu.

— À quelle heure doit-il venir ?

 Il m'a dit qu'il passerait à quatorze heures et comme il n'est que midi, ça m'ennuie d'être obligée d'attendre deux heures !

 Vous ne pouvez pas lui téléphoner ? insista Célestine.

 Non, il a oublié de me donner son numéro de portable. Je n'ai que son adresse et son fixe. Et il ne doit pas être chez lui car ce n'est pas la porte à côté !

 Ah bon ? Parce qu'il n'habite pas dans la région ? fit Célestine, soudain curieuse.

 Je ne sais pas où il habite exactement, il m'a donné son adresse de travail à Paris.

 Il est marié ?  Célestine regrettait déjà sa question, mais trop tard, les mots avaient jailli d'un coup, comme l'eau jaillit d'une source.

La jeune femme la regarda d'un air amusé :

— Je crois que oui, mais quand il est venu visiter, il était seul.

Retiens-toi Célestine, garde pour toi la question qui te brûle les lèvres: il est comment ? À ce moment précis trois brefs coups de klaxon stoppent net la conversation.

— Ah ! Ce sont mes amis, ils trouvent le temps long. Bon, je vous laisse les clés. Merci beaucoup mademoiselle Chardon pour votre gentillesse. Pour mon courrier, je me suis arrangée avec mademoiselle Froju. Si des fois il y avait le moindre problème, elle pourra vous donner ma nouvelle adresse. Je peux vous embrasser ?  

Et avant que Célestine ait eu le temps de réagir, elle se sentit serrée comme dans un étau et reçut sur les joues deux belles marques rouges.

— Chéri, fais un bisou à la voisine !

 Non, j'veux pas! répondit aussitôt le gamin tout en tirant sur la veste de sa mère pour la forcer à partir.

 Allons Minou, sois mignon, fais plaisir à maman ! S'il te plait, m’amour!

Je t’en ficherai, moi, des mamours, ne put s’empêcher de penser Célestine.

De mauvaise grâce, le gamin s'approcha alors de Célestine qui se pencha vers lui et, en lui faisant les gros yeux et lui disant d'une voix qu'elle voulait grave et impressionnante:

— Tâche d'être gentil avec ta maman, sinon tu auras affaire à moi !

Dans la rue on entendit le vrombissement d'un moteur, les copains s'impatientaient.

 Ah, une dernière chose ! Vous pouvez rendre l'aspirateur à mademoiselle Froju ? Elle m'a prêté le sien ce matin et m'a dit que je pouvais vous le confier quand j'aurai fini  si elle n'était pas chez elle.

 Oui, oui, pas de problème. Allez, sauvez-vous vite, on vous attend ! Bonne chance à vous !

Mais déjà la jeune femme, tirant le gamin par le bras, avait franchi le porche d'entrée.

Son panier à la main, Célestine pénétra dans l'appartement. Cela semblait d'un coup  plus grand, pourtant il avait la même superficie que le sien. Elle s'empara de l'aspirateur de l'autre main, sortit et ferma la porte à clé. Puis lentement elle monta l'étage qui la séparait de son antre à elle. Ainsi elle allait avoir un nouveau voisin !

À suivre

lundi, 23 novembre 2009

417. Célestine Chardon -4-

               LA VIE BIEN ORDINAIRE DE CÉLESTINE CHARDON

Chapitre 4

podcast

La maison se dresse toujours fièrement à l’angle des deux rues. Les platanes du boulevard ont disparu peu à peu, rongés par la maladie. Ce grand boulevard sert de limite entre la commune de La Riche et Tours. Il part de la Loire, au nord, et aboutit plus au sud jusqu'au Cher.

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Au milieu du dix-neuvième siècle un jardin botanique y a été créé, dans la partie marécageuse où coulait l'ancien ruau de Sainte Anne. Et face au jardin se dresse l'hôpital Bretonneau, construit à l'emplacement de l'ancien " Sanitas" qui accueillait les lépreux au Moyen-Age. Cet hôpital s'est agrandi au fil des ans. En mille huit-cent cinq on lui adjoignit un hôpital militaire où de nombreux grognards des armées napoléoniennes vinrent se faire soigner. En mille huit-cent quatorze une école préparatoire de médecine et de pharmacie vint compléter l'ensemble hospitalier. Le service de l'infirmerie était confié à des sœurs de La Présentation, reconnaissables à leur grande cornette.

Elle s'en souvient la petite Célestine des bonnes sœurs avec leur cornette ! C'était en mille neuf-cent cinquante trois, elle les voyait presque tous les jours quand elle accompagnait sa maman qui allait voir sa mère mourante. Cela dura une année entière. Sa grand-mère était atteinte d'un cancer généralisé, une saloperie qui lui rongeait les chairs petit à petit. Et Célestine jouait avec sa poupée dans les couloirs de l'hôpital. Un jour un monsieur est arrivé. Il a dit quelques mots à l'oreille de sa maman et celle-ci s'est mise alors à pleurer. Elle a saisi Célestine par la main et elles sont parties en courant. Célestine revoit une pièce sombre où un homme était allongé sur un lit, immobile. C'est son grand-père, il vient de mourir d'une rupture d'anévrisme.

Célestine comprendra plus tard, beaucoup plus tard, beaucoup trop tard aussi pour pouvoir en parler, pourquoi sa maman à partir de ce jour-là ne fut plus jamais la même.  

La maison de Célestine était située à l'extrémité sud du boulevard, dans la partie la plus lugubre car elle donnait sur les abattoirs de la ville de Tours. Après c'était la voie ferrée où passaient les grosses locomotives rugissantes et crachant des flammes. Une fois le passage à niveau franchi, on trouvait sur la droite l'usine d'épuration des eaux, puis sur la gauche l'entreprise des pompes à merde. Il fallait se boucher le nez quand on passait devant. Après une petite montée, on arrivait dans un vaste espace de verdure, rempli d'arbres et d'herbes hautes qui s'étendait jusqu'aux rives du Cher. C'était le " Menneton", un lieu de prédilection pour les gens du quartier qui allaient y  pêcher, pique-niquer ou se baigner aux beaux jours. Les enfants s'y amusaient en toute tranquillité. Les parents de Célestine en leur temps y avaient joué, s'y étaient aimés, avaient fait des rêves d'avenir...

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Aujourd'hui il ne reste rien de tout ça, si ce n'est la petite maison du garde-barrière, branlante mais toujours debout. Les champs ont fait place à une zone industrielle. Sur le boulevard, l'abattoir a été remplacé par des barres de logements locatifs. Dans la rue d'à côté, les usines ont été démolies pour laisser la place à des petites résidences et à une zone commerciale. La maison de sa copine a disparu aussi, c'était une ancienne bergerie datant du quinzième siècle où le confort était pour le moins précaire. Mais qu'importe, elles s'amusaient bien les petites sur ce boulevard!

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Elles jouaient à la marelle, installaient des couvertures sur la terre battue pour jouer à la marchande, faisaient des concours de corde à sauter, jouaient à la balle le long des murs, se construisaient des arcs avec les branches du sureau qui dépassaient du jardin des voisins ou encore s'amusaient pieds nus dans le caniveau quand le balayeur venait ouvrir en grand la vanne d'eau. De cette époque il  ne lui reste qu'une photo, vieille photo un peu jaunie qui suscite tant de nostalgie. C’est pourquoi Célestine évite toujours de passer dans ce quartier.

 Mais pour l'instant elle ne pense qu'à une chose: aller au marché ! Elle se dépêche car ce marché qui s'installe autour des Halles ne dure que jusqu'à dix heures. On y trouve des maraîchers qui viennent vendre directement leur production. Il y a déjà du monde quand elle débouche sur la place. Le soleil commence à chauffer doucement et pas un seul nuage ne vient tacher le ciel d'un bleu pur. Elle flâne devant les étals, se laisse tenter par des fraises, des petites gariguettes bien rouges. Un peu plus loin elle trouve des radis ronds, ceux qui piquent légèrement lorsqu'on les croque. Elle achète également une botte d'oignons nouveaux, de l'ail vert qu'elle mangera avec un fromage de Sainte-Maure frais. Justement elle vient d'apercevoir son marchand attitré. Elle le connaît depuis très longtemps, elle l'a toujours vu, à croire qu'il est éternel, avec sa petite table sur laquelle il dispose œufs et fromages. Il ne vend que ça, mais il a ses clients fidèles. Célestine sait, pour avoir discuté avec lui, qu'il fait ainsi plusieurs marchés de la région pour vendre ses produits et que cela lui suffit pour vivre.  Il ne gagne sûrement pas beaucoup d'argent mais cela n'a pas l'air de le soucier ! Il est toujours de bonne humeur, heureux de vivre...marche.3[1].jpg

Un peu plus loin elle retrouve un couple de personnes âgées qui viennent vendre les fleurs de leur jardin. Ah c'est vrai qu'ils n'ont jamais beaucoup de fleurs à chaque fois, ils ne mettent pas du beau papier autour des bouquets, mais qu'elles sont belles leurs fleurs, elles embaument l'amour qu'ils ont mis à les cultiver. Célestine se laisse tenter par des pivoines roses, presque blanches. Elle songe qu'elle a déjà le bouquet qu'on lui a offert hier, mais qu'importe, elle mettra celui-ci dans sa chambre...

Et sur cette pensée elle pénètre maintenant sous les Halles. Il est bientôt dix heures et ça grouille de monde, une vraie ruche, mais une agitation normale pour un samedi. Sans hésitation elle se rend chez son crémier; elle aime bien dire SON crémier, comme s'il lui appartenait!  C'est ainsi qu'elle s'approprie les gens qu'elle aime. Dans le même registre, on trouve son boucher, son boulanger, son garagiste...

Il lui faut de la bonne crème fraîche, celle qui se vend au détail, celle que le crémier verse dans un pot avec une louche. Puis elle en profite pour acheter un morceau de beurre, le beurre à la motte que l'on coupe avec le fil.

— Bon, il ne me manque plus que le pain, se dit-elle en quittant le grand bâtiment et en se dirigeant vers la place du Grand Marché. Au passage, elle s'arrête pour prendre un pain de campagne tout chaud encore. Elle ne peut résister au plaisir de casser le croûton pour le manger aussitôt. Quand elle arrive devant chez elle, elle constate qu'un camion de location est garé le long du trottoir, tout près de la porte d'entrée. Plusieurs personnes s'affairent autour tandis que dans l'escalier des hommes sont en train de descendre des cartons.

— Tiens,  qui peut bien déménager ?

À suivre

samedi, 21 novembre 2009

413. Célestine Chardon -3-

       LA VIE BIEN ORDINAIRE DE CÉLESTINE CHARDON

Chapitre 3


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En se réveillant le lendemain matin, Célestine réalisa soudain qu'elle n'allait pas à son travail. Cette idée la décontenança un peu, mais en même temps, elle se sentit envahie par une effervescence peu commune. Elle était désormais libre d'organiser ses journées comme elle le souhaitait... Cette idée de se prendre en charge sans avoir à répondre de ses faits et gestes à un supérieur la ravissait et  lui faisait peur tout à la fois. Comment allait-elle organiser son temps ?

Elle se connaissait  bien et savait qu'en dehors du travail, elle ne bougeait pratiquement jamais de chez elle. Mais maintenant, elle n'avait plus rien à faire.... PLUS RIEN À FAIRE ! Elle sentit une angoisse qui montait peu à peu. Elle quitta son lit et se dirigea dans la cuisine pour se préparer un café. Pendant que la cafetière éructait doucement, elle alla à la fenêtre humer l'air matinal. Six heures du matin ! 

celestine3a.jpg Le ciel commençait  à rosir au-dessus des toits. Dans la rue quelques personnes se hâtaient  vers une destination inconnue. Elles marchaient vite comme si elles  craignaient d'être en retard... Célestine laissa la fenêtre entrouverte, puis se servit un café dans son grand bol jaune et s'assit sur le bord de la chaise. Elle se releva soudain comme prise d'une inspiration, alla ouvrir le buffet de la salle à manger et en sortit un carnet tout neuf, un crayon de bois, une règle plate et une gomme. Puis elle revint s'asseoir à la table. Un sourire illuminait son visage.

—  Bon, dit-elle à haute voix, il faut que je m’organise.  Elle ouvrit le carnet à la première page, compta le nombre de carreaux verticalement et, apparemment satisfaite du résultat obtenu, elle tira des traits  horizontaux tous les deux carreaux, avec une extrême application. Puis elle tourna la page et refit la même chose sur le deuxième feuillet. Elle prépara ainsi une bonne dizaine de feuilles.  Elle s'aperçut qu'elle avait oublié de boire son café qui devait être tiède à présent.  Elle en avala une gorgée et se releva en direction du buffet. Cette fois-ci, elle prit dans le tiroir un stylo à encre. Revenue à sa place, elle écrivit avec beaucoup d'application en haut de la première page: " Juin 2002". Dans la rangée suivante elle inscrivit samedi 1er, puis en dessous, dimanche 2 et ainsi de suite jusqu'au samedi 15.

Le mot samedi avait fait tilt dans sa tête et tout en continuant à remplir les bandes, elle pensa que c'était le jour du marché autour des Halles. Cette idée la remplit d'une grande joie car on était justement un samedi !  Elle allait pouvoir enfin faire son tour de marché, chose qui lui était impossible de faire auparavant sauf durant la période des vacances.

Toute émoustillée à l'avance, Célestine continua d'inscrire les dates sur son petit carnet et s'arrêta à l'endroit où les traits finissaient. Coïncidence ? Cela tombait juste sur le mois de décembre.

Au dehors la ville s'animait peu à peu...Elle jeta un coup d'œil par la fenêtre. En face, le cafetier lavait sa terrasse à grande eau et installait les tables et les chaises sur la petite partie du trottoir qui lui était allouée. Il l'aperçut et fit un grand signe de la main:

— Bah alors Célestine, pas encore partie au boulot ce matin ?

— C'est fini le boulot, répondit-elle en souriant malicieusement. Terminé depuis hier !

— Pas possible, déjà à la retraite ? Ah, mais ça s'arrose une telle nouvelle !

— Oui, oui, je passerai vous voir dans la journée, promis !. Et elle referma la fenêtre.

Elle aimait bien cet homme qui était installé depuis déjà au moins cinq ans dans cet endroit. Il avait environ une trentaine d'années  et il était toujours prêt à rendre service à ses voisins. Sa femme était une belle brune, mince et élancée, très discrète, qui renvoyait à Célestine l'image de sa propre mère. Le couple avait une petite fille, qui venait tout juste d'avoir six ans. En les voyant vivre au quotidien, Célestine songeait souvent à sa propre enfance. C'était il y a bien longtemps déjà...une autre époque, un autre lieu. celestine3b.jpg

Ses parents aussi tenaient un bar tabac. La maison était grande avec ses deux étages, elle faisait l'angle d'un grand boulevard agrémenté de platanes et d'une rue interminable dont on ne voyait pas le bout...

À suivre